Québec et Kosovo - réplique à Louis Bernard

Il n’y a que deux conditions gagnantes : débattre collectivement et voter majoritairement

Chronique de Louis Lapointe


Dans un récent texte publié dans le Devoir du 6 mars, s’appuyant sur une
décision de la Cour Suprême du Canada, Louis Bernard nous entretenait au
sujet de [«La vraie leçon du Kosovo»->12211] que le Québec devrait retenir. Une
comparaison dangereuse et un pari risqué, compte tenu de la feuille de
route de la Cour Suprême en matière de droit constitutionnel. Subordonner
l’indépendance du Québec à une reconnaissance de l’ONU et d’autres pays sur
la base de l’obligation ou du refus du Canada de négocier de bonne foi avec
le Québec, tel que reconnu par la Cour Suprême du Canada, est une question
secondaire qui risque davantage de mêler les cartes et de jeter la
confusion que de faire avancer le débat sur l’indépendance du Québec. Cela
me fait un peu penser à ce fameux budget de l’an 1 de Jacques Parizeau qui
a fait mordre la poussière au PQ en 1973. L’accession à l’indépendance
relève d’abord de la souveraineté du peuple et de ses institutions élues
démocratiquement. Pour que ce soit clair, la population doit d’abord être
convaincue que cette décision ne peut être que la sienne. À ce titre,
l‘exemple du Kosovo n’a rien de très limpide, il est plutôt source de
confusion.
Ainsi, citer le cas du Kosovo à tout vent risque davantage d’être porteur
d’insoupçonnés effets papillon ou boomerangs par ceux qui l’invoquent
imprudemment et ce cas ne peut surtout pas être réduit à ce qu’il n’est
pas. En fait, lorsqu’on parle de l’indépendance du Kosovo, c’est de
partition ethnique dont on discute, cela ne saurait donc servir de modèle
pour le projet indépendantiste des Québécois qui est civique. Le Québec
s’est déjà vu amputer d’une partie de son territoire par le passé, plus
précisément à l’occasion de l’entrée de Terre-Neuve dans la Confédération
canadienne, sans qu’il n’ait eu un seul mot à dire ; nous nous souvenons
tous du Labrador. Il ne faudrait tout de même pas, en plus, emmener l’eau
au moulin des nombreux partitionnistes de l’ouest du Québec et de Montréal
en suggérant qu’on peut partitionner le Canada sur la base du modèle
ethnique du Kosovo. Ce serait comme ouvrir nous-mêmes la porte à la
partition du Québec sans qu’on nous l’ait demandé !
Quand on a vécu l’expérience de la nuit des longs couteaux et qu’on sait
que la Cour Suprême n’applique jamais la règle de droit en matière
constitutionnelle, mais invente constamment de nouvelles théories
constitutionnelles pour renforcer le Canada et le centraliser au nom de la
théorie de la «Nation Building» à l’encontre du Québec, en particulier
depuis l’abolition de tout recours au Conseil privé de Londres, il est pour
le moins irresponsable de référer aux décisions de cette cour pour
justifier une démarche indépendantiste, sachant que nous aurons toujours
tort devant cette cour, les dés étant déjà pipés par sa nature même et le
mode de nomination des juges qui y siègent.
La règle de la centralisation constitutionnelle est une règle que suit et
applique invariablement la majorité des juges de la Cour Suprême lorsque
vient le moment de décider de questions portant sur le partage des pouvoirs
entre les provinces et le gouvernement fédéral. Dans une telle perspective,
si nous utilisons le précédent du Kosovo et la décision de la Cour Suprême
sur la sécession pour justifier notre démarche indépendantiste, c’est que
nous acceptons d’emblée que l’on puisse se soumettre aux dictats des juges
de cette cour ; c’est que nous acceptons qu’elle puisse décider de la
partition du territoire du Québec sur une base ethnique alors que le projet
québécois est avant tout civique.
Cette attitude de la part d’indépendantistes convaincus est pour le moins
suicidaire, puisqu’elle concède à la Cour Suprême la légitimité nécessaire
pour nous imposer sa propre vision du Canada en utilisant le vote sur
reconnaissance de la nation Québécoise par le Parlement fédéral qui avait
déjà une forte saveur ethnique et l’exemple du Kosovo comme prétextes pour
reconnaître le principe que l’on puisse morceler un territoire sur une base
ethnique. En invoquant le Kosovo, on souffle d’avance à l’oreille des juges
les motifs de leur décision.
La séparation du Québec de la Confédération canadienne ne peut être
décidée que par un vote majoritaire des citoyens du Québec et de
l’Assemblée Nationale. Oublions le Kosovo ! L’accession à l’indépendance
est l’expression ultime de la souveraineté du peuple par le peuple et ses
institutions élues démocratiquement, elle n’a pas à être soumise aux
dictats des juges nommés par un premier ministre lui-même nommé par un
représentant de la Reine. Comme si ceux qui se nomment entre eux à
l’intérieur d’un petit club hermétique avaient un droit de veto sur
l’expression démocratique et majoritaire du peuple. Nous devons nous
souvenir que le Canada est d’abord une monarchie constitutionnelle avant
d’être une Confédération.
Pour cette raison, nous n’avons surtout pas besoin du dangereux exemple du
Kosovo, du vote sur la reconnaissance de la Nation québécoise et de la Cour
Suprême pour conquérir notre propre indépendance. Nous avons juste besoin
d’une majorité absolue de votes à l’occasion d’une élection ou d’un
référendum pour enclencher le processus d’accession à l’indépendance par
l’Assemblée nationale pour quitter la monarchie constitutionnelle du
Canada.
Mais auparavant, il faudra d’abord parler de ce projet à nos concitoyens,
en discuter, ne pas avoir peur de le défendre, car qui sinon nous,
indépendantistes, pouvons porter ce projet. Il faut abandonner cette langue
de bois qui ridiculise notre projet au lieu de le faire avancer. À force
d’inventer des stratagèmes, des expressions tordues, nous donnons
l’impression à nos compatriotes qui ne partagent pas totalement notre point
de vue, que nous souhaitons les rouler dans la farine.
Notre projet n’a pas changé, il est toujours le même, celui de se donner
un pays. Il est légitime. Pour qu’il soit mieux compris, nous devons juste
le préciser davantage, pas le noyer dans une mer de conversations
nationales. Pour qu’il réussisse, il doit être soumis à une consultation
populaire, pas à une succession de gestes de souveraineté qui risquent de
semer la confusion sur ce qu’est la vraie nature de l’indépendance. En un
mot, il faut fuir le terrain de l’ambiguïté. Et pour que cela advienne, il
ne faut que deux conditions : en parler ouvertement et se décider
majoritairement. Si nous votons sans en parler, nous ne pouvons espérer une
plus grande adhésion à notre projet de pays et si nous en parlons sans
voter sur cette question, toutes nos conversations demeureront vaines et
inutiles.
Nous n’avons pas besoin de la décision des tribunaux, pas plus que de la
leçon des autres, même si nous admirons leur courage, pour décider de ce
qui relève d’abord de notre propre souveraineté collective. Parler de
l’indépendance et voter majoritairement en sa faveur, c’est de cette façon
que s’exprimera et s’affirmera notre souveraineté.
Pour cette raison, il ne peut y avoir que deux conditions gagnantes :
débattre et voter. Toute notre action doit donc porter sur ces deux ultimes
gestes de souveraineté, tout le reste n’est que palabres et diversions,
conversations et gestes sans conséquence.
Louis Lapointe
Brossard

-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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6 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    12 mars 2008

    Pierre Cloutier, avocat écrit : «Bref, je me sens glisser doucement vers le P.I. et le pays.»
    Tant qu'à glisser, vu que vous êtes vigoureux et pleins de bons principes, pourquoi ne pas glisser vigoureusement parce qu'autrement, ça n'a pas l'air assez prenant ou stimulant.Faudrait quand même pas, comme au PQ, critiquer trop le PI, principalement, en arrivant.
    Vu que vous avez écrit que les Québécois sont des moutons peureux, comment est-ce que vous pouvez penser à glisser vers le pays aussi ? Les Québécois vont être assez braves pour voter majoritairement pour ce parti ? Logique ?

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    12 mars 2008

    Monsieur Couturier`
    Vous écrivez: "Les forces souverainistes et indépendantistes doivent se rallier pour que ces conditions gagnantes voient le jour. Sinon elles ne feront que répandre leur propre discorde dans la population. Hélas ! c’est déjà commencé."
    Heureusement, quelqu'un sait énoncer ces réalités CLAIREMENT: c'est vous, M. Couturier. Votre esprit synthétique concis serait utile dans ces "débats de Vigile" où des propos constructifs sont colligés par M. Frappier pour alimenter des débats "non partisans" par la relève tant sollicitée.
    J'avais pris connaissance de votre capacité d'influence intellectuelle en lisant: "Pour la survie du Québec français. Guide d'accès à l'indép." (G. Bertrand)

  • Fernand Couturier Répondre

    11 mars 2008

    Vous revenez judicieusement à l'expression “conditions gagnantes”, et tant pis pour la langue de bois et la censure du politiquement correct si vite instauré.
    Première condition: Il faut débattre collectivement. J'imagine que vous entendez quelque chose comme ceci: il faut non seulement parler au peuple, mais aussi parler avec lui. Le débat doit lui laisser la chance de placer son mot et la place pour le faire. Débattre évidemment de la souveraineté et de l'indépendance. Deux notions qui visent la même réalité sous des aspects différents et sur lesquelles le peuple doit donner son avis.
    Deuxième condition: Il faut voter majoritairement. Ici, à l'évidence démocratique, la parole est au peuple. La souveraineté et l'indépendance se fondent sur son OUI éclairé, c'est-à-dire bien au fait de la situation concrète, à la fois celle qu'il s'agit de laisser et celle qu'il s'agit de créer. Et un OUI prononcé en toute liberté, c'est-à-dire non contraint dans son expression, et ni contrebalancé illégitimement et illégalement par quelque puissance interne et externe ou par la combinaison des deux. Le passé contient quelques chapitres à ce sujet.
    Ces conditions représentent un état de choses qui doit déterminer toutes stratégies pour y arriver. En fin de compte, c'est la parole qui est ici auteur et stratège. L'occasion est belle pour se rendre compte que dire peut signifier faire. Voyons. Débattre avec le peuple de souveraineté et d'indépendance, c'est s'entretenir avec lui du pays. Comment on entrevoit le pays souhaitable et souhaité. Et pour ce faire, à mon avis, rien de mieux que d'élaborer un projet de constitution. Un projet qui s'achèvera dans un vote majoritaire.Et conjointement à cela, débattre de la citoyenneté des habitants de ce pays à venir. Et voilà l'occasion, le lieu, la place publique où notre identité québécoise pourra s'expliciter, s'affirmer et se faire reconnaître.
    Débattre de cela, parler de cela avec le peuple, c'est commencer à réaliser la souveraineté et l'indépendance, c'est commencer à établir le pays. On le voit: parler ainsi, c'est faire.
    Il convient donc d'encourager toute démarche, toute stratégie qui va dans le sens d'une élaboration d'une constitution de pays et d'une détermination de l'identité citoyenne. Identité qui ne se résume pas à une pauvre nationalité civique aseptisée, mais constitue une nationalité qui actualise dans un présent démocratique un héritage langagier français, historique, culturel, et ouvre ainsi l'avenir.
    Les forces souverainistes et indépendantistes doivent se rallier pour que ces conditions gagnantes voient le jour. Sinon elles ne feront que répandre leur propre discorde dans la population. Hélas! c'est déjà commencé.

  • Fernand Lachaine Répondre

    10 mars 2008

    Et-ce que le Canada est une fédération ou une Confédération?
    Monsieur Lapointe, vous mentionnez Confédération. Une Confédération est un esemble de pays souverain. Je ne vois pas le Québec comme étant un pays souvrain. Du moins pas encore, et c'est pas parti pour ça quand on constate le sectorisme grave qui sévit dans le mouvement indépendantiste.
    Fernand Lachaine

  • Archives de Vigile Répondre

    10 mars 2008

    Je reconnais là l'avis d'un juriste. Rigueur et appréciation juste du contexte.
    Vous avez dit : expression majoritaire lors d'une élection ou d'une consultation populaire.
    Mais aussi, il ne faut pas oublier les circonstances et événements qui peuvent modifier les rapports de force.
    Je ne me souviens pas que les ex-républiques de l'Union soviétique et les pays baltes ont organisé un référendum pour accéder à l'indépendance. Ni l'Inde par ailleurs.
    Qui vous dit que le gouvernement fédéral n'implosera pas un de ces jours sous la pression des provinces?
    D'autre part, je me pose de plus en plus la question : on vit dans un système parlementaire britannique et dans ce système c'est la majorité des sièges qui importe. Beaucoup de décisions importantes ont été prises en vertu de cette règle.
    Cette voie est certes plus difficile à priori, mais qui nous dit qu'une déclaration unilatérale d'indépendance par un gouvernement ayant obtenu la majorité des sièges seulement ne pourra pas modifier les rapports de force?
    Enfin, en 1867, personne n'a demandé son avis aux québécois pour les intégrer de force comme province dans la Confédération canadienne? Pourquoi faudrait-il un vote majoritaire pour sortir de la cage à castor?
    Bref, je me sens glisser doucement vers le P.I. et le pays.
    Pierre Cloutier ll.m
    avocat

  • Archives de Vigile Répondre

    10 mars 2008

    Monsieur Louis Lapointe,
    je suis entièrement d'accord avec vous.C'est l'essence même de la démocratie que de référer au peuple afin que celui-ci détermine la route à suivre pour sa propre conduite. Dès que le peuple aura choisi l'autonomie entière, ses représentants n'auront d'autres actions à poser que celles qui conduiront à la naissance du pays du Québec quoique puissent en penser les juges de la cour suprême ou les politiciens du Canada. Le Québec appartient au peuple du Québec et c'est à celui-ci de décider. Tout geste contraire venant de l'extérieur du Québec serait à considérer comme une atteinte aux droits les plus fondamentaux du peuple du Québec et constitueraient une agression illégitime.
    René P.