Fédéralisme au Canada et en Belgique

Chronique de José Fontaine

Le dialogue avec Bruno Deshaies suite à la précédente chronique me semble important : échanger entre Québécois et Wallons sur nos perspectives d’affranchissement est passionnant.
Comparaison rapide
Le Québec est un Etat fédéré depuis 1867, soit depuis 142 ans, la Wallonie depuis 1980 et à ce moment très petitement : les entités fédérées belges disposent alors de 10% des ressources publiques. L’Etat belge qui demeure prépondérant est l’héritier de toutes les mutations des Etats du monde développé menant de l’Etat libéral minimal du 19e siècle à l’Etat amplifié d’aujourd’hui qui garantit par exemple la sécurité sociale, une ambition formidable, pratiquement inconnue avant 1920. Le Québec assume en partie toutes ces fonctions des Etats au fur et à mesure du même développement historique. Chez nous, jusqu’aux années 1980, il n’y a qu’un seul Etat, l’Etat unitaire belge qui a mené aussi des politiques à la Keynes après 1940, l’une des dimensions importantes de la Révolution tranquille au Québec. Les discours de Lévesque, la ferveur qui les accompagne tient aussi au fait qu’il est le symbole d’un Etat qui va loin dans l’exercice de ses responsabilités, qui affranchit la société par le développement (cet aspect très présent dans le discours du général de Gaulle à Montréal).
Rien comme autonomie en 1980, énormément en 1999
En 1967, nous, nous sommes toujours dans l’Etat unitaire belge et rien d’autre. Depuis 1950, les politiques de développement de l’Etat belge dynamisent la seule Flandre alors que la Wallonie s’enfonce dans le déclin. Ce que mettent en cause violement les syndicats wallons notamment durant la grève de l’hiver 1960-1961 qui débouche sur l’exigence d’un Etat fédéré wallon avec l’espoir qu’il se substitue à l’Etat belge jugé défaillant. Rien ne change dans la structure institutionnelle du pays avant 1970. Il faut attendre les réformes de 1988, 1993 et 1999 pour que finalement les entités fédérées gèrent 50% des ressources publiques. C’est aussi à ce moment que le Gouvernement wallon commence à mener une vraie politique de redressement, cette politique qui était l’espoir des années 60, mais qui ne pouvait être mise en œuvre faute de moyens politiques. On n‘est plus dans l’époque keynésienne, mais l’Etat peut encore intervenir. Les Gouvernements wallons lancent des politiques appelées « Contrat d’avenir ». En 2005, divers rapports montrent que la Wallonie ne se relève pas et c’est alors que l’on lance une politique nommée « Plan Marshall ». La Revue Nouvelle, bonne revue indépendante, fait le bilan de cette politique, considérant (je ne citerai que ce qui est positif). ceci : « L’évaluation a remarqué plus de cohérence entre les mesures et par rapport aux objectifs., plus de sélectivité dans les mesures, les actions et les projets retenus, contrastant avec le saupoudrage traditionnel, dicté par les”équilibres” politiques et sous-régionaux. Il y a eu une réelle coordination administrative, plus de rapidité d’exécution (pragmatisme budgétaire, délégué spécial, task force), plus de suivi de la mise en œuvre, et un meilleur inventaire des réalisations. Outre ce surcroît de professionnalisme, le gouvernement a créé un climat volontariste et mobilisateur avec les partenaires sociaux et les partenaires des des pôles de compétitivité, et il a engagé des processus concrets de collaboration avec les agents du développement relativement cloisonnés. Enfin, si l’évaluation réalisée comporte des limites, qu’elle énonce d’ailleurs, des témoignages rapportent qu’il n’y a pas eu de censure du gouvernement. »
Les Wallons inexpérimentés dans la gouvernance mûrissent peut-être
Tout se passe comme si les Wallons parvenaient à (peut-être) enfin utiliser leur autonomie efficacement. Celle-ci est étendue. La répartition des compétences est globale : si un niveau de pouvoir est compétent pour une matière, il l'est pour la fonction normative, exécutive, budgétaire, et les relations internationales. C'est ce que souligne C.E. Lagasse: les compétences sont attribuées en bloc : dès lors qu’une matière est confiée à une entité fédérée, l’échelon fédéral n’a plus à en connaître. De sorte que l’on parle de la Belgique comme d’une confédération. Mais depuis peu. Si des professeurs d’université l’avaient souligné dès 1984, c’est seulement avec la crise politique de 2007 qu’on a mieux compris (et pris conscience de ) cette dimension juridique qui fait du fédéralisme belge une exception dans le monde. Menant inéluctablement à mon sens à une Belgique qui sera en fait une union d’Etats indépendants. Gardant sans doute de l’ancien Etat unitaire la sécurité sociale tellement ce système fonctionne bien, mais, à la limite, rien d’autre. Un ambassadeur honoraire proposait tout simplement de supprimer le ministère belge des affaires étrangères dans La Libre Belgique du 25 mai.
Un changement effectué à une vitesse folle
Ce changement s’est déroulé avec une rapidité folle. On passe d’un Etat encore unitaire à 99 % jusqu’à l’année 1980 à un Etat dont les entités fédérées disposent de 51% des ressources publiques en 1999, qui peuvent signer des traités, qui siègent au Conseil des ministres européens, autre organisme de type confédéral. Qui créent des droits distincts. Qui finissent par trouver (surtout en Wallonie, c’était difficile), à ce qu’il semble, les voies et les moyens d’un redressement d’une économie en difficultés depuis 1940 sinon 1930. Le Québec a une expérience de la gouvernance publique propre qui a 142 ans. Nous, elle a à peine 10 ans si l’on admet que l’année 1999 correspond à un sommet jamais atteint de compétences en Wallonie. Or, elles vont s'accroître encore. Il y a aussi une question d’impossibilité pour les citoyens de s’y retrouver : on vote en 2007 pour le Parlement fédéral, en 2009 pour les Régions et l’Europe. Et le reste d’unitarisme psychologique en Belgique pousse les médias à expliquer ce qui se passe en Flandre et à l’Europe où les enjeux sont encore plus compliqués et concernent un demi-milliard d’êtres humains. Je sens que je n’ai pas répondu de manière précise à Bruno Deshaies mais j’espère avoir fait comprendre notre étrange situation.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    1 juin 2009

    Oui et comme toujours vous avez beaucoup écrit pour répondre peu mais merci pour vos liens.
    Par contre je doute de votre réponse lorsque vous écrivez que cela fut un peu pareil pour les peuples flamands et wallons à qui on imposa via la Belgique une langue étrangère.
    Je me rappele même d'un temps où vous nous enseigniez via votre forum que l'on parla probablement mieux Français en Wallonie et ce peut-être avant même de le parler en France et que pour cette raison, avant la guerre 14-18 beaucoup de Français ne savaient même pas qu'ils l'étaient; des Français !
    Ce qui me parait plus vraisemblable pour notre histoire linguistique belge, c'est que l'évolution vers le Français d'un peuple latin était dans l'ordre naturel des choses ... alors que pour les Flamands cette même évolution devait aller vers une langue germanique, ce que les élites francophones belges de l'époque ont essayé d'enrayer à toutes forces.
    Tiens, quelle langue parlaient les Français venus fonder le Québec au 16è siècle ?

  • José Fontaine Répondre

    31 mai 2009

    L'idée que la bourgeoisie fondatrice de l'Etat belge a imposé une autre langue à la population qui était la sienne est juste. Mais cela vaut tant pour la Wallonie que la Flandre. On peut certes penser que les Wallons parlant une langue plus proche du français (langue de culture de leurs langues régionales), ont été amenés à accepter cette imposition plus facilement et aussi plus librement. Les Wallons pouvaient également estimer que cette langue (d'une grande diffusion internationale), allait devenir la langue de tous les Belges et trouver là un motif de plus de l'apprendre.
    Mais durant la période où la Wallonie s'est mise à parler le français en même temps que le wallon (1920-1940), la Flandre a choisi de prendre, de manière décisive, le néerlandais (langue de culture des langues régionales flamandes) comme langue officielle au lieu du français, confortant ainsi une position déjà politiquement majoritaire (les ministres wallons dès 1884 ont été minoritaires dans les gouvernements belges), d'une dimension linguistique et culturelle.
    Or le français était aussi une langue proche d'une longue expérience historique flamande, pour les élites, mais d'une manière peu différente du même phénomène linguistique et social dans Wallonie ancienne du Moyen-Âge au XXe siècle. Le choix du néerlandais par les Flamands en 1920-1940 fut donc pour eux une façon d'imposer progressivement et de facto l'usage de cette langue à l'ensemble des Belges dans la mesure où les Flamands étaient majoritaires et entendaient bien que leur langue prédomine. Ce processus n'est pas achevé, mais l'écoute des JT de la RTBF démontrent que les cadres supérieurs de l'administration, des affaires, voire de l'université et même des syndicats sont de plus en plus des Flamands, reconnaissables à leur maîtrise imparfaite, parfois médocre, du français (il suffit de comparer le français parfaitement maîtrisé du ministres des affaires du petit Luxembourg et du ministre belge et flamand des affaires étrangères: on a le sentiment que le Luxembourg est plus francophone que la Belgique, alors que les Luxembourgeois n'ont pas le français comme langue maternelle). Dans le langage d'Internet, ce même Luxembourg garde son nom français alors que la Belgique est nommée Belgium, l'anglais s'imposant tant au néerlandais qu'au français.
    La Flandre a gardé sa langue et c'est très bien, c'est même juste et admirable. Mais cela se produit aussi, de fait, comme une sorte de revanche et d'assujettissement non pas des couches sociales flamandes qui avaient imposé le français (elles continuent à le parler en même temps que les langues régionales flamandes qu'elles ont toujours pratiquées, ce qui fait des élites flamandes le seul groupe social gagnant en tout ceci sur le long terme de l'histoire belge), mais de la Wallonie, éternelle minorisée en Belgique. La Wallonie aurait été bien en peine d'imposer en faveur du wallon des mesures semblables à celles prises en faveur du néerlandais, dans la mesure où les Wallons n'ont jamais été majoritaires dans l'Etat belge et dans la mesure où, en démocratie, la loi de la majorité permet à celle-ci d'imposer un régime même si la minorité ne l'a pas souhaité. Et les Wallons - on ne le dit pas assez - ont, bien plus que la langue, refusé le nationalisme flamand qui s'exprimait par le vote de lois en faveur du néerlandais. Ils ont appréhendé ces lois - instinct des minorités - comme le moyen de leur subordination future. Non sans perspicacité.
    Il y a en tout ceci du juste et de l'injuste de part et d'autre. Mais aussi la victoire de l'élément le plus fort parce que le plus nombreux. Pas seulement sur le plan culturel d'ailleurs.

  • Archives de Vigile Répondre

    30 mai 2009

    Pour ma part, je pense que les Québecois auraient plus d'intérêts à échanger avec la Flandre et les Flamands, dont le combat à l'intérieur d'un état belge (resté unitaire jusqu'en 1980) se rapproche plus du leur à l'intérieur de l'état canadien, que avec la Wallonie dont la langue et culture ne furent jamais mises en péril par la Belgique.
    Comme les Québecois le font contre l'anglais, les Flamands ont de tous temps du combattre les Francophones*** de la Belgique unitaire pour y faire respecter leur langue et culture alors que contrairement aux Québecois, eux y étaient majoritaires en Belgique; ce qui ne fait à mes yeux qu'accentuer encore plus la forfaiture dont ils furent les victimes.
    *** Les élites belges, dont aussi les élites flamandes, étaient francophones à cette époque comme toutes les cours européennes qui parlaient elles aussi le Français.