Qu'il lise au moins son propre journal, bordel!

Chronique de Jean-Pierre Durand

D’entrée de jeu, Benoît Aubin, dans le Journal de Montréal du 2 juillet, confesse sa « vision plutôt optimiste du français au Québec et dans le monde ». Mais, à son grand désarroi, cela n’a pas l’heur de plaire aux « vrais » – on aura compris qu’il utilise cette épithète à des fins moqueuses – défenseurs de la langue. Qu’à cela ne tienne, Aubin persiste et signe: tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.
Évidemment, on n’établit pas un pareil constat, parfaitement idyllique, sans écorcher au passage tous ceux qui sonnent l’alarme. Nous avons donc droit en prime à la panoplie de poncifs les plus éculés et répandus qui soient à l’endroit des nationalistes, toutes tendances confondues et tous mis dans la même sac sans distinction: vision misérabiliste, gens intolérants, approche territoriale archaïque, repli, attitude défaitiste. N’en jetez plus, la cour est pleine.
En contrepartie, Aubin, comme dans la célèbre publicité de Viagra où le type gambade de joie pendant qu’on entend «quel entrain, ce matin… », nous parle d’une langue française florissante, conquérante, dont le statut et le prestige atteignent une hauteur vertigineuse. C’est toutefois dans sa démonstration qu’on découvre qu’Aubin nous offre un salmigondis d’exemples qui ne tiennent pas la route. Ainsi, il parle de «poussées importantes du français (comme langue seconde) au Brésil, en Chine… », mais on pourrait en dire tout autant pour l’anglais, l’espagnol, l’allemand, voire le russe, dans ces mêmes pays et ailleurs. Quelle leçon le Québec doit-il en tirer? Au Brésil, la langue commune, officielle, du travail, d’affichage, c’est le portugais à ce que je sache. Et pour la Chine, ce doit bien être le chinois, non? Or, c’est justement ce que le Mouvement Québec français préconise et réclame pour le Québec: du français, là où ça compte.
Plus loin, Aubin évoque les années de son adolescence en parlant des mots anglais (slapshot, windshield…) qui parsemaient les phrases françaises… alors que tout cela serait aujourd’hui de l’histoire ancienne. Et pour cause, car de nos jours la tendance est plutôt d’émailler son propos de phrases anglaises. Belle avancée. De quoi se péter les bretelles. Il poursuit en faisant allusion aux progrès dans l’affichage (je me suis même demandé si Aubin n’avait pas écrit cette phrase il y a quarante ans), alors que justement l’affichage bilingue, voire anglais, reprend du poil de la bête. Il s’émerveille que 99 fois sur cent – chiffre mirobolant et sans doute arrangé avec le gars des vues – on se fait servir en français boulevard Saint-Laurent… omettant de dire que l’on se fait de plus en plus souvent aborder itou en anglais à Montréal, y compris dans l’Est, réputé pourtant francophone. Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.
Puis Aubin se fait le chantre du bilinguisme pour « conquérir le monde et rayonner », sans reconnaître que, dans ce bilinguisme qui l’émerveille tant, les deux langues ne sont pas sur un pied d’égalité, mais qu’au contraire ce n’est qu’un état transitoire, qu’une question de temps, si des mesures énergiques ne sont pas prises, avant que la langue dont le prestige et le poids démographique sont supérieurs en vienne à éclipser l’autre. Comme disait un de mes amis : « Monsieur Aubin ne fait que se tirer dans le pied puisqu’il encourage par sa désinvolture idéologique un bilinguisme qui va entraîner forcément et à terme ses lecteurs à lire de plus en plus ses concurrents anglophones… Au fait, je défie quiconque de me démontrer que l’assimilation linguistique sur plusieurs générations – quelqu’en soit la langue – ne passe pas forcément par le bilinguisme systématique. »
Cette chronique du Journal a été écrite avec une plume tenue par une autruche et nous serions les dindons de la farce si nous nous laissions embobiner sans crier à l’imposteur. Si Benoît Aubin faisait au moins l’effort de se renseigner, peut-être verrait-il que sa vision est biaisée. Il devrait lire les textes de Josée Legault dans Voir, de Charles Castonguay dans L’Aut’journal, les textes sur la langue parus dans Vigile, les livres du linguiste Claude Hagège… Il devrait aller voir sur le site du Mouvement Québec français et porter attention aux études de l’Institut de recherche sur le français en Amérique… Bref, il devrait se documenter avant de tomber dans les inepties. Et si c’est encore trop lui demander, il n’a pas même besoin d’aller si loin, car dans son propre canard, il se trouve des chroniqueurs pour sonner régulièrement l’alarme sur le recul du français avec preuves à l’appui et sans lunettes roses. Il faut croire qu’il ne se donne même pas la peine de les lire. Pourtant, c’est élémentaire, il me semble, sinon, ce qui risque de lui arriver, c’est qu’un beau matin il y aura une notice nécrologique à son nom dans son propre journal et il ne sera même pas fichu de la voir. Il est vrai que ce n’est pas dans les habitudes de l’autruche, qui passe une partie de sa vie la tête dans le sable, de se soucier de sa sépulture.


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5 commentaires

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    9 juillet 2012

    Cas très rare, ces derniers jours, Martineau a nommé tous ses collègues de chez Péladeau pour confirmer que ce ne sont pas des journalistes, mais des "chroniqueurs" payés pour développer une idéologie précise moyennant rémunération qu'ils ont jugée suffisante!
    http://blogues.journaldemontreal.com/martineau/franc-parler/pencher-du-meme-bord/
    Ceci pour justifier qu'ils tapent toujours sur le même clou, par opposition aux journalistes de Radio-Canada, qui, employés de l'État, devraient garder la neutralité... (attaque sur Pierre Duchesne)
    Pas de cachette: Mercenaires. Comme les éboueurs: bien payés pour la job sale. Ça devrait nous enlever de l'émotion si on tombe sur leur papier...

  • Jean-François-le-Québécois Répondre

    6 juillet 2012

    J'ai lu le texte en question... rédigé par le dit «journaleux», oui, dans le Journal de Québec.
    J'ai ri, franchement.
    Mais, je dois avouer que j'étais un peu surpris du genre de «vision» ainsi exprimée. Après tout, le Journal de Montréal et le Journal de Québec, ne sont pas La Presse, du clan Desmarais. Et Aubin en mettait encore plus qu'André Pratte en aurait mis...

  • Jacques Dubreuil Répondre

    6 juillet 2012

    Bravo monsieur Durand. D'ailleurs, le bilinguisme tant vanté par Aubin, ce bilinguisme qui ouvrirait les portes des honneurs et de la richesse, ce bilinguisme, on le voit bien, n'est que démagogie puisque le Québec est la province la plus bilingue... et la plus pauvre, la plus taxée, la plus endettée et avec Charest le bilingue, la plus corrompue, du moins au dire de ses petits copains.

  • Gaston Boivin Répondre

    6 juillet 2012

    Ce ''dividu'' (pour paraphraser le journaliste Claude Poirier), considérant son immense potentiel pour diagnostiquer favorablement l'état de santé de la langue française au Québec et pour afficher son immense mépris (empreint de préjugés à leur égard) pour ceux qui s'inquiètent de sa situation précaire, devrait quitter le journal de Montréal et joindre les rangs de la ''Montréal Gazette'' ( précisons lui d'ailleurs qu'à l'origine ce journal en était un de langue française) où, définitivement, il pourrait donner toute sa mesure tout en y étant beaucoup mieux apprécié par ses lecteurs.

  • Raymond Poulin Répondre

    5 juillet 2012

    Bien entendu, Aubin n’est pas le seul specimen de son espèce. Chaque fois que j’en lis un, je me demande toujours s’il ne s’agirait pas de gens convaincus par avance que nous sommes condamnés quoi que nous fassions. Alors, aussi bien disparaître en douceur sans provoquer de crise existentielle collective, se disent-ils in petto, puisque l’anglais a déjà gagné. Mektoub! Se voulant charitables, ils administrent un soporifique à leurs concitoyens. Ces gens-là sont beaucoup plus dangereux qu’un bon vieux francophobe du West Island. Une pilule, une p’tite granule... Hypothèse farfelue? Peut-être.