Si Jeanne Mance avait eu des boules...

Chronique de Jean-Pierre Durand

Le 17 mai dernier, le conseil municipal de Montréal, reconnaissant le rôle exceptionnel de Jeanne Mance (1606-1673) dans l'établissement, la survie et la consolidation de la mission de Ville-Marie, proclamait celle-ci fondatrice de Montréal à l'égal du fondateur Paul de Chomedey, sieur de Maisonneuve. La nouvelle a été largement diffusée et a fait l'objet d'au moins deux chroniques mordantes.
La première, "L'histoire détournée", signée par Christian Rioux dans Le Devoir du 8 juin, reprochait aux édiles municipaux d'avoir flanqué Maisonneuve d'une cofondatrice. Si Rioux concède à Jeanne Mance un rôle important, il soutient - s'appuyant entre autres sur l'explication de l'historien Éric Bouchard - qu'"aussi grand qu'ait pu être l'apport de Jeanne Mance, et il le fut, il n'était pas du même ordre". Il associe ce besoin du maire Tremblay de donner une place à une femme à de la révision et à de la rectitude historique.
Quelques semaines plus tard, Lysiane Gagnon, cette fois dans La Presse du 21 juin, lui emboîte le pas, en usant sensiblement des mêmes termes: correction politique et révisionisme historique. Plus sarcastique, elle ajoute: "Et voilà le modèle de Québec solidaire et de la CLASSE, avec leurs couples homme-femme comme porte-paroles, plaqué sur le XVIIe siècle !"
Ni l'un ni l'autre n'entendent sous-estimer le rôle important joué par Jeanne Mance, là n'est pas la question, mais ils s'en prennent au déboulonnage qui répondrait à des impératifs d'une mode égalitaire aux accents féministes et romantiques qui a cours ici comme ailleurs. Cette explication me convainc, mais je ne serais pas insatisfait quand même d'entendre d'autres sons de cloche, question de me faire une petite idée. J'ai appris avec le temps à me méfier de ce qui m'apparaît par trop raisonnable et allant de soi. Prenez les Amérindiens. À la petite école "du rang" (j'ai pris du temps à comprendre qu'elle n'était pas nommée ainsi en mon honneur), on parlait des sauvages et des Saints Martyrs canadiens... eh bien, laissez-moi vous dire que les premiers n'avaient pas les meilleurs rôles. Il faudra que j'attende le cégep et que je tombe sur le Petit manuel d'histoire du Québec de Léandre Bergeron pour abandonner mes idées fixes.
Ceci dit, je ne suis pas a priori contre les déboulonnements, qu'il me suffise de mentionner la colonne Nelson et la statue de la reine Victoria à Montréal, dont j'ose croire un jour qu'un gouvernement québécois les fera sauter à la dynamite ou les renverra à Londres avec la mention Return to sender.
Ceux qui ont l'esprit mal tourné, qui ont encore en tête le titre de cette chronique à ce moment-ci de leur lecture et qui m'attendent avec une brique et un fanal au détour, prêts à me lapider pour usage de blagues sexistes, vont devoir ravaler leur fatwa, car les boules dont il est question se réfèrent au jeu de la pétanque. En effet, quand j'ai lu le texte de Rioux, il m'est venu en tête le souvenir de Jeanne-Mance et de sa soeur Jeanne-d'Arc, deux petites vieilles avec qui il m'arrivait - cela doit fait vingt ans - de m'adonner à ce plaisir coupable: le jeu de boules. Elles devaient avoir chacune aux alentours de 80 berges.
Cela se passait dans un camping lanaudois, où la seule activité à part avaler des maringouins était de jouer une partie de pétanque. Jeanne-Mance comme Jeanne-d'Arc avaient de bien belles boules et d'aucuns admiraient leur prouesse au jeu. C'est vrai qu'elles avaient des boules de compétition Obut, alors que les miennes n'étaient même pas griffées. Jeanne-Mance avait la peau toute plissée, mais, sitôt qu'elle étirait le bras pour lancer sa boule, toutes ses rides disparaissaient et elle retrouvait, le temps béni d'un déplissage, le visage de ses quarante ans. Mes enfants, qui étaient encore à l'école primaire, me crurent sur parole quand je leur ai dit que je jouais avec rien de moins que "la" Jeanne Mance qui avait fondé Montréal. Remarquez que cela ne les impressionnait pas tant que cela, tant il est vrai qu'à leur âge j'aurais eu plus de succès si je leur avais dit jouer avec Youppi ou Patapouf. Ah, les enfants !
Tout cela est de l'histoire ancienne. J'ai entendu dire entre les (vieilles) branches que Jeanne-Mance ne jouait plus aux boules depuis longtemps déjà, qu'elle aurait même perdu un peu la boule. Quant à Jeanne-d'Arc, elle s'est éteinte il y a cinq ans dans un foyer pour personnes âgées. Je suppose qu'elle a été incinérée, ne pouvant échapper à son funeste destin.
Mais revenons à nos moutons. Êtes-vous d'avis que Jeanne Mance est à la place qui lui revient ou usurpe-t-elle des honneurs qu'elle ne mérite pas ? Pour en discuter, je vous invite à passer au salon mercredi soir prochain, le 3 juillet, à 19 heures, alors que la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal accueille comme invité l'écrivain Richard Gougeon, auteur du roman historique Les Femmes de Maisonneuve, dont le premier tome est consacré à Jeanne Mance. Il nous parlera de son métier d'écrivain et, bien entendu, de son héroïne. Venez placoter avec nous. C'est à la maison Ludger-Duvernay (82, rue Sherbrooke Ouest), à Montréal. Et c'est gratuit.
Si Jeanne Mance, la première, avait eu des boules, peut-être s'en serait-elle servies pour éloigner les Iroquois ou, plus prosaïquement, pour jouer une partie de pétanque... Mais, ni vous ni moi n'y pouvons rien, Jeanne Mance n'avait pas de boules. Par contre, elle avait de ces couilles !


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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    27 juillet 2012

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  • José Fontaine Répondre

    1 juillet 2012

    Jeanne me fait penser à Jeanne d'Arc qui est à situer comme femme aussi. On parle à ce propos du prophétisme féminin en un temps où les femmes n'étaient pas aussi égales que les hommes que maintenant (mais maintenant...?), et où, par conséquent, c'était vers elles que l'on se tournait quand tout avait raté. L'idée qu'une femme allait sauver la France était répandue du temps de Jeanne. Cela n'enlève rien au caractère extraordinaire de ce qu'elle fit. D'ailleurs, une histoire n'est jamais aussi belle que si la raison en enlève le merveilleux inutile pour que l'on en goûte mieux le merveilleux simplement humain. Elle dura un an militairement, politiquement, le temps que, en cet an de grâce, "se mit à reluire le soleil" pour le vieux pays de France, comme l'écrivit Christine de Pisan. Elle tint tête au roi, à ses juges, aux prêtres faisant preuve d'intelligence et de courage. Elle fut brûlée à 19 ans. Mais on sait tout d'elle parce qu'elle rencontra trois types de procès, le premier où elle fut examinée à Poitiers par de simples enquêteurs s'interrogeant sur ce qu'elle était, d'où elle venait, durant trois semaines (pour voir si le dauphin, futur Charles VII, pouvait l'admettre dans son entourage). Le deuxième procès fut celui de sa condamnation. Le troisième de sa réhabilitation demandée par sa mère bien après son exécution, sa mère qui vivait encore et qui était juridiquement la personne qui devait introduire cet appel à révision. Trois procès pour une fille ayant vécu 19 ans, avec la minutie du moyen-âge (minutie vient de cette époque où l'on faisait des minutes, des procès-verbaux à la main, d'où "minutes", "minutes" d'un procès), permettent de dire que ce personnage est le mieux connu de toute l'histoire. Bergson la mettait au rang des mystiques authentiques, ne faisant pas de différence entre l'amour de Dieu et celui des hommes. Il faut l'entendre réclamer des Anglais redditions, reculs, "au nom du roi du ciel", sentiment d'une Justice plus grande que celle de la Terre et d'une fraternité car il y avait grande pitié au Royaume de France. On ne comprend pas que le Front national en fasse son héroïne. Jeanne ne révérait le roi qu'en fonction d'un Ordre qui le dépassait infiniment. Et sa vocation (ses voix), sont quelque chose de si simplement courant dans le monde : des gens qui se sentent appelés parce que plus rien ne va et qui, à cheval sur la croix au milieu des étoiles appellent Dieu au secours... Dans son pamphlet extraordinaire contre le fascisme espagnol ("Les grands cimetières sous la lune") Bernanos se tourne en fin de compte vers Jeanne, Bresson en fit une résistante, et Rivette , un cinéaste marxiste, un film de six heures très étonnant qui révèle que l'histoire la mieux connue ne nous passionne parce que l'on voudrait en connaître la fin mais à cause de la durée qui en un sens n'est ni fin, ni commencement http://www.grignoux.be/dossiers/028/
    Amitiés à Jean-Pierre et à tous les amis du Québec et merci pour ceux qui m'encouragent à écrire dans VIGILE, grande réussite du Québec...