Il devient difficile de parler de la situation politique belge: on a peur d’employer des mots trop forts qui seront peut-être dépassés demain.
Une crise d’Etat
Jeudi soir, 16 novembre, la télévision francophone estimait que nous sommes entrés dans une crise d’Etat. Comme souvent, les crises semblent reposer sur des questions en apparence secondaires.
La Flandre – Etat fédéré - compte sur son territoire un arrondissement administratif, encore relié à Bruxelles (héritage anormal de l’Etat unitaire), qui compte quelques dizaines de milliers de francophones (on l’appelle BHV: du nom de ses villes principales: Bruxelles Vilvorde et Hal, villes flamandes, qui entendent se séparer radicalement de la capitale belge). Dans certaines communes de cet arrondissement, à larges majorités francophones sur le plan local et municipal, le bourgmestre présenté à la nomination de l’autorité de tutelle (ici le ministre flamand des affaires intérieures: en Wallonie, autre Etat fédéré, le bourgmestre est indirectement désigné par les électeurs selon une législation approuvée par le Parlement wallon qui est le seul à avoir modifié l’ancienne législation héritée de l’Etat belge unitaire ), n’a pas été nommé, ce qui est considéré par les partis francophones comme un “affront”.
A mon sens, ils ont tort. Pour plusieurs raisons:
1. Les Etats fédérés en Belgique ressemblent de plus en plus à des sortes de pays souverains. Que des gens extérieurs à la Flandre critiquent cette mesure, c’est évidemment leur droit, mais en un certain sens, cela ne les regarde pas.
2. On me demandera si, en disant cela, je ne me désolidarise pas de ces Francophones. Non, car l’usage du français, même dans les régions flamandes proches de Bruxelles, n’est nullement menacé, nullement. J’ai une amie française dans une de ces communes et j’y vais relativement souvent: la seule langue autre que le français (en Flandre!), que j’y ai un jour entendue, c’est l’anglais. En fait, la Flandre entre en conflit avec ces majorités francophones car elle veut défendre sa langue menacée par le français. J’ai trop de respect pour la défense du français par les Québécois au Canada pour ne pas ressentir le bien-fondé de la lutte flamande.
3. Ces questions sont secondaires par rapport aux vraies questions qui sont l’avenir de Bruxelles et de la Wallonie. Un sondage récent a révélé que 9% des Bruxellois (pourtant proches de ces francophones) et 1 % (un pourcent!) des Wallons se soucient de ces questions. C’est bien normal : le français a un bel avenir devant lui en Flandre et la vraie préoccupation de la Wallonie, c’est son relèvement politique et culturel.
Mais le fait est que ces questions secondaires entraînent une crise sans précédent. Cette crise s’explique par d’autres raisons.
La vraie raison de la crise belge:
Les partis flamands (il n’y a plus de partis ayant des sièges dans chaque partie de la Belgique et ce depuis longtemps); veulent aller vers plus d’autonomie. Les partis wallons (et Bruxellois francophones), ont vu leur aile régionaliste (on dirait “nationaliste” au Québec) s’épuiser. L’opinion publique en Wallonie semble en grande partie tenir à la Belgique. Par conséquent, tenant compte de leur électorat, les partis francophones et wallons ont jusqu’à présent refusé de discuter avec leurs partenaires flamands le transfert de compétences aux Etats fédérés qui signifierait, il est vrai, une diminution importante de l’influence fédérale.
La situation est bloquée. Les partenaires négocient depuis 160 jours et n’avancent absolument pas. Les hommes politiques flamands (et ils ont bien fait!), n’étaient pas présents à la cérémonie mi-officielle, mi-religieuse de la fête du roi (ce 15 novembre).
Les Flamands (majoritaires mais obligés de s’entendre avec les Wallons), comprennent mal l’attitude des Wallons qui refusent l’octroi de compétences nouvelles qu’ils sont parfaitement à même de mettre en oeuvre. La Wallonie est autonome depuis 27 ans et gouverne une région certes moins prospère que la Flandre, mais cela tient à des facteurs étrangers à la mutation de l’Etat belge d’Etat unitaire en Etat fédéral. Les premiers à avoir revendiqué ces compétences, au départ, ce sont les militants wallons des syndicats et de la gauche, socialistes et chrétiens de gauche.
Il semble que le personnel politique et médiatique francophone actuel l’ait oublié. Il est vrai que la classe ouvrière s’est profondément transformée et que la social-démocratie wallonne – comme partout ailleurs dans le monde - est en crise. Elle n’a plus de projets et ce qui fut autrefois son projet d’émancipation des travailleurs et tout uniment d’émancipation des Wallons et de la Wallonie, elle semble incapable d’en poursuivre la réalisation même en paroles. Certes, les socialistes ne participent pas à la formation actuelle du gouvernement belge, mais l’unitarisme actuel de ce parti en grave perte de vitesse, plombe les élans wallons des autres partis.
... la crise de la social-démocratie
Le Parti socialiste francophone (wallon et bruxellois), est présidé par un homme de 56 ans, Elio Di Rupo, qui semble usé et quasiment démoli par l’échec électoral qu’il a subi en juin 2007: pour la première fois depuis l’instauration du suffrage universel (en 1894), les socialistes ne sont plus le premier parti de Wallonie.
Certes, même avant cet échec de juin, les socialistes wallons, sous la conduite de cet homme, semblent avoir abandonné leur vieil idéal wallon comme ils donnent le sentiment d’avoir abandonné leur idéal social-démocrate.
Les dirigeants wallons et francophones semblent répondre à une pression populaire (au demeurant plus visible à Bruxelles qu’en Wallonie) en faveur du fédéralisme actuel, conservatisme qui est même nourri de vieilles nostalgies belges. Les appels à l’unité du pays ne manquent pas, mais n’émanent que des secteurs les plus fatigués de la société wallonne. Ce qui aggrave le manque de dynamisme wallon, c’est que cette résistance aux projets flamands de plus d’autonomie, provoquent le contraire de ce qui est espéré par les unitaristes belges et wallons. Le désarroi gagne toutes les couches dirigeantes.
L’impossibilité de former un gouvernement fédéral semble définitive à l’heure où j’écris ces lignes. Dans sa gravité, la crise revêt même des aspects comiques. Le roi a nommé le 9 novembre deux personnages importants du pays; Armand De Decker (le président du Sénat fédéral, un Bruxellois francophone: les wallons sont fort écartés des responsabilités pour le moment) et le président de la Chambre (le Flamand dit “modéré” Herman Van Rompuy), comme “réconciliateurs”. Les deux hommes étaient appelés à travailler ensemble à des propositions pour sortir de l’impasse politique.
Patatras, mercredi matin, 14 novembre, le Bruxellois francophone Armand De Decker a fait des propositions tendant à reporter la réforme de l’Etat aux calendes grecques. Son interlocuteur – pourtant homme discret – s’en est profondément irrité, à un tel point qu’un journaliste de la RTBF a pu dire qu’il fallait que le roi nomme un réconciliateur des conciliateurs.
On en est là d’un désarroi profond.
Les ruptures – graves - ne sont pas toujours provoquées par des éléments dynamiques
C’est tellement vrai que la proposition de Geert Lambert (ancien président d’une tendance très autonomiste du Parti socialiste flamand, appelée SPIRIT), formulée ce 15 novembre à la RTBF semble, malgré son caractère inédit et même inouï, plus réaliste que de former un gouvernement belge. Il propose que les gouvernements des Etats fédérés de Flandre, Bruxelles et Wallonie, forment eux-même une autorité fédérale, ce qui signifierait par là même que la Belgique deviendrait une entité en réalité confédérale où le pouvoir émanerait non plus de l’Etat central (devenu impuissant), mais de ses composantes.
Personnellement, j’avoue que je ne voyais pas, en juin, la crise pouvoir atteindre ce niveau de gravité sans précédent. Je me doutais que la formation d’un gouvernement serait très difficile, mais je ne m’attendais pas du tout à ce qu’elle se révèle impossible. La crise est tellement grave qu’au “Club de l’Info” (qui réunit à la radio de la RTBF les meilleurs journalistes du pays chaque vendredi soir à 18h 30), l’un des participants a évoqué le blocage de juillet 1950 où face à l’obstination de Léopold III de demeurer sur le trône, il avait fallu une vague d’attentats perpétrés par la résistance wallonne, une grève violente, la menace d’une sécession wallonne pour que le roi cède et fasse place à des avis de politiques élus, plus habitués à gérer rationnellement les choses qu’un personnage étrange ( à qui Churchill appliqua même la célèbre phrase sur les Bourbons après la évolution française: il n’a rien appris et tout oublié).
Aujourd’hui, la crise ne meut pas les foules, ni en Flandre, ni en Wallonie, ni à Bruxelles. Le pays est en ordre. L’absence de gouvernement fédéral empêche que certaines mesures soient prises comme en ce qui concerne l’augmentation des prix du pétrole rejaillissant sur le prix du mazout de chauffage qui frappe durement les petits revenus. Mais en dehors de cela rien. Les Flamands ont un projet. Les Wallons et les francophones leur disent non parce que, sans doute, ils n’en ont pas ou plus. Les dirigeants wallons, certes capables dans la gestion économique de la Wallonie, se replient sur les peurs (pourtant mal fondées), de l’autonomie et de la fin de la Belgique dans une partie de l’opinion wallonne.
Les Wallons manquent de dirigeants lucides et courageux. Et c’est cette absence qui menace peut-être le plus gravement l’unité belge, paradoxalement. N’oublions pas que les grandes ruptures ne viennent pas toujours que des élans, mais des pourrissements et des scléroses. L’unitarisme des dirigeants wallons actuels précipitent la Belgique à sa fin. Fata volentem ducunt, nolentem trahunt : le destin conduit ceux qui le veulent bien, et traîne ceux qui le refusent.
Mais je continue à croire - en dépit de tout! - en mon vieux pays wallon, qui vaut mille fois mieux que ses dirigeants dépassés.
José Fontaine
Grave pourrissement de la situation en Belgique!
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
18 novembre 2007J'ai deux question à poser à José sur ceci :
1. Crois-tu vraiment ce que tu dis : pays souverains ...
Alors que le problème de la crise est justement que la Flandre estime n'avoir pas assez d'autonomie.
Beaucoup reste à faire pour ne fut ce qu'arriver à une confédérations des quatre régions.
2. Quelle est ta définition de francophone, ceci est plutôt confus :
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Alex,
Citoyen de Wallonie