Indépendances québécoises/wallonnes : conditions juridiques, démocratiques

Chronique de José Fontaine

Même si la sécession du Québec est inconstitutionnelle, la Cour suprême du Canada a déclaré en 1998 : «Les droits des autres provinces et du gouvernement fédéral ne peuvent retirer au gouvernement du Québec le droit de chercher à réaliser la sécession, si une majorité claire de la population du Québec choisissait cette voie, tant et aussi longtemps que, dans cette poursuite, le Québec respecte les droits des autres.» Elle avait ajouté aussi qu’il fallait la clarté sur la volonté québécoise de se séparer (ce qui a amené la loi C20) et que le Québec devait négocier sa sécession.
La « clarté » en Wallonie au sens de la Cour suprême canadienne
En cas de sécession en Belgique en deux Etats (Flandre d’une part et Wallonie + Bruxelles) ou en trois Etats (Flandre, Wallonie, Bruxelles), la question de la clarté ne se poserait pas. Un grand nombre de partis politiques belges (Flandre, Wallonie, Bruxelles), négocient d’ores et déjà non pas la sécession, mais un transfert de compétences qui laissera quelque 25% de compétences à l’Etat belge et cela dans un contexte fédéraliste belge qui est en fait confédéral : où les lois des entités fédérées et du fédéral ont la même valeur et où les compétences de ces entités se prolongent sur la scène internationale. Même du côté wallon, on évoque la possibilité que si ces discussions n’aboutissent pas, on irait vers la rupture, mais la Wallonie et Bruxelles demeurant ensemble. Personnellement, je ne pense pas que ce serait possible, car la Flandre ne se séparera jamais de la Belgique sans Bruxelles où travaillent 300.000 navetteurs flamands et où la Flandre occupent des positions sociales importantes (même si les Flamands ne forment plus que 10% - certains disent même 5% - de la population de Bruxelles). La possibilité de la sécession wallo-bruxelloise est brandie comme une menace et cette menace est à prendre au sérieux. Mais il faut voir comment. Au cas où l’on irait vers cette hypothèse, il faudrait quand même négocier démocratiquement la sécession belge, ce qui irait plus loin que les négociations actuelles, ce qui prendrait plus de temps, beaucoup plus de temps. Or les négociations actuelles – je le dis presque cyniquement - sont une bonne préparation à la sécession quand on voit que l’Etat fédéral sera quasiment réduit à rien, à si peu que je me demande pourquoi il faudrait encore un gouvernement fédéral aussi fourni qu’il ne l’est et même un Parlement fédéral. C’est la raison pour laquelle, ces négociations vont réussir, à mon sens. Bruxelles y aura sa place, à la fois liée à la Flandre et liée à la Wallonie.
Les arrangements Wallonie/Flandre/Bruxelles (derechef au sens de la Cour suprême)
Les dirigeants wallons ont de moins en moins peur de dire aux Wallons qu’ils vont devenir indépendants. Et cela aussi facilite les choses (même si les sondages d'aujourd'hui révèlent la force du sentiment belge, y compris en Flandre, le problème étant que les deux visions de la Belgique ne concordent pas). Mais le processus de scission de la Belgique prendra encore du temps. Par rapport à l’extérieur, je fais l’hypothèse que cela ne posera pas de problèmes non plus. Même si, l'Etat belge est intégré dans l’Union européenne – ou simplement dans l’Europe – et qu'il n’est pas bien vu dans ce continent que l’Etat belge se disloque. Mais si la dislocation est le fruit de bons arrangements (qui paradoxalement impliquent l’entente entre Belges ce qui est un peu l'écho aux derniers mots de ma citation dela Cour suprême : tant et aussi longtemps que le Québec respecte les droits des autres), l’Europe ne dira rien et je pense que cela la soulagera d’ailleurs. Je sais bien qu’en disant cela je banalise tellement les choses que je parais un indépendantiste wallon désenchanté. Or, ce n’est pas le cas. Je souhaite vivement que la Wallonie soit indépendante, mais je souhaite aussi qu’elle ait les meilleures chances de s’en sortir dans cette indépendance et cela passe par les accords que je décris, que tout le monde accepte au fond en Belgique et qui sont semblables aux avis de la Cour suprême canadienne. On peut être indépendantiste sans romantisme, ce qui ne veut pas dire sans passion. Car cette indépendance de la Wallonie, je la désire plus que tout, sachant que je devrai attendre longtemps encore pour qu’elle soit définitivement accomplie.
La difficulté du Québec, me semble-t-il, c’est qu’il lui faudra, à un moment donné, contraindre le Canada, hostile à cela, à négocier la scission du Canada. Ce qui impliquerait non pas peut-être de la violence, mais des gestes durs de désobéissance et de résistance. Je dis cela bien conscient des difficultés de part et d’autre de l’océan qui nous sépare, convaincu aussi que l’amitié entre le Québec et la Wallonie doit être entretenue plus que jamais, notamment en puisant des enseignements de chaque côté de l'Atlantique (from coast to coast en somme)

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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2 commentaires

  • José Fontaine Répondre

    26 septembre 2010

    Le seul référendum organisé en Belgique (en 1950) a démontré que le pays n'était pas uni. Et il aurait fallu en tenir compte tout de suite. Au lieu de cela on a traîné pour finir par se résoudre à passer au fédéralisme puis à un véritable confédéralisme qui débouchera probablement sur une confédération d'Etats indépendants. Mais il y a vraiment une différence avec le Québec c'est que tout le monde (je veux dire: dans les trois parties du pays), acquiesce à cela, finalement. Même s'il y a des nostalgiques de la Belgique unitaire qui contribuèrent, contribuent et contribueront à faire traîner les choses, soit, en fait, à maintenir en vie la zizanie belge. Comme tout militant wallon, j'ai été combattu formidablement par ces groupes dont le combat s'est avéré stérile pour tout le monde. Maintenant, je ne sais pas si au Québec on pourrait bâtir l'indépendance sur l'accord des partis représentés à l'Assemblée nationale. Je sais que des Québécois y pensent. Cela peut être très démocratique aussi et cela enlève un peu de romantisme à l'aventure, mais la rend plus accessible car un projet longuement débattu par des parlementaires a peut-être plus de chances de rejoindre un consensus dans la population. L'un des gestes que devrait poser une Wallonie indépendante, ce serait de reconnaître comme la Chambre des Communes et l'Assemblée nationale que le Québec est une nation. Hélas! on n'y est pas encore. Mais nous songeons souvent au Québec, nous en parlons souvent. A notre façon, nous appliquons votre devise JE ME SOUVIENS...

  • Archives de Vigile Répondre

    26 septembre 2010

    Votre premier paragraphe illustre de façon limpide, comment on a été enfermé dans le référendisme, cette bête puante qui nous tient dans la cage fédérale.
    D'une certaine manière ce qui se passe en Belgique nous montrera peut-être la voie pour adopter des stratégies d'action qui nous libèrent, et nous permettent enfin de briser les chaînes du carcan fédéral.