Les destinées politiques sont impénétrables. Un jour au faîte, le lendemain dans la cave et bientôt sous terre. Qui sait? Les carrières de nos dirigeants politiques ressemblent plus souvent à des montagnes russes qu'à un long fleuve tranquille.
Le hasard aura voulu que, la semaine dernière, le chemin d'André Boisclair croise celui de la candidate socialiste Ségolène Royal. Par une curieuse coïncidence, les deux leaders ont de nombreux points en commun. Pour tout dire, depuis quelques mois, leurs parcours se ressemblent étrangement.
C'est à peine si on se souvient aujourd'hui qu'ils avaient tous deux été plébiscités en un seul tour de scrutin par plus de 50 % des militants de leur parti respectif. Deux victoires éclatantes. Il y a quelques semaines encore, ils symbolisaient le renouveau et, plus encore, une nouvelle génération. Et pour cause: André Boisclair a attiré au Parti québécois 40 000 nouveaux membres. Ségolène Royal a fait augmenter de 50 % le membership du Parti socialiste. Dans les deux cas, il s'agit de jeunes, ceux-là mêmes qui, disait-on, préféraient les jeux vidéo à la politique.
Et la ressemblance ne s'arrête pas là. Les candidats partagent un profil atypique. L'un est une femme, ce qui représente une vraie révolution des moeurs en France. L'autre n'a jamais caché son orientation sexuelle ni ses frasques de jeunesse, ce qui a aussi créé une certaine émotion au Québec.
Or voilà qu'après avoir dominé sans partage les sondages, l'un et l'autre piquent du nez. Autrefois «brillants», «dynamiques» et «rafraîchissants», les voilà soudain devenus «gaffeurs», «inexpérimentés» et «immatures». Que s'est-il donc passé?
Il ne s'agit pas de dissimuler les erreurs évidentes commises par les deux candidats mais d'observer par quel mécanisme étrange la machine s'est emballée.
Les célèbres «gaffes» de la candidate Ségolène Royal sont vite devenues un leitmotiv qu'on répète aujourd'hui sans même avoir à rappeler exactement de quoi il s'agit. Or, si la candidate a effectivement trébuché sur quelques phrases à l'étranger, plusieurs de ces erreurs supposées n'ont toujours pas été démontrées. Ainsi en est-il de son silence devant les déclarations sur Israël d'un élu du Hezbollah (qui avaient été mal traduites, dit-on). Ce silence n'a pas empêché la candidate de traiter de terroriste la même organisation (ce que Jacques Chirac n'a jamais fait). Et que dire de cette phrase ambiguë sur la rapidité de la justice chinoise dont le sens demeure impénétrable, à moins de soupçonner Ségolène Royal de maoïsme? Quant aux raisons pour lesquelles un candidat n'aurait pas le droit de faire en privé de l'humour à propos de la Corse, elles nous échappent encore.
Qu'importe de toute façon puisque les célèbres «gaffes», vraies ou fausses, sont passées depuis longtemps aux profits et pertes. Plus vous essaierez de vous en expliquer, plus elles vous colleront à la peau.
André Boisclair, lui non plus, n'a pas dit que des choses brillantes. Mais mettons un instant la maladresse politique de côté pour s'intéresser au sens - une fois n'est pas coutume. Il faudra nous expliquer ce qu'il y a d'insensé à considérer que les crucifix n'ont pas, en principe, leur place dans les bâtiments publics. Ce qui ne signifie pas qu'il faille décrocher ceux de l'Assemblée nationale et des conseils municipaux. L'histoire a aussi ses droits.
Maladresse encore que cette déclaration sur la distance que le Parti québécois devrait conserver avec les syndicats? Lucien Bouchard n'a jamais pensé autrement! Ici aussi, on assiste à un phénomène d'imprégnation qui colore tout. De mémoire de correspondant, on avait rarement vu visite à Paris plus réussie que celle d'André Boisclair. Qu'importe, on n'en retiendra rien. Elle aussi est passée aux profits et pertes. Inutile d'insister.
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Il ne faut pas exagérer les parallèles, mais il y a tout de même quelque chose d'étonnant dans cette façon de passer, sans transition, de l'admiration béate à l'insurrection armée.
Comment ne pas remarquer que, si les deux candidats ont fait des gaffes, ils tentent aussi, comme par hasard, d'imposer une nouvelle orientation à deux partis sociaux-démocrates. Évoquer Tony Blair, dont se revendiquent Mme Royal et M. Boisclair, n'est pas plus facile dans les syndicats québécois que dans le Parti socialiste français. Et puis, donner le pouvoir à une nouvelle génération, même si chacun fait semblant d'applaudir, ne peut que vous créer des ennemis. Remarquons d'ailleurs que, selon le sondage CROP, le taux de satisfaction à l'égard d'André Boisclair est le plus bas chez les 55-60 ans, pour ne pas dire les baby-boomers.
Pauvres électeurs. Comment ne seraient-ils pas cyclothymiques alors que les médias le sont par nature, eux dont la loi consiste souvent à gonfler juste assez une nouvelle pour pouvoir la dégonfler aussitôt? Cela fait deux nouvelles pour le prix d'une. Ainsi, ceux qui sont allés jusqu'à affirmer la semaine dernière que Ségolène Royal avait dit aux Québécois de voter pour l'indépendance - ce qu'elle n'a jamais dit - en ont été quittes pour un second scoop tout aussi fumant lorsque, le lendemain, elle a démenti ces propos... qu'elle n'avait pas vraiment tenus.
De toute façon, reconnaissons que l'image des dirigeants politiques passe de moins en moins par le filtre de l'information. Les officines politiques ont compris depuis longtemps qu'elle est de plus en plus dépendante d'animateurs de variété et de chroniqueurs qui sont le plus souvent aussi des amuseurs. Pour faire acte de contrition, rien de tel qu'une entrevue avec Christiane Charrette.
À entendre les déclarations invitant André Boisclair à quitter la direction du Parti québécois, on pense à ces dirigeants d'entreprises rémunérés à coups de stock options et sommés de prendre la porte à la première chute du cours boursier. Comme si les électeurs s'étaient transformés en actionnaires: vite, rendez-moi mon argent!
Ce ne sera pas la première fois qu'après avoir succombé au jeu de la séduction, la foule se prend tout à coup du désir païen de détruire ses idoles. Se pourrait-il que Ségolène Royal et André Boisclair n'aient jamais été aussi beaux, aussi intelligents et aussi doués qu'on l'a dit? Cela pourrait donc signifier qu'ils ne sont pas non plus les êtres immatures, gaffeurs et insignifiants qu'on décrit aujourd'hui.
crioux@ledevoir.com
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