Histoires de culs de sac. Pour en sortir !

Nationalistes et progressistes, mêmes racines, même combat !

Le «modèle québécois»


D’abord, définissons les deux groupes d’acteurs de cette scène. Les
nationalistes qui aspirent à l’indépendance du Québec et les progressistes
qui aspirent, en plus de la souveraineté, à une société plus égalitaire. Le
sort de chacun est étroitement lié à celui de l’autre et ils pensent peut-être tous deux que c’est le plus grand malheur de leur existence. La
coexistence est généralement pénible, et en ces temps difficiles de
remises en question du modèle québécois, plusieurs progressistes
manifestent un ras-le-bol pour la défense mitigée des nationalistes envers
la social-démocratie.
Les résultats de la dernière élection sont limpides. Le Parti Québécois
formerait le gouvernement si les progressistes souverainistes étaient tous
demeurés au bercail péquiste. Et la souveraineté ne peut se réaliser que si
le Parti Québécois prend le pouvoir. Les nationalistes doivent donc
s’entendre avec les progressistes. C’est le cul-de-sac des nationalistes.
Mais peu importe, les nationalistes aiment tant discuter de stratégie
qu’ils en oublient de répliquer même aux arguments des fédéralistes! Alors
pour ce qui est des états d’âme des progressistes, cela leur semble sans
intérêt ! En tout cas, plusieurs nationalistes préfèrent, semble-t-il,
réduire le Parti Québécois à la seule expression de la souveraineté plutôt
que de chercher à ressouder la coalition traditionnelle.
Les progressistes souverainistes ne peuvent pas grandir seuls car aucun
progressiste fédéraliste ne rejoindra leur formation à cause de l’idée de
l’indépendance et, sans eux, ils se condamnent à la marginalité. Ayant bien
compris le dilemme, Québec Solidaire a feint la neutralité sur la question
de l’avenir du Québec mais cette neutralité était cousue de fil blanc pour
qui connaît le passé des leaders de cette formation. Devant cette évidence,
Québec Solidaire a décidé de s'afficher ouvertement souverainiste. De cette
façon, durant la dernière élection, Québec-Solidaire s'est résigné à pêcher
dans les eaux troubles des souverainistes progressistes insatisfaits du
Parti Québécois, ce qui constitue son propre cul-de-sac.
La résolution de l’impasse se trouve inscrite dans les racines du peuple
québécois. Les Québécois ont des racines chrétiennes qui les imprègnent des
valeurs de partage et de solidarité et des racines françaises, berceau de
la démocratie, de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. L’histoire
des Québécois en Amérique du nord britannique, c’est l’histoire d’une
communauté de personnes de langue française, attirée par l’affranchissement
social offert aux individus par l’Amérique, par la suite abandonnée et sans
ressources par une conjoncture de l’histoire ; une communauté qui a bâti de
ses mains et avec son imagination, son sens de la débrouillardise et des
efforts titanesques une société moderne, largement autonome,
auto-suffisante, ouverte sur le monde et éprise de liberté individuelle.
Le trait le plus particulier du peuple québécois est le sens aigu de son
isolement géo-politique et le sentiment d’avoir toujours à s’en remettre à
lui-même pour progresser, se développer et résoudre ses problèmes. Les
Québécois croient souvent inventer leurs formules et créer des modèles. Ce
qui n’est pas vraiment exact puisqu’au jeu des comparaisons avec tous les
pays de la planète, le Québec vit les problèmes usuels des communautés
modernes et applique des solutions connues ailleurs. Mais souvent la touche
québécoise y est présente et l’originalité québécoise est quelquefois
remarquable.
Cette petite nation vit en diapason avec les valeurs individualistes
omniprésentes sur le continent nord américain bien symbolisées par l’accès
à la propriété. Les premiers colons français aspiraient à être maîtres sur
leur lopin de terre, un rêve fantastique pour leurs contemporains
européens. Mais en même temps, va savoir pourquoi, est ce à cause de la
religion, de la culture française, de notre histoire de vaincus et notre
isolement, ou tout cela à la fois, les Québécois se sont démarqués de
cette culture individualiste prédominante en Amérique du nord. Et les
traits distinctifs par rapport aux coutumes nord américaines foisonnent.
Nationalistes et progressistes, mêmes racines, même combat !

Sur ce continent nord américain, seuls les Québécois confient dans une
large proportion leurs épargnes au mouvement coopératif. Seuls les
Québécois ont inscrits dans une loi la protection de l’exercice du droit de
grève jusqu’à interdire l’usage des scabs. Peu de juridictions protègent la
santé et la sécurité des travailleurs avec autant d’étendue. Peu de
juridictions accordent des congés parentaux payés aussi étendus. Seuls les
Québécois protègent leurs enfants contre la voracité de la publicité
marchande. Seuls les Québécois ont étendu la protection des consommateurs à
l’ensemble des activités commerciales. Seuls les Québécois poursuivent
l’idée que le savoir universitaire doit être le plus largement accessible
et sont en voie de la réaliser. Seuls les Québécois ont protégé autant les
locataires contre les aléas du libre marché. Seuls les Québécois se sont
aménagés un accès facile, à l’abri du marché, à la grande source d’énergie
qui est disponible sur son territoire. Seuls les Québécois ont jugé
nécessaire d’étendre la portée des services de santé aux médicaments.
Seuls les Québécois se sont dotés d’un système de garderies publiques pour
assister les parents mis à mal par les exigences de la société moderne. Peu
de juridictions protègent le prix de la consommation de produits essentiels
comme le lait . Et quoi encore... seuls nos élites professionnelles et
techniciennes consentent à des rémunérations qui demeurent en dessous du
marché nord américain justement parce qu’elle tiennent à vivre dans cette
société.

Tout cela parle d’un désir profond et indiscutable d’affranchissement
personnel et collectif du peuple québécois. Or nous assistons à une
nouvelle poussée de la droite contre le modèle québécois. La TD trompette
son air depuis quelques jours : « Si vous voulez vous enrichir»! C’est le
refrain habituel qui répète à nouveau que le modèle québécois fait reculer
le Québec par rapport aux autres juridictions nord-américaines ; le Québec
arrive 48 ème ou 57 ème selon les critères pour son revenu par habitant.
Pour l’économiste en chef de cette institution bancaire, il faut financer
les programmes sociaux avec la croissance économique. Et, bien entendu, la
croissance exige un allégement généralisé de la fiscalité et la réduction
de programmes sociaux comme l’accès à l’enseignement supérieur et l’accès à
la ressource de l’électricité; elle exige aussi de ré-aligner les coûts des
services publics selon les prix de marché et, ce qui tombe bien pour les
classes les plus aisées, transporter les charges fiscales de l’impôt sur le
revenu vers les taxes à la consommation parce que cela favorise les riches
et déplace le fardeau sur les classes moins aisées.
L’édifice social québécois, partiellement décrit ci-haut, s’est développé
en appliquant la recette contraire pour réaliser une société très
détonante dans cette Amérique du nord monolithique. Ce qui est
remarquable, c’est qu’il se soit édifié de façon consensuelle, et se soit
maintenu jusqu’ici malgré ces poussées épisodiques de la droite et la
maladresse criante des défenseurs de la social-démocratie.
Il faut le faire ! Défendre les valeurs de partage et d’équité en
dénonçant en même temps le coût de ces mesures comme étant prohibitif.
Proclamer que les Québécois sont trop taxés alors que l’analyse du rapport
qualité-prix des services publics québécois par rapport à ceux des
juridictions voisines dicte tout au moins de sérieuses nuances. À l’instar
de la TD, insister sur les valeurs indicielles du marché sans discernement,
les cotes en bourse, les valeurs du PIB, sans en tempérer les
interprétations abusives.
Ce n’est pas vrai que le Québec est aussi pauvre que ces données le
disent. Il faut les lire correctement à la lumière de nos valeurs et non de
celles de la culture américaine. Le succès américain, individuel et
collectif, c’est le compte de banque qui fait foi de tout. Ici, c’est
autrement !
Pour interpréter les données économiques qui permettent de ranger
correctement le niveau de la richesse du Québec par rapport à la richesse
de nos voisins, il faut tenir compte du coût de la vie dans chaque
province ou État américain et tenir compte aussi de la distribution des
revenus dans chacune de ces juridictions Lorsque les calculs tiennent
comptent du coût de la vie, le Québec affiche un niveau de richesse
supérieur à celui de cinq provinces canadiennes.(1) Et lorsque les
calculs tiennent compte de la distribution des revenus dans chaque
juridiction, le portrait devient tout autre, tellement qu’il vaut la
peine de prendre la peine de le détailler.
Selon Jean François Lisée, qui cite une étude de Murphy et Wilson, la
répartition de la richesse est meilleure au Québec que chez ses voisins et
cela apporte un tout nouvel éclairage à la question de la richesse relative
du Québec par rapport à nos voisins.
« Le salarié québécois type détient donc une plus grosse part de la
richesse de sa collectivité que son équivalent ontarien ou new-yorkais. Ce
qui fait qu’en termes pratiques, les 25% des familles québécoises les plus
pauvres ont un niveau de vie supérieur aux 25% des familles les plus
pauvres au Canada, elles-mêmes mieux nanties que les 25% des familles les
plus pauvres aux États-Unis. Il est tout à fait vrai, à l’opposé, que le
modèle étasunien produit des riches incommensurablement plus riches que les
nôtres et que ceux des autres pays membres de l’OCDE. Ayons la charité de
penser que ce n’est pas ce qu’on reproche au modèle québécois.
Mais qu’en est-il de la classe, disons, moyenne ? Pour comparer le niveau
de vie de ménages représentatifs, il faut utiliser le critère du revenu
médian. (Il indique le point où la moitié des personnes gagne moins cher,
la moitié gagne plus cher.) Pierre Fortin a également procédé à ces
calculs, jusqu’ici non publiés. Les chiffres sont en dollars US de 1995 et
traduisent les revenus médians d’emploi et de travail autonome en 1997.


Revenu médian d’emploi et de travail autonome, 1997
En partie de pouvoir d’achat et en us $ de 1995
Canada 20 300$

Québec 20 500$

Ontario 21 600$
États-Unis 21 700$

Deux choses frappent dans ce tableau. D’abord la faiblesse des écarts :
seulement 1400 dollars séparent le plus faible (Canada) du plus élevé
(États-Unis), soit une différence de 6%. Ensuite, le fait que le revenu
médian québécois soit légèrement supérieur au canadien. Ce doit être assez
récent. Et comme, depuis 1997 date de ces données, l’enrichissement par
habitant a été à la fois plus important et mieux réparti au Québec
qu’ailleurs sur le continent, la position relative du Québec n’a pu que
s’améliorer. Il faudrait ajouter les revenus de placement à ce tableau, non
disponibles dans l’étude de Murphy et Wolfson pour l’ensemble des
États-Unis. Il augmente les écarts (qui passent de 5 à 15% entre le Québec
et l’Ontario), mais il est un produit de la richesse accumulée dans le
passé.....» (2)
Pour les classes moyennes, l’objectif de l’accroissement de la richesse
apportera donc peu puisque par le travail, elles ont déjà un niveau de
richesse sensiblement le même que celui de nos voisins.
L’objectif d'enrichissement du Québec proposé par la TD est pour le moins
ambigüe parce qu’il profiterait surtout à une minorité d’affaires ; cela
parait beaucoup moins désirable qu’à première vue pour la vaste majorité
des Québécois et cela devient carrément intolérable lorsqu'on aligne les
changements de valeurs que la poursuite de cet objectif sous-tend .

Le prix de la politique de la croissance
À rechercher le succès américain dans les affaires, il est inévitable que
la société québécoise doive accepter certaines transformations des rapports
que les québécois ont entre eux et les rapports qu’ils entretiennent avec
les institutions. Le succès américain ne vient pas seul.! À l’occasion des
discussions suscitées par le manifeste des lucides, Jean François Lisée
livre une analyse percutante sur les valeurs de la société américaine en
lien avec le travail et les conditions de son exercice. Il se demande si
l’objectif de la richesse, servie à la mode américaine, est vraiment si
désirable.
«C’est entendu, les Québécois travaillent « infiniment moins » que les
Américains. C’est mon ancien patron et toujours ami Lucien Bouchard qui le
dit. Bon, c’est vrai que nous travaillons autant que les Britanniques et
davantage que les Suédois (des gauchistes), les Néerlandais (des
fleuristes), les Norvégiens (euh...), les Français (des hédonistes) et même
que les Allemands (ce qui donne un peu froid dans le dos). Mais bon, il
faut, comme ils disent, « briller parmi les meilleurs », et la source de ce
brillant, c’est la sueur. Pour travailler autant que les États-Uniens, il
faut s’inspirer d’eux et appliquer chez nous leurs méthodes.
Déplafonner : Le Québec fixe à 50 (c’est 48 en Europe) le nombre maximal
d’heures de travail par semaine. Une misère. Aux États-Unis : aucune
limite. THINK BIG ! Excellent résultat : beaucoup d’heures supplémentaires,
dont une sur cinq faite par le salarié contre son gré. (Une nouveauté de
Bush a d’ailleurs éliminé le paiement majoré de ces heures pour huit
millions de salariés en les considérant tout simplement comme des cadres.
Habile, non ?)
Déplanchéier : Le Québec oblige les employeurs à accorder 10 jours de
congés payés par an, 15 après cinq ans. Un appel à la fainéantise. Aux
States ? Aucun plancher ! L’employeur peut décider de ne donner aucun
congé. Un employé sur quatre n’y a pas accès.
Faire primer le travail plutôt que la famille : Sous prétexte d’encourager
la famille, le Québec consent de longs congés aux mères (un an à faire
guili-guili au lieu de serrer des boulons !) en plus de leur envoyer des
chèques. Seuls certains Européens offrent mieux. Nos voisins du Sud, qui
font énormément plus de bébés que nous, ont trouvé la bonne formule. Ils
ont l’air généreux avec 12 grosses semaines de congé par parent, mais voici
l’astuce : le congé n’est pas rémunéré. No money, no candy ! Ça marche : le
congé de maternité moyen est de 10 jours. Et la tendance est lourde : les
parents états-uniens ont 22 heures de loisir de moins par semaine qu’il y a
30 ans.
Motiver, motiver, motiver : Il n’y a pas d’éthique du travail si le
salarié n’est pas bien motivé. Et quelle meilleure motivation que la
pauvreté ! Les chiffres indiquant qu’il n’y a que 5% de chômeurs aux
États-Unis (plutôt que 8% chez nous) mais 18% de pauvres (plutôt que 9%
chez nous) vous rendent perplexes ? C’est que, là-bas, on peut travailler
fort tout en restant pauvres. Les gouvernements québécois, dont celui de
Lucien Bouchard (mal conseillé), ont constamment relevé le salaire minimum.
Aux States, nenni. Il est gelé depuis bientôt 10 ans (à 5,15$), alors que
le coût de la vie a crû de 26%. Ce n’est pas tout. Le revenu médian des
familles, ces cinq dernières années, a chuté de 2 000 dollars - en pleine
reprise économique ! Magnifique. Résultat : il faut travailler davantage
d’heures pour rester à flot. Souvent, un seul emploi par personne ne suffit
plus.
Désyndiquer : Un des grands maux du Québec, chacun le sait, est le
déplorable taux de syndicalisation (40%). Aux États-Unis, il n’est plus que
de 14%, en chute rapide. (À retenir : leurs employeurs congédient un
travailleur sur 20 qui tente de se syndiquer. Ces congédiements sont
illégaux. Heureusement, l’État sévit rarement.) Or, la syndicalisation est
un abominable frein à l’allongement de la durée du travail. Un syndiqué
gagne 13% de plus qu’un non-syndiqué. C’est pire pour les femmes : 35% de
plus ! Cela les démotive complètement. De plus, le syndicalisme contribue à
ce que les inégalités de revenus soient plus faibles au Québec, alors
qu’elles explosent aux États-Unis. Les résultats sont indiscutables : le
département du Commerce indiquait, en septembre, que la part du revenu
national américain allant aux salaires (plutôt qu’aux profits) est la plus
faible depuis 77 ans.
Suivre le guide : Le premier employeur privé, Wal-Mart, avec 1,3 million
de salariés aux États-Unis, nous montre le chemin. Les salaires y sont bas
(6,35$ l’heure à temps partiel, 9,00$ l’heure à temps plein), les syndicats
y sont pourchassés. Bien. Mais tout n’est pas rose. Des notes de service
qui ont filtré dans les médias sonnent l’alarme : les salaires et avantages
tendent à augmenter, car ces perfides travailleurs font à l’employeur le
coup de la loyauté. Trop longtemps dans le même emploi, ils montent dans
les échelles salariales. Heureusement, Wal-Mart a un plan : faire passer de
20% à 40% la proportion d’employés à temps partiel, et depuis août,
imposer un plafond salarial aux plus vieux. (3)»

Conclusion
Il faudra soupeser attentivement les propositions qui tenteront de faire
croire qu’il y a moyen d’obtenir les succès d’affaires que l’on fait
miroiter tout en préservant les valeurs auxquelles les Québécois sont
attachées. Pour les nationalistes, dans la recherche de la richesse telle
que proposée par la TD, c'est l'édulcoration de l'identité québécoise qu'il
faut combattre et, pour les progressistes, c'est l'accentuation des
inégalités sociales. L'avenir du peuple québécois se trouve en lien avec
nos racines et il passe par la défense de la social-démocratie. Il faut
souhaiter que les progressistes et les nationalistes comprennent la
nécessité de faire entendre d’une seule voix que dans le pays du Québec,
malheur à ceux qui prônent les valeurs du chacun pour soi ! Le reste, c’est
de la conjoncture politique. À ceux du Parti Québécois qui sont hypnotisés
par les chiffres de la dernière élection et qui veulent retenir que
Québec-Solidaire ne fait que 4 % comparativement à l’ADQ qui en a fait 31
%, je leur oppose ces éléments d’analyse.
Gilles Laterrière
Sources
(!) Pierre Fortin, cité dans (2)

(2) Jean François Lisée. Un mauvais procès au modèle québécois, 20 mars
2003
(3) Jean François Lisée. [Au travail->3092], L’actualité, jeudi le 23 novembre
2006
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/spip/) --


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