Cégep Édouard-Montpetit

L'affaire du doigt dans l'oeil

Le français — la dynamique du déclin


Serge Brasset, le directeur du cégep Édouard-Montpetit à Longueuil, a de la suite dans les idées. Depuis 2006, il s'échine pour que son établissement offre des programmes en anglais à des étudiants anglophones. Plusieurs obstacles l'en avaient empêché jusqu'ici. Cette année, ses efforts seront récompensés: en août prochain, l'École nationale d'aéronautique de Saint-Hubert (ENA), rattachée au cégep, accueillera des étudiants en maintenance d'aéronef du collège John-Abbott.
Le collège du West Island ayant décidé d'abandonner ce programme, ces étudiants recevront des cours en anglais à l'ENA, autant dans leur spécialité que dans les programmes de formation générale.
Le directeur de John-Abbott, Keith Henderson, doit se frotter les mains. Non seulement on le soulage d'un programme au fonctionnement laborieux (il n'y a pas d'aéroport à proximité du collège), mais le ministère de l'Éducation, soucieux de rentabiliser les installations sous-utilisées de l'aéroport de Saint-Hubert, lui a promis de généreuses subventions en échange de l'abandon de son programme en aéronautique. Comment ne pas jubiler?
Nombreux sont ceux qui craignent que ce précédent ouvre une porte à l'anglicisation en douce de notre système scolaire et qu'il accentue le recul du français en aéronautique. Serge Brasset n'est pas de ceux-là. Il affirme qu'en plaçant ces élèves en milieu francophone, on favorisera leur francisation, même si tout se passe en anglais!
Sur quels arguments appuie-t-il sa décision? Il y en a trois. Depuis la tragédie du World Trade Center en septembre 2001, l'ENA a perdu plus de 1000 élèves; elle doit donc augmenter ses effectifs. Les coupes de postes chez Bombardier ont empiré la situation. Enfin, la proximité de l'ENA des installations de l'aéroport de Saint-Hubert lui donne un avantage marqué sur John-Abbott.
L'affaire se présente mal pour les opposants à ce projet dangereux et saugrenu. M. Brasset peut compter en effet sur l'appui de la ministre de l'Éducation, Michelle Courchesne, et sur celui, tacite, du Parti québécois. Voilà longtemps, en effet, que ce parti a largué le dossier linguistique pour se tourner vers des stratégies électorales bien plus sophistiquées. Qui défendra désormais le projet visionnaire de Camille Laurin?
M. Brasset se veut rassurant: le programme anglais ne sera offert qu'aux étudiants provenant du réseau scolaire anglophone. N'en croyez rien. Comme tous les gouvernements au Québec (y compris celui du Parti québécois) ont refusé de restreindre la fréquentation des cégeps anglophones aux seuls étudiants du milieu scolaire anglais, il suffira d'une contestation en cour, puis de la victoire qui s'ensuivra, pour que nos étudiants s'engouffrent à leur tour dans l'aeronautical maintenance program.
À plusieurs reprises, Jean Charest a déclaré, avec des larmes dans la voix, que la défense de notre langue et de notre culture était pour lui «un devoir sacré». Mais quand vient le moment des décisions, la rentabilisation de l'aéroport de Saint-Hubert l'emporte sur le français. Alors, on appelle à la rescousse les étudiants de John-Abbott en leur offrant des cours dans leur langue afin de ne pas les traumatiser, et comme pour bien les convaincre qu'ils n'auront pas à travailler en français au Québec.
Tout cela donne à réfléchir. En particulier, sur l'opinion que les Québécois ont d'eux-mêmes et de la place qu'ils croient devoir occuper dans leur pays. Par les temps qui courent on ne voit, chez beaucoup d'entre eux, qu'incertitude, vacillements et manque de confiance. Qu'ils sont tristes, malgré le temps écoulé, les effets de la conquête!
Pourtant, charité bien ordonnée commence par soi-même, dit l'adage. Pas pour les Québécois. Cela ne leur paraît pas digne d'eux-mêmes. Que le bon sens aille au diable! Voler au secours des plus forts et des plus riches qu'eux, voilà leur mission. Écoutons Serge Brasset: «L'idée, c'est d'offrir un service qui avait déjà été auparavant offert à la communauté anglophone au collège John-Abbott [...].» Il s'agit d'un «devoir», affirme-t-il. Rien de moins.
Que les locuteurs français ne forment que 2 % de l'Amérique du Nord est sans importance. Notre fragilité ne doit pas nous empêcher d'être charitables. Voilà pourquoi, par exemple, dans le dossier des deux méga-hôpitaux de Montréal, le gouvernement offre 50 % des budgets aux 12 % de la population que constitue la minorité anglophone (langue maternelle) dans la région métropolitaine. Il oublie que la bonasserie est plus près de la bêtise que de la bonté.
L'Université McGill, comme l'ENA, doit songer elle aussi à augmenter sa clientèle étudiante. Après tout, n'est-elle pas l'université d'une minorité? Voilà pourquoi elle courtise avec tant d'énergie les étudiants francophones, qui forment à présent 20 % de ses effectifs. Mais, contrairement à l'ENA, elle leur offre des cours dans sa langue à elle. Je suppose que le sentiment de sa dignité l'empêche d'agir autrement.
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Yves Beauchemin, Écrivain


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