Justin Trudeau en « blackface » : une controverse, deux solitudes?

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Le Canada anglais devient fou alors que le Québec s'en fout


Les réactions à la controverse provoquée par les images de Justin Trudeau en « blackface » sont-elles si différentes en Ontario et au Québec? Deux de nos journalistes sont allés le vérifier.




En Ontario


Alors que la photo d’un jeune Justin Trudeau, le visage et les mains maquillés, est publiée par le magazine Time, mercredi soir, le chef du NPD Jagmeet Singh tient une séance de questions-réponses dans Humber River-Black Creek, une circonscription multiethnique du nord de Toronto.


À la sortie de l’événement, de nombreux participants réagissent de façon négative aux images. Dans la foule, on sent que la nouvelle se répand comme une traînée de poudre. Les gens regardent leur téléphone cellulaire, puis se mettent une main sur la tête ou sur la bouche.


Un plan large d'une rue animée de Toronto.

Les réactions étaient souvent outrées, mais parfois plus nuancées, dans les rues de Hamilton et de Toronto.


Photo : Radio-Canada




C’est méprisant, odieux, c’est raciste, lance André Harriott en voyant la photo prise en 2001, à l’occasion d’une fête costumée à l'Académie West Point Grey, où M. Trudeau enseignait. C’est indigne d’un premier ministre.



Sharlene Henry est mère de trois enfants. Elle a essayé d’expliquer la signification de cette image à son garçon de 5 ou 6 ans, mais elle ne trouvait pas les mots. Ça me donne la chair de poule, c’est très troublant. Ça manque de respect. Il baisse beaucoup dans mon estime.


Plusieurs d’entre nous avons fait de temps en temps des choses que nous regrettons, mais il aurait dû être mieux avisé, constate Norm Perry, un retraité. Il aurait dû s’excuser il y a très longtemps.


À Hamilton, Michelle Walker était stupéfaite en voyant les images jeudi matin et pense que les électeurs devraient y penser à deux fois avant d’appuyer le chef libéral.



[Justin Trudeau] était à l’aéroport pour accueillir les réfugiés syriens. Et maintenant, il s’excuse parce qu’il est allé trop loin dans un bal costumé. Mais ce n’est pas un simple costume, et c’est ça qui me choque.


Michelle Walker, électrice rencontrée à Hamilton


L'animateur de radio Dave Tatla derrière son micro.

Aux yeux de Dave Tatla, les électeurs veulent entendre parler d'immigration et d'économie, pas de scandales vieux de 18 ans.


Photo : Radio-Canada




Autre son de cloche : Dave Tatla, voix de la radio punjabi du Grand Toronto, croit, à l’instar de la plupart de ses auditeurs, qu’il y a des enjeux plus importants à aborder en campagne électorale. Cela n’aura pas d’effets à Brampton ou à Mississauga, là où les Indiens ou les Sud-Asiatiques vivent, dit M.  Tatla.



Dans les rues de Toronto, la réaction des électeurs est variée. À cause de la rectitude politique, peut-être que les gens sont plus sensibles, dit l’un d’eux. Je crois qu’ils ont choisi un moment stratégique pour sortir [les photos] dans les médias, ajoute un autre.


Justin Trudeau a trahi tous les Noirs du pays, affirme un électeur noir. Une autre compte tout de même appuyer le chef libéral, même si elle exprime une vive déception à son égard.


Deborah Dean, électrice de Hamilton, ne serait sûrement pas d’accord pour passer l’éponge. Ce n’est pas si grave? Seulement pour ceux qui n’ont jamais vécu le racisme. Si vous êtes passé par là, comme mes enfants qui sont biraciaux, ça donne une tout autre perspective, conclut-elle.


Notre dossier Élections Canada 2019

Au Québec


Dans les allées du marché public de Saint-Hyacinthe, en Montérégie, les réponses étaient beaucoup plus nuancées que celles offertes par le principal adversaire de Justin Trudeau, le chef conservateur Andrew Scheer, à quelques pas de là.


Non, moi ça ne change pas du tout mon opinion de M. Trudeau, répond Lise Lapierre, qui est en train de terminer ses achats. Un moment donné, il ne faut pas tout ressasser dans le passé des gens. Ce n’est pas le même contexte qu’aujourd’hui, explique-t-elle.


Philippe Lavoie, un sympathisant bloquiste, ne s’en formalise pas. L’arroseur arrosé, c'est assez comique! Je ne suis pas fâché pour autant. C'est quand même particulier que ce soit le gars qui dénonce ce genre de choses, fait-il remarquer.


Brian Denes, un électeur tenté de voter conservateur, a pour sa part trouvé « déplorable », le geste du chef libéral. En tant que Canadien, M. Denes juge que c’est « un petit peu embarrassant ».


Une femme, foulard au cou, se tient dans un commerce.

Pour plusieurs Québécois, dont cette cliente d'un commerce de Saint-Hyacinthe, Justin Trudeau « n'a pas de raison de s'excuser ».


Photo : Radio-Canada




Marie Robillard a un point de vue différent. Ils sont allés loin pour chercher ça. On s’est tous déguisés. En même temps, Trudeau, il doit aussi faire ses preuves, observe-t-elle, un sac de victuailles à la main.


C’est plutôt le ton de la joute politique qui l’inquiète.



Je suis très inquiète de toute cette campagne. Beaucoup de dénigrement, beaucoup de recherches de ce qui ne va pas.


Marie Robillard, citoyenne rencontrée à Saint-Hyacinthe


Dans une partie du Québec beaucoup plus multiculturelle, les perceptions changent-elles? Jean-Ernest Pierre, le directeur de l’information à la radio haïtienne de Montréal CPAM, affirme avoir été choqué de voir Justin Trudeau en "blackface", étant donné sa proximité avec les communautés culturelles.


Il y a 18 ou 19 ans, Justin Trudeau était déjà prof, et il enseignait du théâtre. L’histoire du "blackface" est liée au théâtre aux États-Unis, et je crois qu’il aurait dû le savoir, expose-t-il, même s’il ne pense pas que le chef libéral soit raciste.


Un homme, portant un veston et coiffé d'un chapeau, sourit.

« Trudeau aime les Noirs », affirme cet homme, rencontré à Montréal-Nord.


Photo : Radio-Canada




Dans les rues de Montréal-Nord, des membres de la communauté haïtienne semblent prêts à excuser le chef libéral.


Les gens font ça pour s’amuser… mais il aime les Noirs! Il aime les Noirs. Ça ne change rien pour moi, explique un homme âgé.


Une dame réfléchit à voix haute. Ah, 50/50. Ça me dérange à moitié. C’est qu’il a présenté des excuses. Il était dans la vingtaine, il était trop jeune. Je le lui pardonne, conclut-elle.




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