Marilou chante en anglais avec ses propres mots !

Chronique de Jean-Pierre Durand

La chanteuse québécoise Marilou, née Marilou Bourdon, sortait la semaine dernière, après s’être tenue à l’écart de la scène pendant trois ans, un nouvel album, mais cette fois en anglais : « 60 Thoughts A Minute ». On se rappelle que cette chanteuse avait débuté très tôt dans le métier, plus précisément à l’âge de 11 ans. Cela aurait pu mal finir, quand on pense que son imprésario d’alors était nul autre que Guy Cloutier. En 2002, la chanson « Je serai là pour toi », qu’elle interprète en duo avec le baryton Gino Quillico, devient un immense succès.
Avec la sortie de ce premier album en anglais, on apprend que la chanteuse s’était inscrite à temps plein dans une université à Los Angeles, afin d’y perfectionner son anglais. Il faut croire que l’immersion totale a donné des résultats, puisque la jeune femme, née de parents unilingues francophones (tient-on à préciser), parle maintenant couramment l’anglais, et sans accent! Qui plus est, elle a elle-même écrit les textes. Marilou, qui écrit maintenant plus vite que son ombre, a précisé : « Pour une fois dans ma vie, ce sera moi, mes propres mots… » (c’est nous qui soulignons). Mais, généreuse, elle n’a pas renoncé pour autant à chanter en français pour la population indigène (autrement dit, si d’aventure sa carrière anglophone ne décollait pas, elle pourrait nous revenir tel l’enfant prodigue). C’est bon à savoir qu’on reste au moins quelque chose comme un… prix de consolation!
Au fond, elle n’est pas la seule chanteuse d’ici à passer à l’angliche afin d’accéder au marché américain et même au-delà, jusque dans les haut-parleurs du Tim Horton de Kandahar si ça se trouve. D’autres l’ont fait avant elle. Quand la grenouille veut se faire aussi grosse que le boeuf, elle commence par apprendre l'anglais. Cet engouement effréné pour l’anglais, cette anglomanie, est dans l’air du temps et démontre la force d’attraction de l’industrie culturelle anglo-américaine sur nos vies. Même si l’hégémonie américaine est en recul dans le monde, sa langue, son cinéma, son industrie du spectacle, bref, l’American way of life, sont toujours à la mode. Rien d’étonnant alors que les Elvis Gratton poussent comme de la mauvaise herbe au pays du Québec. Nous aimons tant l’Amérique que quiconque de nos personnalités artistiques rencontre un certain succès aux States, ou même se produit dans une salle perdue d’une ville américaine, se verra envié, adulé et promis aux plus grands espoirs. Et on regardera comme des minus « ceux qui se contentent d’une carrière locale ».

Quand on a appris que Karine Vanasse tenait le rôle d’une agente de bord dans le feuilleton américain Pan Am, que Gregory Charles se produisait dans une salle obscure de New York ou qu’un réalisateur d’ici se voyait offrir de tourner en anglais, tous les commentateurs artistiques à Radio-Canada et ailleurs étaient comme subjugués, émus comme des midinettes, le poil de leurs jambes n’en finissant plus de s’exciter. On n’avait pourtant même pas encore vu leurs performances respectives que déjà l’applaudimètre s’emballait à tire-larigot, qu’on se pétait les bretelles et que le Journal de Montréal jouait cela à la une. Cela en dit long sur notre profil de colonisés!
Non seulement on accorde une plus-value à l’anglais, mais encore faut-il bien le maîtriser pour ne pas se faire ridiculiser. Certains humoristes raillent toujours la difficulté de Pauline Marois de s’exprimer en anglais, comme si c’était une tare dans un Québec dont la langue officielle et commune est pourtant et, jusqu’à nouvel ordre, le français. En contrepartie, on s’extasie sitôt qu’un anglophone lance la seule phrase qu’il ait apprise en français : « Bejour Couébec ! » et l’on se dit qu’après tout, cela valait bien la peine de débourser 85$ pour le billet même si nous étions gêné par une colonne dans la dernière rangée. Et cette autre manie de parler bilingue, de chanter bilingue, comme si cela n’avait aucune conséquence à long terme. D’abord, on parle français couramment, puis on parle bilingue, enfin on passe carrément à l’anglais. L’histoire de l’Amérique du Nord foisonne d’exemples en ce sens : les francophones de l’Ouest canadien, les Acadiens de Nouvelle-Écosse et de la région de Moncton (avec le fameux chiac), les Franco-Américains de la Nouvelle-Angleterre… Ce qui nous donne des groupes comme Radio Radio qui enlignent un mot anglais et un mot français à tour de rôle (il est vrai que le groupe vient des Maritimes), des spectacles comme ceux de Sugar Sammy « 50,5% in English et 49,5% en français » et tout le charabia bilingue des réseaux sociaux et des médias (lol).
J’écris tout cela, mais que l’on ne se méprenne pas sur mes intentions. Je n’ai rien contre l’apprentissage de l’anglais comme langue seconde ou comme langue de culture. J’en ai contre cette survalorisation indécente de l’anglais, ce complexe d’infériorité devant l’anglais qui ne repose que sur beaucoup d’ignorance et de bourrage de crâne, cet aplaventrisme devant tout ce qui est anglo-américain, ce comportement à la Elvis Gratton, cette attitude de « colon » colonisé. Je pense aussi à ce genre de zarzais comme Simon Jodoin, sur le site culturel de Voir, qui braillait l’autre année sur le sort des chanteurs anglophones qui n’étaient pas invités à chanter en anglais lors de la Fête nationale... alors que l’anglais est omniprésent tout au long de l’année dans les spectacles et festivals musicaux (Festival d’été de Québec, Festival de jazz, Osheaga, etc.), que la chanson anglaise occupe une place enviable, voire prépondérante et boulimique, dans les médias francophones sans qu’on ne trouve rien à redire et, forcément, sans que l’abominable Jodoin, dans son incommensurable cécité et son extrême surdité, ne s’en rende compte.
Et Marilou dans tout cela? Quant à moi, aussi bien vous le dire, elle peut bien aller se faire cuire un œuf. Il y a déjà assez de chanteurs anglo-américains sur mon chemin sans avoir besoin de copies à cinq cennes.


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6 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    5 mai 2012

    Mais de quel "Jodoin" parlez-vous? Je n'ai rien à
    voir avec le monde du spectacle !! Aurais-je un
    homonyme qui s'y vautre, qui s'y noie, et vit un
    fantasme de subjugation à la "langue des maîtres"?
    Bof, tout ça ne saurait durer; les empires n'ont
    qu'un temps. Et comme l'Histoire est en mode
    accélération, tout ça sera vite fini.
    C.J.

  • Archives de Vigile Répondre

    4 mai 2012

    @ O
    Nous n'avons pas baissé les bras en ce qui concerne notre dossier de la nationalité française. François Hollande n'a-t-il pas réaffirmé la politique de non-ingérence et de non-indifférence envers le Québec ? Nous verrons, le cas échéant, ce qu'il y a lieu de faire.
    Pour ce qui est de Christopher Hall, je préfère être prudente, plutôt que trop optimiste. Nous ne comptons plus le nombre de fois où nous avons été trahis au nom du multiculturalisme, de l'ouverture et de la tolérance. Je me méfie comme de la peste de ce genre d'exercices. Il lui appartient de faire ses preuves.

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    3 mai 2012

    @ MMV
    Non, ça s'appellera Folkfest... comme à Saskatoon! Toutes les minorités sont invitées à tenir kiosque pour présenter des démonstrations de leur folklore. Nous serons encouragés à une fête toute en français avec costume traditionnel pour danse et chants d'époque. Comme nous serons alors citoyens Français :-) nous serons fiers d'honorer la Nouvelle-France...
    Cependant, Christopher Hall ne devrait pas éveiller de soupçons comme cheval de Troie. Ontarien d'origine, de descendance allemande, trompettiste, il semble fort bien intégré, que je sache. Tout comme Jim Corcoran, grand fouilleur de la langue française.

  • Archives de Vigile Répondre

    2 mai 2012

    Peut-être que les pauvres chanteurs anglophones québécois, dont le marché est si restreint...!!!, auront l'occasion de chanter dans leur langue, puisque Christopher Hall, l'Anglais de service, sera de la Fête nationale (vous vous souvenez? il s'agit de la Saint-Jean-Baptiste) avec Louise Forestier. Il se serait donné comme mission d'attirer des clientèles peu intéressées à notre Fête nationale. Comment s'y prendre ? Sans doute en favorisant des chansons en english. L'amour entre les deux solitudes sera au rendez-vous et je suis certaine que beaucoup voteront pour le PQ à la prochaine élection.
    Dans quelques décennies, la Fête nationale sera en langue anglaise.
    Soyons vigilants, car le pire est peut-être à nos portes.

  • Archives de Vigile Répondre

    2 mai 2012

    "Je n’ai rien contre l’apprentissage de l’anglais comme langue seconde ou comme langue de culture. J’en ai contre cette survalorisation indécente de l’anglais, ce complexe d’infériorité devant l’anglais qui ne repose que sur beaucoup d’ignorance et de bourrage de crâne, cet aplaventrisme devant tout ce qui est anglo-américain, ce comportement à la Elvis Gratton, cette attitude de « colon » colonisé."
    Cette survalorisation de l'anglais commence tôt chez nos jeunes aujourd'hui... Une expérience personnelle que j'ai vécue hier. J'ai consulté un site internet pour obtenir de l'information concernant un de mes petits-fils (10 ans) qui joue au football dans une ligue AAA près de Montréal et quelle ne fût pas ma surprise en voyant le nom des différentes équipes: Packers, Pirates, Wildcats (son équipe), Stallions, Hornets, Warriors, Cougars, Barons, Spartans, Raiders, Pantheres, Cheetahs, Bulldogs, Rhinos, Vikings, Grizzlis, Diablos, Western patriots, Bobcats etc...
    Et quand j'en ai fait part à sa mère, elle m'a répondu :"Moi j'aime bien le nom Wildcats, chat sauvage est assez ordinaire."
    Il y a toute une charge émotive et psychologique pour des jeunes de cet âge vis-à-vis de tels noms anglais. Ça fait "Homme" (surtout au football) alors qu'on semble dire que ça fait "tapette" en français.
    Heureusement, les équipes professionnelles ont compris le message même si ce dernier ne s'est pas encore rendu dans les ligues mineures. Les entraîneurs et les parents auraient un rôle à jouer ici, encore faudrait-il qu'ils en soient conscients.

  • Louis Méthé Répondre

    2 mai 2012

    On trouve sur l’encyclopédie de l’Agora la définition suivante du mot peuple :
    «C'est par opposition au mot masse que l'on comprend le mieux le sens du mot peuple. Le peuple est fait d'acteurs, la masse est faite de voyeurs. Le peuple a besoin d'inspiration. La masse attend d'être galvanisée. Le peuple enfante ses héros. La masse subit les vedettes fabriquées par les médias. Le peuple chante. La masse écoute la musique commerciale. Le peuple a une voix. La masse n'a que des oreilles. Le peuple crée sa culture. Dans la masse, le divertissement industrialisé tient lieu de culture.»
    Les Québécois, un peuple ou une masse?
    Un grand peuple ou une grosse masse?