Appel sans précédent au nationalisme wallon

Chronique de José Fontaine

Charleroi est la plus importante ville de Wallonie après Liège située à l'est du sillon industriel tandis que Charleroi est à l'ouest. Son bourgmestre, Jean-Jacques Viseur, a été appelé à la direction de la ville après les scandales qui l'ont frappée. C'est un des derniers démocrates-chrétiens. En Wallonie le terme ne visait pas l'ensemble du Parti social-chrétien (PSC), contrairement à d'autres pays comme l'Allemagne ou la France où les partis de ce genre se disaient dans toutes leurs composantes "démocrate-chrétien". Cette appellation fut réservée en Wallonie aux députés et ministres PSC réellement liés à fraction chrétienne du mouvement ouvrier. C'était donc la gauche du PSC. Qui dit gauche en Wallonie dit souvent engagement wallon, sans doute parce que la classe ouvrière a longtemps été la classe dominante du pays (ruling class mais pas dominating class évidemment). Viseur est un homme "fort en tout" m'a un jour confié un ami: bon gestionnaire, brillant avocat et juriste, excellent ministre des finances, il est aussi quelqu'un qui pense vraiment son action politique.
Souvent les bourgmestres wallons ont relancé l'action wallonne
Il n'est pas étonnant qu'un bourgmestre wallon défraie la chronique. Le mouvement wallon s'est souvent exprimé par la bouche de bourgmestres de villes importantes ou même de gouverneurs de province. Le discours de Jean-Jacques Viseur est politiquement profondément pensé, ce qui est rare. Rares sont les dirigeants politiques en charge pouvant faire preuve d'une aussi haute élévation de vues.
Une analyse de l'Europe et du phénomène national
Viseur, contrairement à beaucoup de Wallons, ne condamne pas le nationalisme à la mode européiste bête. Il admet que la fin de la Deuxième guerre mondiale a vu la tentative d'écraser les nations, à travers l'Empire russe ou la Yougoslavie par exemple. Deux retentissants échecs. Les nations écrasées se sont réveillées. En revanche, il admet que la construction européenne a été une tentative réussie de dépassement des nations mais me semble nuancer cette perspective en montrant que les nations, comme le voulait le général de Gaulle, restent le fondement le plus sûr de l'Union européenne. Il ne condamne pas non plus certaines formes d'autonomismes radicaux comme celui de la Catalogne, du Pays basque et de la Flandre. Estimant que, notamment sur le plan économique, le nationalisme au Pays basque par exemple a rassemblé toutes les forces de la nation et permis à cette région de vieille industrialisation (comme l'est la Wallonie), de retrouver le développement d'antan, s'appuyant sur les travaux du philosophe Delruelle, il souligne qu'il y a dans le nationalisme un élément irrationnel lié aux humiliations subies (ou fantasmées), aux frustrations.
Quel nationalisme wallon?
Que doit donc être ce nationalisme wallon? Je cite le Maïeur (c'est le terme populaire en Wallonie pour désigner les bourgmestres, on devrait l'officialiser), disant que le nationalisme wallon « doit être original car il n'a pas (et ce peut être un atout) ce moteur de l'humiliation ou de la frustration qui a porté les nationalismes basque, catalan, serbe, slovaque ou flamand. Il ne peut, comme ce fut trop souvent le cas des mouvements wallons, dans le passé, reposer sur la nostalgie ou les chimères d'un prétendu âge d'or lié au XIXème siècle et à son développement industriel réalisé au mépris des droits sociaux. Il ne doit pas se construire contre l'Etat central ou les autres régions qui nous entourent. En aucun cas, il ne doit être un repli frileux. Bref, il doit être un nationalisme d'un nouveau type qui repose sur la confiance en nous et en notre capacité d'exploiter au mieux notre potentiel. A nous d'initier ce nationalisme ouvert, sans complexes, avec la passion de l'innovation mais aussi d'une forte cohésion sociale autour d'un modèle de développement solidaire. Le passé récent illustre bien cette logique, cette force tranquille d'une nation wallonne.»
Ne pas entrer dans l'avenir à reculons
Il est vraiment très rare qu'un dirigeant politique wallon cite un philosophe. C'est ce que fait Viseur en estimant que les Wallons doivent être comme ces prsionners de la caverne de Platon qui n'ont pour seule lumière que le feu qui brille derrière eux et qui ne donne à voir que des ombres. Certains s'échappent de cette caverne mais ne peuvent supporter la vraie lumière, celle du Soleil. Viseur invite à ne pas en avoir peur et appelle les Wallons à regarder l'avenir en face à n'y pas entrer à reculons (je suis fier d'avoir employé mille fois cette même formule, notamment ici). Il dit aussi que, pour la première fois de son histoire la Wallonie va être quasiment entièrement maître de son avenir et il a l'audace de rejeter tous les pleutres du pays wallons en soulignant que c'est une chance et qu'il faut développer le nationalisme wallon ouvert, généreux, sans complexes qu'il défend.
Sortir de la caverne de Platon et oser regarder le Soleil
Déjà - comme pour en souligner le ton inhabituel et par là même l'importance considérable - son parti, le CDH, de la belgicaine Joëlle Milquet a cru devoir dire que ce texte n'avait pas été écrit en concertation avec le parti. C'est donc qu'il va entrer dans l'histoire de la conscience wallonne. Sauf de la part de gens comme les PS Collignon et Dehousse, je n'avais jamais entendu un discours d'une telle force. Surtout de quelqu'un prouvant en outre sur le terrain qu'il sans doute des ailes mais aussi des racines. Car Jean-Jacques Viseur a été choisi par les grandes forces politiques de sa Ville pour sortir Charleroi des scandales qui avaient été l'occasion, une nouvelle fois, pour les Bruxellois des médias dominants d'écraser le pays wallon de leur mépris total. Avec Bruxelles, d'ailleurs, Viseur propose une alliance mais refuse toute fusion. Une telle sortie, pour exceptionnelle qu'elle soit, obligera tous les dirigeants wallons à dépasser le profil bas qu'ils adoptent depuis trop longtemps. Alors que le pays wallon est en grave danger avec la scission de la Belgique maintenant devenue certaine même si elle ne prendra pas la forme d'une rupture instantanée et se négociera longuement sans doute en de longues années au bout desquelles la Wallonie sera libre.
Lire le discours de Jean-Jacques Viseur

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    21 septembre 2010

    On pourrait dire, si je vous suis bien, que le nationalisme tel que l'évoque Mr. Viseur est le meilleur rempart contre le nationalisme version NVA, VB, FN, Ligue du Nord, ...l'ouverture identitaire et l'humulité contre le replis identitaire et le chauvinisme.
    Je dis "ouverture identitaire" car la Wallonie est riche de nombreuses cultures. Des cultures régionales, mais aussi des cultures venues d'ailleurs (Italie, Maroc, ...).
    A ce sujet, je dois avouer, que je suis plus en faveur de la rencontre des cultures que du mélange des cultures. Je préfère la naissance d'une nouvelle culture engendrée par deux cultures originelles, lesquelles subsistent en harmonie avec cette nouvelle culture, plutot que des "magmas polyculturels mondiaux".
    Bien à vous
    Denis DINSART

  • José Fontaine Répondre

    20 septembre 2010

    François Perin a dit un jour que le mot nationalisme en français avait tellement de sens qu'il renonçait à les énumérer. Mais c'est vrai qu'il a une connotation péjorative. Et en Europe en particulier, à cause de la Deuxième guerre mondiale. Alors que l'on pourrait montrer avec Hannah Arendt que le fascisme est l'inversion du nationalisme (ou sa perversion). Michel Debré s'exprimait comme vous: le nationalisme n'est que la caricature du patriotisme. En anglais le mot peut avoir un sens neutre (ce qui a un rapport avec la nation). Personnellement, je trouve que Viseur a eu raison de l'utiliser car c'est un homme trop intelligent (politiquement et philosophiquement), pour ignorer que le mot a cette connotation péjorative. Mais justement, en l'utilisant, il pousse à la réflexion. Et Jean-Jacques Viseur a l'intelligence et l'habileté de ne pas être tout à fait habile. Il en a la capacité aussi. Le Ministre-Président bruxellois C.Picqué a même dit ce lundi matin que Viseur s'était trompé de mot pour ensuite accabler le nationalisme de tous les maux. En réalité, on peut difficilement penser que Viseur n'aurait pas pensé ce qu'il disait. Car son discours est justement très très bien pensé et c'est une chose rare chez nous, cela il faut le souligner et le re-souligner sans cesse.

  • Archives de Vigile Répondre

    20 septembre 2010

    je suis d'accord avec le discours du Maieur de Charleroi, mais ne croyez vous pas que le nationalisme original dont il parle fait référence au patriotisme?
    Denis DINSART