Le bêta bloquant

Finalement, Lucien Bouchard est une catastrophe.

Les années Bouchard - Les années confuses


Finalement, Lucien Bouchard est une catastrophe. Sa carrière compte pourtant des moments magnifiques: la fondation du Bloc québécois, sa performance durant la campagne référendaire de 1995, son leadership exemplaire pendant la crise du verglas de 1998, etc.
Mais une mystérieuse énergie négative l'a souvent dominé. Homme d'humeurs plus que de convictions, démissionneur compulsif, toute sa vie il a sauté dans des canots de sauvetage, abandonnant le navire qui l'avait accueilli: jeune avocat à Chicoutimi, il démissionnait comme candidat libéral à quelques jours des élections; ministre conservateur à Ottawa, il démissionnait de son poste en 1990, laissant tomber son ami Mulroney qui n'en est jamais revenu; premier ministre du Québec, il démissionnait sans crier gare en 2001 pour des raisons quelque peu nébuleuses. La semaine dernière, il démissionnait avec fracas du mouvement souverainiste. Il démissionne sans arrêt, cet homme! Fédéralistes, ne vous réjouissez pas trop vite en croyant qu'il a rejoint votre camp. Lucien ne semble appartenir qu'au camp de Lucien.
Ses années au pouvoir comme premier ministre du Québec ont laissé un souvenir plutôt calamiteux: congélation du dossier linguistique (qui a plongé les Québécois dans un sentiment de fausse sécurité), massacre de notre système de santé (qui ne s'en est pas encore remis), fermeture de plusieurs délégations du Québec à l'étranger (au grand plaisir d'Ottawa!), gâchis des fusions municipales (qui a entraîné la défaite du Parti québécois). Et la liste pourrait s'allonger...
Mais voilà. Lucien Bouchard a quitté la scène politique il y a neuf ans, d'autres l'ont remplacé, et ses récentes déclarations sur la souveraineté auraient pris le chemin de l'oubli comme tant d'autres si ce n'était de l'incroyable ascendant qu'il continue d'exercer sur les Québécois. Mais c'est un ascendant funeste, qui ressemble, à certains égards, à celui de Wilfrid Laurier sur les Canadiens français au début du XXe siècle. Bouchard possède comme Laurier ce fameux charisme qui lui a permis d'imposer ses déplorables décisions. Car notre imprévisible personnage est en phase avec les Québécois — ou plutôt avec leur désarroi. Velléitaire rongé par le doute, il les confirme dans leur découragement collectif. Sa force de persuasion fait oublier son manque de force morale. Sa vanité d'hypersensible achève le gâchis.
— La souveraineté n'est pas réalisable à moyen ou à long terme, affirme-t-il. Je ne la verrai pas de mon vivant.
Il faut comprendre: «Si je n'ai pu la faire, personne ne le pourra.» Les vaniteux, en effet, se croient irremplaçables: c'est une de leurs moindres faiblesses.
— La souveraineté n'est plus une priorité, poursuit-il. Il faut s'attaquer aux problèmes de l'éducation, de la santé, des finances publiques.
Allons donc! Le Québec, en proie à la dénatalité, est en train de fondre dans le Canada qui ne voit plus en lui désormais qu'une grosse minorité (on l'a constaté récemment au traitement du français pendant les Jeux de Vancouver), notre langue ne cesse de reculer à Montréal, où elle deviendra bientôt minoritaire, et la souveraineté ne serait pas urgente? Si on suivait les conseils de monsieur Bouchard, ses réformes sociales se feraient en anglais.
De toute façon, le rôle d'un gouvernement — comme du simple particulier — n'est-il pas de régler plusieurs problèmes à la fois, étant donné que, dans la vie, ils se présentent rarement l'un à la suite de l'autre? Eh oui! La souveraineté en même temps que la gestion. Difficile? Bien sûr. Impossible? Selon M. Bouchard.
Ce dernier, après avoir mis à mal la cause qu'il défendait autrefois et sapé le moral des troupes, se déclare néanmoins toujours souverainiste. Quelle cohérence! Celle d'un pacifiste qui ferait le commerce des armes.
Wilfrid Laurier, qui mettait son charisme au service de ses ambitions personnelles, a trahi les siens par opportunisme. Lucien Bouchard, qui se déclare sans ambitions politiques, semble sincère et, en quelque sorte, désintéressé. Ses récentes déclarations en paraissent d'autant plus navrantes et nous font regretter son long silence de neuf ans.
***
Yves Beauchemin - Écrivain


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->