Des budgets made in USA?

Les années Bouchard - Les années confuses

Alors, vous croyez que le Canada est un pays souverain? Et que, même si les économies sont de plus en plus interdépendantes, nos gouvernements rédigent tout au moins leur budget annuel en toute souveraineté? Voyons voir...
Dans une entrevue récente au Globe and Mail, Peter Nicholson traçait un tout autre portrait. Considéré comme un gourou de l'économie, Nicholson conseillait Paul Martin en 1995 lorsque, ministre des Finances de Jean Chrétien, il entreprit sa guerre sainte contre le déficit.
La journaliste lui demande ce qui a finalement convaincu le gouvernement de sabrer autant les dépenses publiques. Sa réponse: "Un éditorial du Wall Street Journal avait qualifié le dollar canadien de "peso du Nord" (...), il y avait aussi une crise financière au Mexique et cela, je crois, nous a fait comprendre que ça pourrait arriver à un autre pays si les marchés de capitaux décidaient de le déserter."
Donc, un simple éditorial du Wall Street Journal ridiculisant le dollar canadien et une croyance risible voulant que les marchés de capitaux puissent déserter un pays comme le Canada auraient suffi à faire basculer à droite toute la politique fédérale en matière de finances publiques?
Ou le monsieur se moque de nous. Ou l'on doit croire que le budget Martin fut en bonne partie made in USA. À moins, bien sûr, que Jean Chrétien n'ait aussi profité des Bonshommes Sept Heures de Wall Street pour faire avaler aux Canadiens une vision plus conservatrice de l'économie que celle, disons, d'un Trudeau ou d'un Pearson...
Mais attendez. Le pire est à venir.
La journaliste demande à Nicholson si, à Ottawa, on craignait les réactions. Sa réponse: "Oui, mais étrangement, on avait moins peur de la réaction de la population que de celle des marchés financiers et de la manière dont les économistes qu'on citait dans le Globe and Mail et d'autres médias allaient réagir. Parce qu'on était convaincu que le public allait suivre ce que les experts et les médias allaient dire." Ah bon?
Et après, vous vous demanderez pourquoi le gouvernement Charest embauche des économistes aux idées conservatrices pour l'aider à conditionner l'opinion publique à accepter ses prochaines compressions et augmentations de tarifs. (Exclusif aussi sur mon blogue: "Les prédictions d'économistes: à prendre avec un gros grain de sel").
Autre question posée au gourou: "Quand avez-vous compris que vous aviez réussi?" Réponse: "Pendant qu'on expliquait (le budget) aux journalistes financiers, il est devenu évident qu'ils étaient très agréablement surpris et que nous dépassions même leurs attentes!"
Bref, Paul Martin avait tellement coupé dans les services que même la presse financière n'en revenait pas!
Et ainsi est né au Canada le dogme du déficit zéro. Son papa: Jean Chrétien. Sa maman: Wall Street. Un bel accouchement grâce aux méthodes de la droite américaine. Le bébé: un État canadien aux services publics amaigris.
Pendant ce temps, à Québec...
Un an plus tard, en 1996, Lucien Bouchard appliquerait le même dogme en passant la tronçonneuse, entre autres, dans les systèmes de santé et d'éducation. Ce qui, est-il besoin de le rappeler, allait paver la voie à une expansion constante du privé dans ces deux systèmes. Les avaient pourtant été conçus dans les années 60 et 70 comme des outils privilégiés de justice et de mobilité sociales pour les Québécois.
Mais vous me direz que si on a coupé autant, c'était surtout parce qu'Ottawa avait aussi pelleté une partie de son déficit dans la cour des provinces? Voyons ce qu'en disait M. Bouchard à Québec, le 16 février dernier, alors qu'il racontait comment, devenu premier ministre, il avait vécu ce qu'il a appelé son "rappel brutal à la réalité".
En mars 1996, voyant un projet de communiqué de presse de la firme new-yorkaise de cotation Standard & Poor's menaçant le Québec d'une décote, M. Bouchard, toujours aussi théâtral, s'exclame: "on plongeait dans les enfers!".
Il nolisa immédiatement un avion pour Wall Street. Puis, se sentant "humilié", il raconte comment il les avait "suppliés de ne pas nous décoter". Sa touchante prière valut au Québec d'être mis "un an sous surveillance" de ladite firme comme une vulgaire colonie.
Comme l'a noté si crûment mon collège Michel David dans Le Devoir: "Jamais Jacques Parizeau n'aurait sué à grosses gouttes devant les jeunes analystes de Standard & Poor's qui ont tellement effrayé son successeur. Le récit de son voyage humiliant à New York en mars 1996 rappelait l'époque où les gouvernements d'avant la Révolution tranquille s'agenouillaient devant la "haute finance" anglo-montréalaise."
J'ajouterais que si M. Parizeau ne se serait jamais comporté de la sorte, c'est non seulement parce que la droiture de sa colonne vertébrale l'en aurait empêché, mais parce que, tout grand bourgeois de naissance puisse-t-il être, le fait est qu'il n'a jamais mangé de ce "pain" de la droite conservatrice - canadienne, québécoise ou américaine.
Malheureusement, on ne peut pas en dire autant des gouvernements fédéral et québécois actuels. Ni des "Lucides" ou des "économistes à cravate", qui meublent ces temps-ci les tribunes médiatiques avec une assiduité particulièrement soutenue.


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