France/Wallonie, des relations complexes

Chronique de José Fontaine

Le Québec est un territoire conquis par la France et peuplé de colons français qui ont subi ensuite le joug britannique. La Wallonie, où le français a toujours joué un rôle (mais par son mouvement propre), n’a été française que de 1795 à 1815. J’indique ici les pistes d’un dossier qui pourrait comprendre les relations Québec/France. Paul Tourret pense (1) qu’il y a un tabou géopolitique en France sur la Wallonie (et la Suisse romande).
La France s’est étendue vers l’est et le nord-est. Certains disent que Louis XIV dans la deuxième moitié du XVIIe, a soit « trop » pris à la Wallonie (s’il avait moins pris, nous serions plus nombreux que les Flamands), ou « trop peu » (s’il avait tout pris, nous serions des Français). La Belgique s’est créée en 1830. Amalgamée à la Hollande en 1815 (après la défaite de Waterloo), Hollande + Belgique étaient une sorte de chien de garde de la France considérée comme dangereuse suite aux aventures de Napoléon. Puis en 1830, en se séparant de la Hollande, la Belgique a affaibli l’œuvre antifrançaise des traités de 1815. Elle est fragile. La Hollande veut la reconquérir, début août 1831. Mais l’armée française (du roi constitutionnel Louis-Philippe remplaçant la monarchie restauratrice de 1815) la refoule (avec l’accord de l’Angleterre).
Lors de la révolution de 1848, le gouvernement républicain français a cherché à étendre la révolution (et, à mon sens, la France), à la Belgique, sans y parvenir. Déjà en 1789-1792, la France a dirigé ses armées vers les forces européennes contre-révolutionnaires, les a défaites à Jemappes. A été défaite elle-même. Puis obtient une victoire éclatante à Fleurus en juin 1794 : Belgique (et Wallonie) sont réunies à la France (1795-1815 : ce sera la seule fois). Napoléon reprend les conquêtes de la Révolution dans un esprit impérialiste, est battu à Waterloo (1815). Après 1848, Napoléon III, fondant le Second Empire, reprend l’idée d’expansion française. Face à l’unification de l’Allemagne, avant 1870, il demande des compensations (des « pourboires » dit Bismarck), à l’Allemagne (dont la Belgique), ne les obtient pas (2). Il perd rapidement la première guerre franco-allemande (Sedan en septembre 1870), et son trône. La IIIe République lui succède. Quand l’Allemagne tente d’en finir avec la France en août 1914, elle se heurte à une armée belge qui combat l’armée impériale germanique qui viole sa neutralité en passant par la Wallonie pour frapper la France au coeur . En se défendant elle-même la Belgique fait le jeu de la France et sa résistance joue un rôle dans la victoire de la France sur la Marne qui stoppe l’invasion. Après 1918, une alliance militaire franco-belge s’institue, considérée comme vassalisant la Belgique selon des historiens flamands (3). Elle est mise en cause, se casse en 1936 à cause de Léopold III qui, lorsque la Deuxième Guerre mondiale éclate, fait appel aux garants de la neutralité belge (Français et Anglais). Le territoire belge est envahi. L’armée belge arrive au bout de la défense de son territoire. Les Anglais et les Français, en train de rembarquer à Dunkerque devant l’avance allemande, le roi des Belges, ne se considérant pas comme engagé avec les Alliés, les laisse tomber. Il capitule (alors que selon bien des auteurs, il aurait pu se joindre aux forces françaises, anglaises en train de fuir par la mer vers la Grande-Bretagne, l'encerclement allemand), fait en réalité sortir son pays de la guerre, ce que ses ministres refusent. Il est désavoué par tous, se maintient en exil en Suisse. Quand il revient en juillet 1950, la Wallonie se soulève (4). Au sommet de l’émeute, il semble bien que la France ait envisagé un appui militaire aux Wallons, mais le lendemain le roi se retire (un manuscrit de Fernand Schreurs en témoigne et il a été publié notamment dans la revue TOUDI (annuelle) en 1991).
L’Europe se met en route. De Gaulle en a une conception plus nationale que supranationale: la supranationalité est la carte jouée par des gens comme Pierre Harmel et Paul-Henri Spaak (dans les années 60) qui voient dans l’Europe une façon de dépasser le conflit Flamands-Wallons en l'y noyant (5). En 1967, c’est le « Vive le Québec libre ! » à Montréal. De Gaulle devrait être invité en Belgique. Il ne l’est pas parce que la Sûreté belge pense que la France soutient les activistes flamands en vue d’attiser le conflit belge dont elle espère (rerait) que la rupture finale conduise à la réunion de la Wallonie à la France. Le gouvernement belge craint que le général ne s’inspire à Liège du discours de Montréal (6). Dans les années 60, de Gaulle fait savoir très discrètement que la France interviendrait dans le conflit belge si une autorité wallonne légitime le demande (à la tête d’un Etat wallon autonome) (7)
De fait, en 1993 et en 1995, deux Présidents wallons (la Wallonie étant devenue cet Etat) demandent à François Mitterrand que la France traite la Wallonie comme le Québec : ils s’entendent recommander de défendre l’unité belge (8). Chirac qui succède à Mitterrand est plus « gaulliste ». Sarkozy moins, me semble-t-il. L’Europe, aujourd’hui, est là. Si ce projet n’était pollué par le néolibéralisme, ce serait le plus grand progrès humain. Car il vise à la une réconciliation de nations d’Europe pour bâtir un avenir supérieur aux nations sans les effacer.
De Gaulle, selon Eric Roussel, s’il avait gardé le pouvoir aurait invité les Wallons à s’assumer de même que les Suisses romands (9). Mais l’Europe est une organisation qui se construit par consentement mutuel. Flamands et Wallons sont dans ce cadre, participent de l’idée européenne, leur conflit n’ayant jamais fait un seul mort. Ils s’arrangent. Dans cette Europe fondée sur le consentement contractuel, la Wallonie se liera plus à la France. Sans une augmentation du territoire français qui n’est pas dans l’esprit de la construction européenne (et la France y joue un rôle central). Mais en laissant se déployer plus largement, à cause de l’Europe, tout ce qui unit Wallons et Français. Je le vis tous les jours avec mes élèves français (car il y en a énormément qui viennent en Wallonie et nous, nous regardons sans cesse la France).
Les rapports du Québec et de la Wallonie avec la France ne semblent pas devoir être ceux de terres irrédentes, appelées à rejoindre la mère-patrie. L’aide que l’on peut demander à la France c’est qu’elle nous comprenne, s’informe, accroisse les échanges, fasse preuve d’une neutralité bienveillante, que les Français étudient un peu mieux ces questions du Québec et de la Wallonie. Le reste ne dépend que de nous car on ne peut devenir libre que librement et notre indépendance croissante assure à la France de voir ce qu’elle est par sa culture et sa langue rayonner à partir de multiples pôles et non se figer dans une uniformité tricolore. Notre entente dans la Francophonie doit servir l’Afrique francophone. C’est plus impérieux que tout. C’est cela l’horizon vraiment important parce que fraternel de la Francophonie.
José Fontaine
(1) Paul Tourret, Nationalismes régionaux en Europe, Hérodote n° 95, 4e trimestre 1999...
(2) Jean-Léo , Napoléon III et la Belgique, Racine, Bruxelles, 2002.
(3) Velaers et Van Goethem, Leopold III, De Koning. Het Land. De Oorlog, Lannoo, Tielt, 1994.
(4) L’ambassadeur américain Sawyer avait rapporté déjà en mai 1949 à son gouvernement que le Foreign Office pensait qu’une minorité grandissante de Wallons demanderont soit l’autonomie, soit la réunion à la France. Voir UNITED STATES DEPARTMENT OF STATE RECORDS (USDSR), National Archives, 855.001 Sawyer to Secretary of State Edward R. Stettinius, May 26,1945.
(5) Le Monde, 14 octobre 1966.
(6) Vincent Dujardin & Michel Dumoulin, L’union fait-elle toujours la force ?, Le Cri, Bruxelles 2008, p.133.
(7) Claude de Groulart, De Gaulle :vous avez dit Belgique ?, Fabre, Lausanne, 1989, p. 41.
(8) Philippe Destatte, L’identité wallonne, Namur, 1997, p. 395. Il n'est question que de la tentative de 1993 (et pas de la réponse française, quoiqu'elle soit connue), mais celle de 1995, tentée par Robert Collignon est connue (et l'identique réponse française).
(9) Eric Roussel, De Gaulle, Gallimard, Paris, 2002, p. 916.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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