L'abbé Gravel se repent et le Bloc se reprend dans Repentigny

Chronique de Jean-Pierre Durand

À Repentigny, ou Repen, comme disent les jeunes qui y crèchent parce qu’un jour leurs parents ont eu le malheur d’opter pour la banlieue, il y aura élection le 14 octobre comme partout ailleurs dans ce qu’on appelle le Canada. Notre député était l’abbé Raymond Gravel, mais les pressions exercées auprès du Saint-Siège à Rome par une trâlée de zélés mangeux de balustre et autres grenouilles de bénitier, des fédéralistes du ROC pour la plupart, auront sonné le glas de l’engagement dans l’arène politique de notre bon curé. Quand j’ai appris la nouvelle, j’étais en beau joual vert, et, aussi, choqué que l’abbé obtempère et rentre dans le rang sans s’insurger. D’apprendre par-dessus le marché que tout cela était venu aux portes de grange de Benoît XVI, né Ratzinger, via la droite religieuse que j’abhorre, voilà qui dépassait les bornes. Ah, ce que j’en ai voulu au pape B-16, comme on dit lors du bingo paroissial. J’ai même songé à abjurer ma foi, ne plus payer ma dîme et, pire, mettre sur eBay mon recueil de recettes de Sœur Angèle et mon 33-tours de Sœur Sourire. C’est dire comme j’étais en caliboire.
C’est que je l’aimais bien Raymond Gravel. Une bonne bouille à part ça. C’était un député engagé pour la plèbe, plus Peppone que Don Camillo si vous voyez où je veux en venir. On le croisait souvent dans le comté alors qu’on le croyait à Ottawa, si bien que le bruit courait ici et là qu’il avait le don d’ubiquité. Et il avait des idées qui lui tenaient à cœur, comme son projet de loi privé C-40 qui aurait facilité l’accès des personnes âgées au supplément de revenu garanti. Et ses convictions indépendantistes étaient réelles. Je n’oublierai pas cette rencontre, organisée par la section Pierre-Le Gardeur de la SSJB, au plus fort du débat sur les accommodements raisonnables, où j’avais sermonné la conférencière sur un point en particulier et terminé mon laïus par une petite envolée indépendantiste bien sentie que n’avait pas eut l’heur d’apprécier l’invitée. N’empêche qu’à la fin de la soirée, le député Gravel, alors nouvellement élu et présent dans la salle (et sans doute présent au même moment à la Chambre des communes!), était venu me saluer et m’avait dit « je suis bien d’accord avec vos propos de ce soir». Comme je n’y étais pas allé avec le dos de la cuillère, ce commentaire m’était apparu comme une bénédiction, comme si le bon Dieu était de mon bord.
Mais bon, l’abbé Gravel a fait le choix de retourner auprès de ses brebis, et chacun sait que les voies du Seigneur sont impénétrables. N’empêche que nous ne sommes pas chanceux à Repentigny. Au provincial, nous avions Jacques Parizeau, et nous l’avons perdu à cause de l’argent et des ethnies, ensuite nous avions Jean-Claude St-André, et il a été battu de justesse à cause de la déferlante adéquiste. Au fédéral, nous avions Benoît Sauvageau, et il s’est tué dans un accident bête comme tout, ensuite nous avions l’abbé Gravel et cela chatouillait Sa papauté. Cout’donc, faudrait-il moi itou que je me mette à crier : « Y’a pas de place nulle part pour les Ovide Plouffe du monde entier! » Avec tous ces députés partis, me voilà bien dépité! Mais il faut en revenir un jour, alors on se jette une tasse de camomille derrière la cravate, on respire par le nez et on se calme le pompon.
Finalement, la nature ayant horreur du vide, le Bloc québécois a tenu une course à l’investiture qu’a remportée Nicolas Dufour. Quand j’ai appris la nouvelle, j’ai eu un sacré choc. Ma femme lisait l’Hebdo Rive-Nord où l’on annonçait qu’un jeune de 12 ans se présenterait pour le Bloc! Douze ans? Il faut dire que j’étais assis en face de bobonne et que je faisais l’exercice de lire à l’envers, j’avais donc inversé les chiffres. Reste que 21 ans c’est jeune en bébite. Pourtant, en y réfléchissant bien, sir Wilfrid Laurier, qui donna son nom à une boîte de cigares (je l’ai vue à Saint-Lin, dans sa maison natale), comme Laura Secord donna le sien à une boîte de chocolats, eh bien, ce Laurier-là commença en politique dès l’âge de dix ans en prenant le parti des réformistes de Lafontaine et de Baldwin (je tiens ma source d’un certain Wiki Pédia avec qui je clavarde à l’occasion). Vu sous cet angle, le jeune Nicolas s’y prend tard. Je lui en aurais bien fait la remarque, mais ma femme était passée avant moi et lui avait dit exactement le contraire. On aurait eu l’air d’un couple dépareillé, si bien que j’ai fermé ma grande trappe.
Ceux qui me connaissent un brin le savent et ceux qui ne me connaissent pas s’en sacrent, c’est un secret de polichinelle que je vais voter pour le Bloc, même si sur l’échelle Richter de la politique je suis plutôt du côté des radicaux. Je vote Bloc pour les mêmes raisons que Victor-Lévy Beaulieu va voter Bloc (« La présence du Bloc à Ottawa est un mal nécessaire et a un rôle essentiel à jouer pour préparer et forcer la main des indépendantistes pour qu'ils comprennent l'urgence de faire l'indépendance.»). Je vote Bloc à cause de Jean Dorion, un homme de conviction et un grand Québécois, pour qui je souhaite un succès éclatant dans Longueuil-Pierre-Boucher. À cause de la sympathique Maria Mourani aussi... et de combien d’autres. Je vote peut-être Bloc à cause de ma cousine germaine, députée bloquiste, et du souvenir de cette joyeuse journée d’hiver passée chez les grands-parents Durand, alors qu’on avait entonné en chœur une chanson de Francis Lopez : « Heureux comme un roi », à laquelle on ajoutait à tout bout de champ, pour rire, la phrase « pas de culotte, pas de culotte ». Chose sûre, contrairement à Ghislain Lebel, jamais au grand jamais je ne voterai pour un candidat conservateur, plutôt annuler mon vote ou même voter marxiste-léniniste (ce qui est, vous l’aurez deviné, une tautologie).
Dans Repentigny, les candidats qui affrontent Nicolas Dufour laissent plutôt à désirer. Il y a le conservateur Bruno Royer, qui ressemble à un vendeur de chars comme deux gouttes d’eau. D’emblée, il a déclaré au journal local qu’il n’a pas l’intention de faire des promesses s’il est élu, préférant se mettre à l’écoute des gens du comté. Ça promet. Le candidat libéral, Robert Semegen, lui, est un authentique vendeur de chars (Repentigny Toyota… ceci n’est pas un placement de produit, sachez-le). Semegen a fait cette déclaration au journal local (Hebdo Rive-Nord, 20 septembre 2009, page 9) : « Même si on mettait un cochon au Bloc, il passerait quand même. » Si ce gros porc le dit, pourquoi diantre se présente-t-il alors? Eh bien, dit-il, « je suis prêt à n’importe quoi pour nettoyer ce bel environnement. » Sous-entendu : même à me vautrer dans le purin. Et, plus loin : « Je suis une personne pour qui le respect est d’une extrême importance. » Arrête ton char, Ben Hur! Et il y a Réjean Bellemare, pour le NPD, qui espère se faufiler parmi les autres et remporter la mise. Bien que je sois sensible à son propos, je refuse de voter pour ce parti centralisateur, avec un Mulcair qui fut l’avocat d’Alliance Québec, une candidate Anne Lagacé-Dowson qui met sur un pied d’égalité Gaston Miron et Mordecai Richler (au combat des livres à Radio-Canada) et un parti qui n’a jamais pris position contre la partition du Québec (à l’exception de Svend Robinson qui l’avait fait mais à titre personnel) et qui a voté pour la loi sur la clarté.
Hier, au centre-ville de Montréal, j’ai rencontré Pierre Chénier, un ami que je n’avais pas revu depuis 25 ans. On était étudiants à l’UQAM en études littéraires et on rêvait de changer le monde. On militait alors pour le parti marxiste-léniniste, que j’ai quitté début des années quatre-vingt. (NOTE : Gilles Duceppe militait pour sa part dans le Parti communiste ouvrier, une organisation similaire.) Pierre diffusait justement un tract pour le parti marxiste-léniniste. Il se présente d’ailleurs à nouveau comme candidat dans la circonscription de Mississauga-Est – Cooksville, en Ontario. Pierre m’a dit qu’il restera au Québec jusqu’aux élections… « après tout, je suis Québécois! » La dernière fois, en 2006, il avait obtenu 164 votes dans Mississauga, se pourrait-il qu’il en obtienne moins cette fois-ci? Pierre est devenu entre-temps l’un des principaux dirigeants de son organisation, fondée par Hardial S. Bains, un type qui n’aura jamais au courant de sa vie appris un traître mot de français. Pierre m’a parlé du combat révolutionnaire que mène son parti, sans chercher à savoir où je me situais politiquement aujourd’hui, car, bien entendu, cela ne l'intéressait pas et, hors de sa secte, point de salut ! Finalement, il m’a fait un petit peu penser au pape et je n’ai pas attendu sa bénédiction pour aller voir ailleurs si j’y étais.
Jean-Pierre Durand


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    10 octobre 2008

    Merci M. Durand pour vos savoureux billets. Je me délecte à chaque mouture. Votre vision juste sous le couvert d'un humour de pince-sans-rire tranche sur ma morosité d'indépendantiste trahi.
    Guy Le Sieur
    Vive la République de l'Amérique française