Il faut faire quelque chose pour Ivan...

Chronique de Jean-Pierre Durand

Les conjointes retardent l’avènement de l’indépendance. C’est ce que je me dis souvent quand j’entends mon épouse me confier des milliers de tâches ménagères, qui ne peuvent jamais attendre comme de raison. Il faut sortir les poubelles, couper le gazon, vider le lave-vaisselle, passer l’aspirateur et quoi encore que je n’ai pas fait! C’est pas mêlant, la révolution serait à nos portes, que ma femme me dirait de ne pas oublier d’acheter du pain en rentrant. Par contre, quand la chose est possible et que bobonne est loin, je m’en donne à cœur joie, toutes affaires cessantes, pour la cause. Et tant pis si les plantes ne sont pas arrosées et que les écureuils qui viennent squatter ma cour ne sont pas nourris.
Tout cela pour vous dire que j’ai passé une fin de semaine politiquement occupée. Depuis bientôt trente ans que je passe chaque week-end d’Action de grâce dans ma belle-famille ontarienne, à manger de la dinde et à parler anglais. Comme c’est aussi mon anniversaire, ma belle-sœur me fait toujours un gâteau et je reçois toujours une paire de chaussettes, une casquette des Maple Leafs (que je ne porterai jamais) et une boîte de chocolats sans sucre, diabète de type II oblige. Évidemment, cette année encore, je me serais retrouvé normalement en bagnole sur la 401 en direction de Toronto, mais c’était sans compter sur notre nouvelle acquisition : Pépito. Pépito est un chaton qu’une voiture a déposé incognito l'autre jour près d’une ferme, à Sainte-Béatrix, où ma femme va quérir ses œufs. Ce soir-là, elle rapporta à la maison ses œufs immenses (parfois je me demande même si le poulailler n’abrite pas des autruches en cachette)… et le petit Pépito. Ce qui fait que cela aurait été bien cruel de laisser un chaton tout seul comme une dinde à la maison pendant l’Action de grâce, surtout qu’il boit du lait et ne bouffe que de la nourriture humide. Une fois n’est pas coutume, je me suis sacrifié pour le bien de Pépito!
C’est évident que je n’allais quand même pas tenir compagnie vingt-quatre heures par jour à un chat, par ailleurs bien mignon. Parmi les choses (racontables) que j’ai faites, je suis allé samedi soir au lancement de la section de Thérèse-de-Blainville du Réseau de Résistance du Québécois… Les principaux "lieutenants" du RRQ y étaient et on y a fait la lecture d’un Manifeste. Même si la soirée était sérieuse et festive à la fois, je n’ai pu m’empêcher de penser à ma mère qui dormait déjà à cette heure, à quelques rues à peine de là, au Centre de soins de longue durée Drapeau-Deschambault. De longue durée, car cela fait dix ans qu’elle y est clouée au lit à la suite d'un AVC sévère qui l’a rendue paralysée et complètement aphasique…
Quelques jours plus tôt, suite à un court message électronique du journal Le Québécois, j’avais appris que le militant basque Ivan Apaolaza Sancho, détenu au Centre de détention de Rivière-des-Prairies, avait entrepris une grève de la faim. Pour ceux qui n’ont pas suivi cette affaire (les journaux ont plus à dire sur Occupation Double et Loft Story), voici en quelques courts paragraphes de quoi il s’agit…
Le 20 juin 2007, Ivan Apaolaza Sancho est appréhendé par des agents de l’Équipe intégrée de la sécurité nationale (GRC), alors qu’il arrivait à Québec à bord d’un traversier en provenance de Lévis. Il n’oppose aucune résistance à son arrestation. L’homme, âgé de 35 ans, diplômé en sociologie, est suspecté par la police d’être un membre de l’organisation séparatiste basque ETA, un groupe considéré comme terroriste par le Canada et, of course, l'Espagne. Depuis son arrestation, Ivan est détenu sans procès au pénitencier de Rivière-des-Prairies en vertu d’un ordre d’arrestation de l’État espagnol, relayé par le ministère de l’Immigration du Canada.
Dans son pays d’origine, Ivan était actif au sein du mouvement étudiant et indépendantiste. Il arrive au Canada en 2001 et habite à Vancouver jusqu’à l’automne 2006. Il s’installe ensuite à Montréal. On l'accuse aujourd'hui d’avoir appartenu à l’ETA – accusation qu’Ivan nie entièrement – sur la base de simples allégations provenant du gouvernement espagnol, à partir de déclarations d’une femme, reconnue coupable de terrorisme, soutirées, selon toute vraisemblance, sous la torture. Le 13 mai dernier, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada décide néanmoins de déporter le présumé terroriste. Et, la semaine dernière, Ivan apprend qu’il sera expulsé vers l’Espagne le 17 octobre prochain. Ses avocats ont déposé une demande de révision (pour l’Évaluation de risque avant retour) à la Cour fédérale et vont demander un sursis, mais, si la Cour refuse, ce qui l’attend n’est pas jojo. D’autant plus que son nom figure sur de nombreuses listes d’organismes s’occupant de sécurité à travers le monde (européenne, américaine… il n’y a peut-être que le Burkina Faso et les îles Fidji qui ne l’ont pas encore fiché, mais ça viendra, croyez-en Big Brother!) comme un dangereux terroriste.
De nombreuses organisations de droits humains ont documenté des cas de torture et ô combien d’autres mauvais traitements infligés aux prisonniers politiques basques en Espagne. J’ai lu de ces témoignages de personnes torturées en pays basque à vous glacer le sang, notamment avec la technique de la « bolsa », qui consiste à appliquer un sac en plastique sur la tête pour entraîner l’asphyxie. Bien entendu, on vous « sauve » in extremis, mais votre cerveau en garde néanmoins des séquelles.
Ayant appris sa déportation, Ivan avait entamé une grève de la faim il y a une semaine, mais les autorités du Centre de détention réagirent à son geste en le mettant en isolement dans une cellule qui mesure un mètre par trois mètres, pleine d'excréments et de sang, en lui retirant ses vêtements, ses lunettes et ses livres, et en limitant son accès au téléphone. Finalement, Ivan a mis un terme à cette grève de la faim, considérant qu’il devait plutôt se préparer psychologiquement à la possibilité de déportation et de subir la torture. Ce qu’il entrevoit n’est pas rose. Dans une entrevue donnée le 30 septembre dernier, Ivan dit : « J’ai connaissance d’amis et de membres de ma famille qui ont subi la torture. Une des premières choses dont je me souviens de mon enfance est de voir mon oncle alité après avoir été torturé pendant dix jours. »
Dans une lettre datant de mars 2008, Ivan écrit : « Les États-Unis ont leur tristement célèbre Patriot Act, Duplessis avait sa Loi du cadenas, Trudeau la Loi des Mesures de guerre, et, en Espagne, il y a la loi antiterroriste et la loi des partis politiques. Ces lois ont permis la fermeture de journaux, d’interdire des partis politiques et d’emprisonner des personnes pour le simple fait d’être des indépendantistes basques, des lois qui te rendent membre de l’ETA sans que tu saches toi-même que t’es membre, des lois qui permettent à un juge de défendre la fermeture d’Egin, le deuxième journal au pays basque, en disant que « pour fermer Egin, il ne manque pas de preuve, il suffit de le lire », des lois qui transforment des indépendantistes basques directement en terroristes, où on ne juge pas des personnes pour des actes délictuels sinon que pour des idées. » Le jeune homme, qui depuis son arrivée au pays a travaillé comme menuisier, conclut sa lettre ainsi : « Tout ce que je demande, c’est de pouvoir rester ici, pour vivre tranquille sans craindre les représailles du gouvernement espagnol parce que je suis Basque et indépendantiste. »
Samedi matin, c’est un jeune homme, Ion, également d’origine basque, avec qui j’ai pris un café sur Saint-Denis. Membre du comité pour libérer Ivan, je souhaitais le rencontrer pour en savoir plus long sur cette affaire. Avant d’arriver au vif du sujet, on a parlé des liens entre les Basques et le Québec, de ces pêcheurs basques qui venaient chasser la baleine, le morse et le loup marin dans l’estuaire du Saint-Laurent, de ces Basques qui entre 1580 et 1630 ont aménagé, sur une île en face de Trois-Pistoles, des fourneaux destinés à fondre la graisse dont les Européens se servaient alors pour s’éclairer. Cette terre porte encore aujourd’hui le nom d’Île aux Basques. On a parlé aussi des patronymes québécois d’origine basque, comme les Chevarie, les Castilloux, les Roussy, les Bastarache…
Puis, on a surtout parlé de Ivan, de ce qu’il fallait faire pour sauver Ivan, et, s’il est déporté, à tout le moins de s’assurer qu’il n’ira pas vers la torture. Le comité d’appui souhaite que les indépendantistes québécois manifestent leur soutien à Ivan. C’est pourquoi le Réseau de Résistance du Québécois a appelé à un rassemblement jeudi le 16 octobre prochain, à 17 heures, devant le Consulat général d’Espagne à Montréal. Tous les indépendantistes, quelles que soient leurs affiliations politiques, sont invités à s’y présenter, avec leurs drapeaux, leurs pancartes, afin de dénoncer les conditions de détention et la déportation que le Canada s’apprête à faire subir à Ivan, sur la base qu’il est accusé par l’Espagne d’être un membre de l’ETA, alors qu’aucune preuve digne de ce nom ne le relie à l’ETA, si ce n’est que des allégations obtenues sous la torture. Le consulat est situé au 1, carré Westmount (quelques rues à l’ouest du métro Atwater).
Ion m’a traduit quelques slogans que l’on pourrait griffonner sur nos pancartes, les voici : DEPORTAZIOA GELDITU – ARRÊTONS LA DÉPORTATION et IBAN ASKATU – LIBERTÉ POUR IVAN. La campagne électorale tirant à sa fin, alors on pourrait peut-être se servir du verso des pancartes du Bloc québécois pour écrire les slogans ! Tout compte fait, un recyclage pour une bonne cause. Bon, il faut que je vous laisse, car Pépito est en train de grignoter la patte de la table, c'est signe qu'il a faim, je suppose.


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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    14 octobre 2008

    Dans le contexte que vous décrivez Jean-Pierre, je convient aisément que c'est un devoir civique d'aider un immigrant même si l'on peut penser qu'il soit rare qu'une fumée ne soit pas produite par un feu quelconque.
    Et puis, comme québécois, nous oscillons tous et toutes entre la générosité et la culpabilité. Si j'étais dans votre situation il est fort probable que je réagirais de même que vous. Mais il y a des situations qui me laissent perplexes, et permettez moi de vous raconter une anecdote.
    Dimanche dernier nous avions décidé «bobonne» et moi, de s'offrir une fantaisie: Aller au Mont Washington. Je ne vous accablerai pas avec les détails du magnifique voyage que nous avons fait sauf un événement dont nous avons été témoins au passage de la frontière.
    Comme nous vivons dans les Bois-Francs, nous optons pour le passage à la douane de Chartierville. C'est vraiment l'arrière pays, au sud du Mont Mégantic, et c'est le village suivant La Patrie.
    Arrivé en haut de la côte abrupte il y a un plateau et les douanes américaines et canadiennes sont séparées par environ 500 pieds.
    En arrivant en haut de la côte donc, nous aperçumes quatre ou cinq gros véhicules stationnés en bordure de la route. Continuant notre chemin nous avons ensuite aperçu un groupe de personnes au milieu du chemin qui gesticulaient en se déplaçant à pied vers la frontière canadienne.
    En regardant de plus près nous nous sommes aperçus que c'était un groupe d'étrangers. Une douzaine, tous des jeunes hommes, manifestement d'origine soit Päkistanaise ou indienne ou Bengali allez savoir, mais un groupe compact et homogène accompagné d'un blanc qui smeblait les diriger. Et ce n'était pas un douanier...
    Je ne suis pas particulièrement opposé à l'immigration, mais je dois dire en toute honnêteté que cela m'a rendu mal à l'aise. Qu'est-ce que ces gens faisaient dans le no where de Chartierville à 8 heures du matin le 12 octobre ? Pourquoi là précisément. Qui étaient ces gens qui les attendaient ? Des zélotes humanistes ? Pourquoi est-ce que j'éprouve ce sentiment de malaise devant ce spectacle ?
    Ça n'a rien à voir avec vos basques évidemment. Mais tout de même, je m'interroge. Et je me pense pas que j'aurai de réponse à mes questions malheureusement.
    Et je pourrais aussi vous raconter qu'en revenant, en soirée, nous avons vu du côté américain, en plein bois sur le bord de la route, une dizaine de voitures stationnées en bordure. Étais-ce un autre voyage placé là en attente du jour pour déverser sa cargaison ?
    C'est fou ce qu se passe aux frontières et que nous ne savons pas.

  • Archives de Vigile Répondre

    13 octobre 2008

    M. Durand,
    La suggestion d’utiliser des pancartes du Bloc Québecois ayant servi à la présente campagne fédérale afin d‘écrire au verso : « DEPORTAZIOA GELDITU – ARRÊTONS LA DÉPORTATION et IBAN ASKATU – LIBERTÉ POUR IVAN », est d’une irresponsabilité inqualifiable puisque le Bloc Québécois ne peut être relié, même indirectement, à la défense d’un membre du groupe terroriste ETA, lequel groupe de sicaires a à son compte 1 000 assassinats.
    À cet effet, je viens juste de téléphoner au bureau de Monsieur Duceppe, chef du Bloc Québécois, pour l’avertir de votre suggestion afin qu’il prenne les mesures nécessaires pour éviter une telle action.
    JLP