L’autonomie du Québec au sein du Canada : un « accommodement raisonnable » ?

Tribune libre - 2007


Ce n’est pas un hasard si le débat sur l’indépendance du Québec et celui
sur les accommodements raisonnables se rejoignent en fin. Ces deux débats
sont en effet profondément liés par un même questionnement : « Comment
défendre une minorité culturelle au sein d’une majorité culturelle? ».
Ainsi, en répondant à cette question, on répond simultanément à ces deux
débats. Autonomie ou séparation? La première solution me semble plus apte
lorsqu'il s'agit de répondre de façon cohérente aux deux débats.
En effet, ces débats se recoupent. En tant que minorité culturelle, le
Québec tente de défendre et de promouvoir sa culture, son histoire, ses
valeurs au sein du fédéralisme canadien. En tant que majorité culturelle,
ce même Québec doit aussi prendre position devant les demandes,
admettons-le, parfois exigeantes et certainement maladroites de ses propres
minorités culturelles. On remarquera la ressemblance du thème : ces
minorités culturelles souhaitent défendre et promouvoir leurs valeurs, leur
culture, leur histoire.
Face à ces débats distincts, soit, mais dont le questionnement est
essentiellement le même, les partis politiques en place au Québec doivent
s’assurer que leur réponse est valide pour les deux débats. Les réponses de
l’Action démocratique de Mario Dumont et du Parti Québécois sont
politiquement fort différentes. Le premier a choisi de promouvoir une
certaine autonomie à l’intérieur du Canada, le second a choisi
l’indépendance et la séparation. Ces choix peuvent expliquer, bien que
partiellement, le succès du premier et les insuccès du second lors des
dernières élections québécoises.
Ainsi, aux rapports conflictuels entre minorités culturelles et majorités
culturelles, la réponse traditionnelle du Parti Québécois est en effet
connue : l’indépendance. Une autonomie totale puisque c’est un tout nouveau
pays qu’on souhaite créer. Ainsi, lorsqu’une minorité culturelle se sent
menacée, lorsqu’elle se sent distincte, lorsqu’elle est distincte, on lui
proposera notamment de s’extraire de sa société, en créer une autre qui
pourra plus efficacement défendre ses valeurs et sa culture.
Cette pleine autonomie me semble toutefois problématique lorsqu’il s’agit
de gérer les relations du Québec avec ses propres minorités. En effet, dans
ses relations avec ses propres minorités culturelles, il est généralement
souhaité que ces dernières s’intègrent au Québec, acceptent les valeurs
démocratiquement choisies, participent au bien commun, construisent cette
nation. Et si ces minorités culturelles tentaient plutôt de s’extraire de
leur société, refusaient ses choix démocratiques, créaient leur propre
société autonome, et cela, parce que leur identité et leur culture sont
menacées?
Aux rapports conflictuels entre minorités culturelles et majorité
culturelle, la réponse qui me semble la plus apte pour répondre à ce
conflit est une solution qui pour le moment est officiellement défendue par
l’Action démocratique mais qui a été créée au sein même du Parti québécois:
l’autonomie. Concrètement, cela permet à Dumont de promouvoir au Québec
comme au Canada « l’importance de la reconnaissance du Québec comme nation»
et « l’importance de rester dans le Canada ».
Cette position « autonomiste » n’est évidemment pas neuve. Elle a
notamment été défendue par le philosophe Charles Taylor, co-président de la
commission de consultation publique mise en place par le gouvernement
québécois en réponse au problème des « accommodements raisonnables ». La
solution autonomiste permet notamment à l’Action démocratique de Dumont
d’affirmer sur le terrain des accommodements raisonnables, et en toute
cohérence, la nécessité d’une « pleine reconnaissance des minorités
culturelles à l’intérieur même du Québec » mais aussi « la nécessité pour
ces minorités culturelles intra-Québec d’accepter les valeurs de la
majorité au Québec lorsque ces dernières résultent de choix démocratiques».
L’autonomie me semble être une réponse plus intéressante lorsqu’il s’agit
de répondre de façon cohérente à ces deux débats que sont le débat «
Québec-Canada » et le débat « minorité-majorité culturelle ».
Ironiquement, le Bloc Québécois est probablement la manifestation la plus
flagrante de ce courant. En siégeant à Ottawa, le Bloc québécois défend,
peut-être bien malgré lui, l’idée curieusement stable de
Québec-indépendant-dans-un-Canada-Uni. «Le vrai Québécois, disait Yvon
Deschamps, sait c’qu'y veut. Pis qu'est-ce qu'y veut, c't'un Québec
indépendant, dans un Canada fort». Ce qui était drôle à l’époque semble
avoir pris un ton plus sérieux.
En récupérant cette idée d’autonomie, l’ADQ a coupé l’herbe sous le pied
du PQ lors des dernières élections, ce dernier ne pouvant plus défendre
qu’un projet de séparation pour le moment bien impopulaire. Le débat qui a
présentement lieu sur les accommodements raisonnables au Québec est – quoi
d’autre? - aussi un débat sur l’identité et la culture québécoise. Ce
qu’elle est, ce qu’elle serait, ce qu’elle était, ce qu’elle sera.
Pour répondre au « vrai Québécois » de Deschamps les partis politiques
québécois devront trouver des réponses populaires et cohérentes aux
relations entre minorités culturelles et majorités culturelles. Le concept
d’« autonomie sans partition » répond simultanément et de façon cohérente à
ces deux débats. Reconnaissance de la richesse d’une minorité culturelle
autonome ET Intégration de cette minorité dans un projet démocratique plus
grand.
La solution autonomiste, qu’elle soit défendue par l’un ou l’autre des
trois partis politiques au Québec, qu’elle soit promue au sein même du
fédéralisme, qu’elle soit utilisée pour résoudre le débat sur les
accommodements raisonnables ou celui sur la position constitutionnelle du
Québec dans le Canada, est une solution qui doit être sérieusement
considérée.
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --


Laissez un commentaire



3 commentaires

  • Jean-François Sénéchal Répondre

    25 juillet 2007

    Je suis en accord avec mes commentateurs. La distinction minorité nationale et minorité ethnique est justifiée. Cette distinction a d’ailleurs été savamment expliquée et défendue par le philosophe Kymlicka. Je ne comptais pas refaire ce débat.
    Or, cette article se sert très précisément de cette distinction comme prémisse. L’objectif de ce texte était très précisément de montrer comment ces deux minorités, évidemment historiquement et sociologiquement différentes, sont néanmoins politiquement engagés, à tort ou à raison, dans des problèmes similaires.
    Ainsi, si on ne peut évidemment pas comparer les pommes et les oranges, on peut, me semble-t-il, s’intéresser au problème du pourrissement des fruits et, ultimement, tenter d’identifier les solutions les plus intéressantes.
    Ce texte visait surtout à montrer que le Québec, en attendant qu’il se choisisse comme pays, est lui-même engagé dans cette lutte vers l’autonomie, vers l’accommodement et vers la reconnaissance des minorités culturelles à l’intérieur du Canada. Se faisant, il partage cette lutte avec ses propres minorités ethniques, mais ces derniers luttant à l'intérieur du Québec.
    Pour maintenir une certaine cohérence dans son discours politique, le Québec et ses décideurs doivent conséquemment s'assurer que les principes qu'ils défendent sur la seine fédérale sont cohérants avec ceux mobilisés pour interagir avec ses propres minorités culturelles.

  • Lionel Lemay Répondre

    23 juillet 2007

    Comment peut-on comparer deux choses complètement distinctes?
    L'histoire du Québec remonte à 1534 quand Jacques Cartier a découvert le Premier Canada dont le territoire était celui du Québec actuel plus le Labrador.

    Ce sont les colons français et leurs descendants qui ont peuplé et développé le Premier Canada. Ils ont fondé la ville de Québec en 1608 et Montréal (Ville-Marie) en 1642.
    Les Anglais nous ont pris notre pays par les armes en 1759 et
    la France nous a abandonnés à notre sort en 1763.
    Les Anglais nous ont minorisés dans le Canada anglophone d'aujourd'hui et nous traitent comme une monorité ethnique. Ce n'est pas un accommodement raisonnable que nous voulons; nous sommes les descendants des fondateurs du pays et nous voulons qu'ils nous rendent ce pays qui nous appartient en toute légitimité et qu'ils nous laissent vivre en paix, comme de bons voisins.
    Les différentes ethnies immigrées ou nées au Canada d'aujourd'hui, ou au Québec, sont venues de leur plein gré et ont accepté d'observer nos lois. Quand ils contournent nos lois au nom d'une religion du moyen-âge, (kirpans, foulards, écoles qui ignorent les règlements du Ministère de l'éducation, etc..) ils ne peuvent être comparés à la majorité québécoise qui veut qu'on lui rende son pays.

  • Raymond Poulin Répondre

    23 juillet 2007

    Votre réponse repose sur une confusion qui mène à un sophisme: vous faites une équivalence entre une nation conquise de force et colonisée et des gens, les immigrants, qui ont choisi librement de vivre ailleurs que là où ils sont nés. La nation conquise n'est pas devenue une minorité par son fait. On ne peut considérer les minorités que constituent les différentes ethnies venues de l'immigration comme des minorités nationales, pas plus au Québec qu'ailleurs. Les seules minorités qui, ici, pourraient prétendre à l'équivalence que vous faites, ce sont les nations autochtones. Tout de même!
    Raymond Poulin