Les cousins déçoivent parfois

Chronique de José Fontaine

Les déclarations du Président Sarkozy ont fait mal au Québec (et m'ont fait mal). Il est certes possible d’y voir autre chose, le maintien de relations privilégiées entre le Québec et la France. Si je rapproche l’attitude de Sarkozy de celle de De Gaulle, c’est que – je réfléchis tout haut et suis donc iconoclaste – je me dis que si l’attitude du général en 1967 a tout bouleversé, il ne faut peut-être pas non plus penser que Charles de Gaulle serait le libérateur du Québec. Il a pris en charge – et avec quel courage mais aussi quelle efficacité – un mouvement vivant qui telle une braise rouge ne demandait qu’un souffle pour jaillir en haute flamme. Mais il aurait tôt ou tard gagné cette hauteur...
Cependant, sans de Gaulle, le Québec – pas du tout inconnu des militants wallons, la première revue sur le Québec en Wallonie date de 1945, même si elle n’a eu qu’une durée éphémère – n’y aurait pas suscité un tel enthousiasme dans les années 70 et 80. Il fut un temps où les militants wallons confondirent les deux combats: le drapeau du Québec dans nos assemblées côtoyait le drapeau wallon. Bien des intellectuels wallons ont été frappés par le tour d’humanisme que le nationalisme québécois donnait à son combat en montrant (contre la fameuse idée que le nationalisme divise, un peu reprise à son compte par Sarkozy), que s’affirmer contre l’ensemble dont on fait partie n’est pas nécessairement travailler contre l’unité du Monde (car l'uniformité brise l'unité mieux même sans doute que la division). Les Québécois nous dont donné aussi, en Wallonie, le sentiment que les luttes politiques de ce type avaient leur dimension culturelle. Et je reste persuadé pour avoir beaucoup contribué en Wallonie à l’idée de culture wallonne, que si les Manifestes wallons de 1983 et 2003 ont été rédigés et signés par beaucoup, avec la conséquence de leur retentissement réel, c’est parce que, comme le disait un Professeur aussi important que Jacques Dubois qui l’écrivait dans la revue Le Carré en 1982, « le Québec nous est un exemple et un défi. » Et le modèle du Québec a été agissant en Wallonie même si, par ailleurs, la force du mouvement wallon est, elle aussi, née d’une volonté autochtone de redresser la Wallonie économique, volonté portée par les syndicats socialistes en premier lieu.
Ce qui m’avait fasciné en 1967, c’est que le Québec était un Etat fédéré, à même de lancer une invitation officielle au Président français et de le recevoir en son nom propre, pas en celui du Canada. A l’époque, le fédéralisme nous faisait rêver puisque nous étions dans un Etat unitaire, et la Wallonie totalement dépourvue d’autonomie. Les revendications fédéralistes étaient traitées comme des revendications séparatistes et jugées comme extrémistes, pouvant faire éclater l’unité belge. Aujourd’hui, je sais bien que les responsables du Québec les plus partisans de l’indépendance savent qu’il y a dans le fédéralisme belge des traits de confédéralisme qui le rendent unique au monde, notamment en matière de relations internationales. Sur le plan institutionnel, nous avons dépassé le Québec. Sur le plan du sentiment d’appartenance, de l’identité culturelle, nous sommes toujours en retard sur lui. En 2003, la Wallonie était dirigée par un homme politique d’envergure, Guy Spitaels (1) qui, ancien camarade de Mitterrand dans l’Internationale socialiste, nous rappelle l’historien Ph.Destatte (2), avait pris sur lui de lui demander que la France traite la Wallonie comme elle traite (ou traitait ?), le Québec. Mitterrand le quitta en lui demandant de sauvegarder l’unité belge. Le Président wallon suivant, en une démarche semblable, se vit attirer la même réponse. Mais l'autonomie wallonne s'est encore accrue. la Wallonie a signé un Traité avec la France venue le parapher à la va-vite, même pas à Namur, notre capitale, mais dans un hôtel bruxellois et plus personne n'en entend parler.
Honnêtement, la France officielle n’a jamais en rien aidé la Wallonie dans sa marche vers l’autonomie, en rien. Mais nous bénéficions d’un capital de sympathie populaire en ce grand pays, capital qui nous aidera un jour ou l’autre, quand nous nous serons encore émancipés un peu plus de la Belgique. Les secours mutuels que, Wallons et Québécois, peuvent se porter, sur l’essentiel de la cause qui les meut, soit celle de la liberté des deux peuples de chaque côté de l’océan, nous pouvons les envisager comme possibles en raison des relations diverses nouées dans des cadres (traités divers, collaborations, coopérations échanges multiples, pas toujours bien connus), qui ne sont des alliances militantes nationales et régionalistes, loin de là. Mais parce que nous luttons d’abord et avant tout pour la reconnaissance, chaque fois qu’un Québécois dit ou écrit « Wallonie », chaque fois qu’un Wallon dit ou écrit « Québec », nous nous donnons un fameux coup de main. Je songe ici aux militants, aux sociétés civiles. Et en l’écrivant je m’aperçois que ces secours mutuels sont bien maigres par rapport au grand théâtre des rencontres et des traités d’Etat à Etat. En écrivant cela, j’ai conscience que je vais m’attirer les regards condescendants des réalistes. Je leur conseillerais tout de même de relire les Mémoires d’un grand réaliste de la politique qui, dans les premiers pas de la France libre en 1940, ne dédaigna jamais la plus petite reconnaissance venue de France et de territoires français même les plus minuscules (comme Saint-Pierre-et-Miquelon). Et ne dédaigna jamais la plus petite reconnaissance venue des plus humbles.
Comme le ralliement des 124 marins-pêcheurs de l’île de Sein, au large de la Bretagne. Pour adhérer à la seule vraie France d'alors, ils quittèrent leur île en vue de gagner, à Londres, la Liberté.
Quelques jours après le 18-juin.
José Fontaine
(1) Spitaels est de la ville d’Ath, en Wallonie picarde, la ville de Louis Hennepin qui inventa le mot Louisiane
(2) Philippe Destatte, L’identité wallonne, Namur, 1997, p. 395.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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