Le « New Labour » de Tony Blair : Un modèle pour le Parti Québécois ?

Crise de leadership au PQ

Selon le journaliste Christian Rioux, le chef du Parti Québécois André Boisclair n'a pas caché, lors de son récent voyage en France, « son admiration pour le type de social-démocratie mis en avant par le premier ministre britannique Tony Blair » et a déclaré vouloir proposer aux membres de son parti une « nouvelle social-démocratie » inspirée du « New Labour » britannique ([Le Devoir, 27 janvier 2007->4031])
Il est de bon ton dans certains milieux de vanter la soi-disant réussite économique du Royaume-Uni, son contrôle de la dette publique, son faible taux de chômage. Mais, avant d'ériger en modèle l'exemple néo-travailliste, il vaut mieux y regarder d'un peu plus près. Deux livres publiés récemment, Thatcher And Sons (Penguin) de Simon Jenkins et Le royaume enchanté de Tony Blair (Fayard) de Philippe Auclair tracent un bilan des dix années de gouvernement Blair. En voici les faits saillants.
Une piètre performance économique
L'alter ego de Tony Blair, le ministre des Finances Gordon Brown, déclarait dans sa présentation du budget 2006 : « La Grande-Bretagne vit aujourd'hui sa plus longue période de croissance économique soutenue depuis qu'on a commencé à la mesurer en 1701. En termes d'inflation, d'emploi et de niveau de vie, elle n'a pas offert une telle combinaison depuis des générations. »
Dans le contexte actuel de flambée des prix du pétrole, la Grande-Bretagne a l'énorme avantage de pouvoir bénéficier de l'extraction du pétrole de la Mer du Nord. Sa production de brut équivaut à sa consommation.
Malgré cela, le Royaume-Uni est tombé au 19e rang sur les 25 pays européens pour la performance économique. Au troisième trimestre de 2005, sa croissance n'a été que de 1,75 %. Sa performance est la plus modeste des pays du G-8.
Un endettement astronomique
Alors qu'entre 1997 et 2002, tous les autres grands pays de l'Union européenne réduisaient leurs prélèvements fiscaux, la Grande-Bretagne les augmentait de 1,6 %. Cela ne l'empêchait pas de briser la « règle d'or » du traité de Maastricht, selon laquelle le déficit budgétaire d'un pays ne doit pas excéder 3 % du PIB. Il atteint aujourd'hui 3,3 %, alors qu'il n'était que de 1,53 % en 2002. La participation de la Grande-Bretagne à la guerre en Irak et en Afghanistan n'y est pas étrangère.
Avec une dette « officielle » de 644 milliards d'euros, le ministre des Finances Gordon Brown affirme qu'il contient l'endettement de l'État sous la barre des 40 % du PIB. Mais ces chiffres sont contestés. Ils ne tiennent pas compte de la somme astronomique de 1000 milliards d'euros que le gouvernement doit assumer pour le paiement des retraites. Ni des 145 milliards de dettes qu'on a fait disparaître par un tour de passe-passe comptable dans les fameux partenariats publics-privés, ni le passif de 30 milliards du Network Rail, la firme dite d'intérêt public qui gère le réseau des chemins de fer. La dette totale s'élèverait donc à 1 819 milliards d'euros, soit 652 milliards de plus que la dette jugée « catastrophique » de la France !
Lucien Bouchard et les Lucides ont pointé du doigt la faible productivité des travailleurs québécois. La solution ne réside manifestement pas dans le modèle blairiste. La productivité des travailleurs anglais est de 10 % inférieure à celle de leurs collègues allemands et français.
Des chômeurs camouflés en « malades »
Le « New Labour » se vante d'un taux de chômage qui tourne autour de 5 %. Mais deux chercheurs de l'université Hallam de Sheffield se sont intéressés à l'évolution des courbes du taux de chômage et du nombre de Britanniques touchant une pension d'invalidité ou une allocation maladie de longue durée. Ils se sont rendu compte que la deuxième courbe augmentait pendant que la première déclinait.
Dans leur étude intitulée Glissement du « chômage » vers la « maladie », Christina Beatty et Stephen Fothergill démontrent que le nombre de « malades » a quadruplé en 25 ans, si bien qu'au 1er janvier 2006, on dénombrait 1 530 000 sans-emploi pour 2,7 millions de « malades » qui n'étaient pas pris en compte dans les statistiques du chômage. Comme par hasard, les régions dans lesquelles on recense le plus de « malades inemployables » sont celles où la désindustrialisation a été la plus brutale. Selon les calculs des deux auteurs, le taux de chômage véritable s'établirait à 8,8 %.
Une nouvelle catégorie sociale : les « fat cats »
Depuis l'arrivée au pouvoir du « New Labour », la fracture sociale s'est aggravée. Entre 1993 et 2003, les revenus ont augmenté de 45 % en moyenne, mais de 288 % pour les plus hauts revenus, ceux que les Britanniques appellent les « fat cats ». De 1986 à 2002, les 1 % les plus riches de la population ont vu leur part de la richesse nationale passer de 25 à 35 %, alors que celle de la moitié la plus pauvre n'était que de 6 %. Des chiffres records pour l'Europe.
Selon l'indice de pauvreté en vigueur en Europe, il y a 13 millions de pauvres en Grande-Bretagne, soit près du quart de la population. Un enfant sur trois et un retraité sur cinq vivent sous le seuil de la pauvreté. Il faut remonter à 1935 pour voir un gouvernement britannique construire moins de logements sociaux que le « New Labour ».
L'endettement personnel des Britanniques est plus du double de ce qu'il était lorsque le « New Labour » a pris le pouvoir. Il faudrait que les 60 millions de Britanniques versent l'intégralité de leurs revenus pendant un an et demi pour éponger leur dette personnelle. On estime que tout étudiant parvenu au terme du bac aura accumulé 30 000 euros de dettes.
Le salaire minimum est un des moins généreux de toute l'Europe. Cela n'est pas étranger au fait que le taux de syndicalisation soit passé de 32,7 % à 29 % entre 1995 et 2004.
Le « New Labour » a réduit le poids de l'impôt sur le revenu et augmenté les taxes indirectes qui frappent indistinctement riches et pauvres. Il s'oppose farouchement à toute idée de redistribution de la richesse pour ne pas « pénaliser » la réussite.
Faut-il se surprendre que la population carcérale soit passée de 61 114 à 77 388 prisonniers entre 1997 et 2005, soit le nombre record de prisonniers par habitant en Europe ?!
Une école à trois vitesses
« Mes trois priorités sont : l'éducation, l'éducation et l'éducation », déclarait Tony Blair à la convention du Parti travailliste en 1997. Son parti a instauré le libre choix de l'école et un mode de financement par objectifs (« targets ») qui vise à récompenser par des subventions accrues les établissements qui prouvent leur réussite et à pénaliser les autres.
On parle aujourd'hui d'un système à trois vitesses avec l'école privée, l'école confessionnelle et l'école laïque en bas de l'échelle. Avec cette ghettoïsation, c'est finalement les écoles qui choisissent leurs parents et non l'inverse. Nous pourrions également parler longuement du réseau de la santé avec ses PPP, sa pénurie de personnel, son sous-financement et ses listes d'attente.
Un « nouveau PQ » copié sur le « New Labour » ?
Après onze années de contre-révolution conservatrice avec Margaret Thatcher, marquées d'affrontements violents avec le mouvement syndical, par le démantèlement de l'État-providence et des politiques favorisant l'enrichissement d'une minorité, les Britanniques avaient mis beaucoup d'espoir dans l'élection du Parti travailliste de Tony Blair.
Mais une fois au pouvoir, Blair a révisé le programme du son parti pour se démarquer de la social-démocratie, a rompu avec sa base syndicale et a proposé une « nouvelle social-démocratie » (« New Labour ») qui n'était que la continuation sous une autre forme des politiques thatchériennes. Tony Blair et son successeur présumé Gordon Brown sont bel et bien les fils spirituels de Margaret Thatcher comme l'affirme Simon Jenkins dans Thatcher And Sons.
En transformant le « Labour Party » en « New Labour », Tony Blair privait les Britanniques de leur parti progressiste et les laissait sans alternative face à la droite conservatrice. Ils en payent aujourd'hui le prix. Est-ce la voie que nous voulons suivre au Québec ? comme semblent nous y inviter André Boisclair et [Alain Dubuc, l'éditorialiste de La Presse, dans sa chronique du 31 janvier 2007->4097]. C'est une leçon à méditer si nous ne voulons pas lire un jour Charest et fils.
Marc Laviolette
Président
Pierre Dubuc


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