Gouverner ou référender?

Tribune libre - 2007

Notre problème est un problème de communications.

Sans la radio, au début du vingtième siècle, ni Mussolini, Hitler, Staline, Franco, Salazar et Churchill n'auraient pu exercer autant d'influence ni de pouvoirs. Non seulement leur parole a fait loi; elle a fait école. Et voilà la tragédie. Elle vient de la parole subjective, superficielle, dangereuse, potentiellement explosive.

Avec la télévision, de plus en plus perfectionnée, la vue du personnage et de son discours a éveillé chez les auditeurs un sens critique qui commence à se manifester. La parole des grands personnages et de tous ceux qui tiennent contrôle sur les communications ne fait plus loi ni école comme avant. Les gens commencent enfin à remettre en question les beaux discours publics. La subjectivité de ces discours ne passe pas comme avant. On se méfie des clichés, des métaphores, des phrases et idées toutes faites. On cherche la vérité dans l'objectivité, mais elle n'est pas facile à trouver puisque tous les discours des cent dernières années ne sont que des opinions sans fondement. Ce qui est pire: les opinions sont devenues des certitudes et des universaux. Le chaos quoi?

Avec la montée en force du prolétariat, il faudra bien que quelqu'un se méfie des mots pour les mots et des idées pour les idées. Une recherche de l'objectivité fait peu à peu son chemin mais pour y arriver, il faut accepter le fait fondamental que sa parole ne fait pas loi et ne fait pas école, à moins de respecter rigoureusement les normes de l'objectivité. La théorie pour la théorie, Descartes, Emmanuel Kant et tutti quanti, qui vous disent que la réalité est affaire d'idées et d'opinions, font encore des ravages dans les esprits.

Comme officier de l'armée impliqué avec l'OTAN en Europe, avec les Programmes d'Assistance aux Pays du Commonwealth en Afrique et avec l'ONU au Moyen Orient, j'ai rencontré d'anciens SS allemands, des Russes membres de la KGB, des Espagnols franquistes, des Portugais qui avaient servi sous Salazar,
des idéologues du Parti Communiste Hongrois, des profs d'universités mordus de "positivisme" et d'autres encore.

Ils ont tous une chose en commun: L'idée et la parole qui font loi et école. Il ne leur vient nullement à l'idée que l'existence est relation en acte et en puissance, par conséquent demande de l'objectivité pour être appréhendée et connue.

J'ai tenté de leur faire comprendre les principes, parce que les principes sont objectifs. Peine perdue. J'ai tenté d'en faire autant dernièrement avec Barbara Kay du National Post. J'ai décroché. Voyez le [dernier petit discours de Conrad Black à propos du Québec dans le National Post->5782]. Vous pouvez le lire dans Vigile, le reproduire et l'examiner. C'est un homme habitué à voir sa parole devenir loi et faire école, peu importe combien ses discours peuvent être dangereux s'ils sont crus et produisent des actes.

Voyez sa remarque sur le départ des "riches" et "bons" Anglo-Saxons du Québec, devant la montée en force des gros méchants séparatistes. Ces "bons" ont eu la bonté de laisser derrière des entreprises dispendieuses et des grosses maisons cossues. Sous entendu tout un cadeau au prolétariat dont je fais partie.

Eh bien c'est faux. Je puis l'affirmer à partir de Saint Henri d'où je viens. Les grosses usines étaient désuètes bien avant 1960 et le début de la Révolution tranquille.
Elles fonctionnaient à la vapeur, la "vraie astime" comme on dit ici, comme les locomotives que j'ai vues et entendu passer toute mon enfance. Tout cela était désuet et le départ des Anglos, encouragé par les canaux, les chemins de fer et l'ouverture de la Voie maritime, signifiait pour eux la modernisation de leurs équipements et la fuite des syndicats naissants.

Quant à leurs grosses maisons de Westmount, elles ont intéressé très peu de Québécois, exception faite de Paul Desmarais. Les autres n'en veulent pas. Elles sont vieilles et désuètes. Un contracteur qui vit près d'ici s'occupe de les rénover. Il est étonné de voir comment elles sont sales et peu entretenues. Même rénovées, il n'en voudrait pas pour lui-même ni pour personne d'autre. Alors les Arabes et les Hindous riches les achètent et transforment le paysage de Westmount, là où je passe plusieurs fois par semaine pour aller faire des courses. Je me demande si la reine Knoor de Jordanie n'en a pas acheté une? Je sais où reste Brian Mulroney, qui a depuis longtemps l'habitude de péter plus haut que le trou. Des amis qui restent à Westmount me disent que les gens qui y vivent sont dans les dettes par dessus la tête. Et alors où se trouve le beau cadeau dont parle fouin fouin à Conrad Black? Il se fie sur sa crédibilité de propriétaire de journaux. On va bien voir ce qu'elle vaut cette crédibilité au terme du procès que lui font des Américains à Chicago.

La parole ne fait ni loi ni école lorsqu'elle manque d'objectivité. La subjectivité du langage mène au désastre. Les guerres répétitives en fournissent une preuve indiscutable. Pourtant et malgré tout, les ambitieux du pouvoir pour le pouvoir et de l'argent pour l'argent vont continuer de créer des conditions qui vont faire que leurs paroles deviennent actes. C'est déjà la tyrannie. Elle vient du langage, comme la névrose obsessionnelle de Freud, le mal de la civilisation, comme il l'appelait, qui finit par rendre tout le monde fou à cause de la confusion qui en résulte dans l'esprit.

Voyez Françoise David, madame la vérité en personne. Elle n'a pas la parole, elle EST la PAROLE. Rien que son regard vous juge. Jamais il ne lui vient à l'idée de douter d'elle-même. Ses paroles sont certitudes et non simplement opinions, mais nous avons dépassé le stade de la radio et la télévision et sa crédibilité n'est plus ce qu'elle aurait été il y a cinquante ans.

Il y a du travail à faire. Il faut que la méthode géopolitique, fondée sur la réalité et le réel, fasse école. Il faut que les principes universels de la stratégie d'État soient connus. Autrement, nous continuerons de faire fausse route et chacun tentera de faire école avec ses idées et ses discours hors contexte et son appréciation inadéquate de la situation.

René Marcel Sauvé, géographe

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J. René Marcel Sauvé, géographe spécialisé en géopolitique et en polémologie, a fait ses études de base à l’institut de géographie de l’Université de Montréal. En même temps, il entreprit dans l’armée canadienne une carrière de 28 ans qui le conduisit en Europe, en Afrique occidentale et au Moyen-Orient. Poursuivant études et carrière, il s’inscrivit au département d’histoire de l’Université de Londres et fit des études au Collège Métropolitain de Saint-Albans. Il fréquenta aussi l’Université de Vienne et le Geschwitzer Scholl Institut Für Politische Wissenschaft à Munich. Il est l'auteur de [{Géopolitique et avenir du Québec et Québec, carrefour des empires}->http://www.quebeclibre.net/spip.php?article248].





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2 commentaires

  • Georges-Étienne Cartier Répondre

    7 avril 2007

    Ah ! Merci !
    Lumineux : je ne m`étais jamais arrêté à voir les choses sous cet angle .
    Cela rend intelligible l`allergie des "z`observateurs -inquiets" et de la plupart des intellectuels aux définitions des termes qui permettraient, au lieu de déclamations déclaratoires stériles ou toxiques, de mettre en branle de vrais débats productifs entre intelligences de bonne foi !
    Il n`y a guère de pensée valide sans définitions !

  • Archives de Vigile Répondre

    6 avril 2007

    L'être humain a une propension naturelle a suspendre le doute dans sa pensée.
    Malgré moultes recherches dans le domaine on ne parvient toujours pas a savoir pourquoi.Je dirais qu'il s'agit d'un moyen d'évité la peur du vide que le doute crée dans l'esprit.
    Seul le temps peu faire renaitre le doute car il expose (en autant que la mémoire reste vivante)les failles qui naissent de la confrontation d'une idéologie avec le réel.
    Les idées sont tout d'abord virtuelles et elles ne deviennent réelles qui si elles peuvent s'adaptée a une apréciation rigoureuse du contexte dans le quel elles seront appliquées.
    Dans la dernière compagne électorale les analystes dans leurs opinions sont un bel exemple d'idées mal connectées au réel.
    Il y avait sur toutes les tribunes médiatiques des grands sages savants de toutes tendances defendant leurs vision du peuple et du contexte mais le soir de l'élection ils furent tous confondus.
    Qu'on-t-il fait ?
    Au lieu de questionner leurs manques de rigeur dans l'apréciation du contexte ils blamaient le contexte lui même pour ne pas s'être plier a leurs visions.
    Ils faisaient de leurs opinions des certitudes.
    Mais la certitude ne se fonde pas sur une opinion,qui n'est autre qu'une impression crée a partir d'informations floues.
    Les idéologues de Québec solidaire ont aussi ce problème.Ils véhiculent l'idée que les grands penseurs ne peuvent être que de gauche et que par ce qu'ils sont de gauche ils sont automatiquement de grands penseurs.Comme ils sont de grands penseurs ils vont prendre soin de ceux qui selon eux ne peuvent penser par eux même.
    Dans les faits penser,réfléchir et confronté par le doute s'apprend . S'ils intruisaient les gens qu'ils prétendent défendre
    ils feraient vraiment un geste solidaire.
    Cela serait une idée qui pourrais trouver une place dans le réel.