Vous avez probablement été choqué d’apprendre que des francophones unilingues de Montréal peinent à obtenir des services en français dans le réseau de santé publique. En effet, le Journal de Montréal dévoilait dernièrement une enquête sur le sujet. Sommes-nous en présence d’anecdotes? Ou bien sommes-nous face à une tendance lourde? Plus globalement, l’anglais risque-t-il de devenir la langue du travail à Montréal?
Le 30 novembre 2022, Statistique Canada rendait publiques les données du recensement de 2021 en ce qui concerne la langue de travail. On y apprend que l’anglais est la langue utilisée le plus souvent au travail pour 21.1% des Montréalais. Si on ajoute les Montréalais qui parlent autant français qu’anglais à leur travail (8.0%), on constate que c’est 29.1% des Montréal qui parlent anglais au moins 50% du temps à leurs emplois. Un pas de recul permet de constater que cette valeur atteignait 26.9% en 2001 et 26.8% en 2011. Si l’anglais stagnait entre 2001 et 2011, il a progressé significativement entre 2011 et 2021.
À titre comparatif, à Québec, l’anglais comme langue du travail a stagné entre 2001 (3.9%) et 2011 (3.6%) et est passé à 4.4% en 2021.
L’anglais prends d’assaut Montréal
Malgré la loi 101 et le fait que le français est la langue officielle au Québec, on se demande pourquoi l’anglais s’impose autant à Montréal alors que le phénomène est plutôt marginal à Québec.
Au-delà des intuitions, les données de recensement et les projections démographiques de Statistique Canada apportent des données quantitatives fiables qui permettent de mieux comprendre la problématique.
Tout d’abord, on notera que le français comme langue maternelle à Montréal passe de 66.5% en 2001, à 63.3% en 2011 puis à 59.9% 2021 (données de recensement); un recul de 6.6% en 20 ans. Et les projections prévoient que cette valeur chutera à 54% pour 2036. À titre comparatif, pour la ville de Québec, ces valeurs sont de 95.5%, 94.9% et 92.4% selon les recensements de 2001, 2011 et 2021 respectivement.
Ensuite, on observe que le poids démographique des immigrants de 1re et 2e génération passe de 29.1% en 2001, à 37.7% en 2011, puis à 41.4% en 2021 pour Montréal alors que cette valeur passe de 5.1% en 2001 à 7.4% en 2011, puis à 11.4 % en 2021 pour Québec selon les données de recensement. En 2041, les projections prévoient que les immigrants de 1re et 2e génération composeront 54.9% de la population de Montréal et 19.3% de celle de Québec.
Finalement, quand on écoute les nombreux témoignages de Montréalais qui nous disent que « le visage de Montréal change » on réalise que leur impression est validée par les statistiques. En 2001, 13.6% des Montréalais étaient issus des minorités visibles, cette valeur grimpe à 20.3% pour 2011 et 27.2% pour 2021; les projections prévoient 39.5% pour 2041. Le contraste avec Québec est marquant; dans la capitale, les minorités visibles passent successivement de 1.6%, à 3.1%, à 7.2% et à 12.4% pour les recensements de 2001, 2011 et 2021 et pour les projections de 2041 respectivement. Donc ce n’est pas seulement une impression, le visage de Montréal change pour de vrai.
Besoin urgent d’une politique linguistique
Ainsi, il est raisonnable de postuler que l’anglais est en croissance sur le marché du travail parce que l’ascendance française des habitants est en déclin à Montréal (comme au Québec en général), que les immigrants sont trop nombreux à s’assimiler à l’anglais et que les politiques linguistiques sont trop faibles pour contrer l’attractivité de la langue anglaise sur un continent où celle-ci est hégémonique. Sinon, comment peut-on expliquer que la hausse de l’anglais comme langue de travail n’est pas observée dans la ville de Québec ?
Alors que les politiques linguistiques ont été incapables d’empêcher le déclin du français à Montréal au cours des 20 dernières années et que l’ascendance française de ses habitants continuera de décliner dans les prochaines décennies, on peut prédire que l’anglais deviendra la langue du travail à Montréal.
Pour faire mentir cette prédiction, il faudrait que le gouvernement ait le courage d’instaurer des politiques linguistiques efficaces tout en prenant les décisions qui s’imposent en immigration. Si rien n’est fait, les Montréalais unilingues francophones risquent de devenir des citoyens de seconde zone pour des raisons linguistiques.
Précision : les données statistiques utilisées réfèrent aux régions métropolitaines de recensement pour Montréal et Québec.
PHOTO STEVENS LEBLANC
Charles Gaudreault, ingénieur M.Sc.A, chercheur indépendant, Québec