Texte publié dans Le Soleil du samedi 16 mai 2009 sous le titre "Rebondissements prévisibles de la question déontologique"
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Dans une démocratie, une part extrêmement importante du débat politique concerne la justification, non seulement rationnelle, mais également éthique et déontologique, des décisions prises par les pouvoirs publics.
Cette justification fait intervenir non pas une vision ou une religion commune, comme dans le monde prémoderne, mais une éthique publique. Celle-ci a pour tâche d'articuler et de justifier les principes et les normes, les fins et les «raisons» qui permettent de légitimer les comportements et les pratiques, les institutions et les décisions politiques, et de constituer ainsi un consensus aussi large que possible. Et ce, malgré la diversité et l'incompatibilité mêmes des systèmes de valeurs, des croyances individuelles et des intérêts personnels aussi bien des membres de la collectivité que ceux des dirigeants, dont la fonction, même provisoire, doit constamment susciter la confiance. On voit à quel point les enjeux en sont importants.
Des manques évidents
Dans l'état actuel des choses, deux carences sont mises en lumière au Québec à ce chapitre. D'une part, l'absence d'un système moderne de gestion de l'éthique à l'échelle des institutions territoriales -- d'ailleurs doublée dans bon nombre de cas d'un vide sur le plan de la vérification publique des comptes (conformité et optimalisation des ressources) sous le prétexte hallucinant du grand nombre ou de la taille des municipalités! Et une mollesse, d'autre part, quant à l'application des règles d'encadrement éthiques et déontologiques existantes à l'échelon des administrateurs publics responsables des activités dans les organismes gouvernementaux qualifiés d'autonomes, soustraits qu'ils sont dans la pratique de l'exercice à une réelle tutelle ministérielle, un assujettissement que leur loi constitutive prévoit pourtant.
S'ils étaient appliqués avec une rigueur constante, les articles de la loi sur le ministère du Conseil exécutif adoptés en 1997 (L.R.Q., c. M-30, a. 3.0.1 et 3.0.2; 1997) auraient prévenu ou corrigé la très grande majorité des lacunes de nature éthique ou déontologique rencontrées aujourd'hui. Les autorités ministérielles doivent se montrer continuellement vigilantes et prendre les dispositions nécessaires pour être au fait de l'évolution des zones à risque éthique, et cela, en raison des mutations constantes de l'environnement des administrateurs publics.
Urgent changement
Ces transformations s'expliquent notamment par les orientations que ces autorités élues déterminent elles-mêmes ou par les réformes qu'elles préconisent légitimement: déréglementation, pratiques d'une nouvelle gestion publique, fixation d'objectifs de performance mesurés par des résultats quantitatifs pour fonder la rémunération, place accrue au secteur privé dans les services publics, etc. Pour le reste, les lois pénales sont là pour sanctionner les fautes lourdes avérées qu'un système éthique adéquat permet de détecter.
Quant au palier des institutions territoriales -- qu'un ministre ne peut par naïveté, calcul politique ou irresponsabilité assimiler à des instances indépendantes (comme si elles étaient souveraines!) alors qu'elles sont juridiquement sous sa tutelle en vertu des lois qui régissent la décentralisation territoriale au Québec --, il est urgent que tous les élus et les diverses catégories de personnel qui y oeuvrent aient accès à un système complet de gestion moderne de l'éthique et de la déontologie.
Des modèles efficaces
L'articulation des composantes d'un tel système n'est pas, aujourd'hui, à inventer de toutes pièces: tous les modèles efficaces dans les pays développés se ressemblent depuis le milieu des années 1990. On peut en résumer les composantes comme suit:
- Adoption d'une déclaration lisible et compréhensible, émanant du Parlement ou de l'autorité de tutelle, qui proclame les valeurs (croyances et convictions) attachées au service public national et détermine les principes qui encadrent l'éthique de la conduite attendue des élus et des administrateurs publics dans les instances territoriales;
- Adoption d'un code de déontologie dans les domaines délicats, où tout écart de conduite est jugé inacceptable et sera réprimé;
- Publication de guides sur les saines pratiques jugées conformes à la mission de l'organisation pour soutenir la réflexion des acteurs (élus, administrateurs) et celle des citoyens (informés par des médias documentés et alertes) devant les dilemmes rencontrés;
- Tenue d'activités de formation obligatoires conçues (et modulées en tenant compte de l'ancienneté des personnels) pour faire le lien entre la mission, les pouvoirs, les plans d'action, la philosophie du cadre de gestion, l'évolution des pressions externes ou internes (risques organisationnels) et les valeurs fondamentales du service public au Québec;
- Accès à des «ressources-conseils» permanentes, d'un statut adapté, aptes à conseiller et à accompagner la réflexion des élus et des personnels de tous les niveaux lorsqu'ils rencontrent des dilemmes de nature éthique ou déontologique;
- Désignation d'une autorité spécifique, souvent dotée du titre de Commissaire à l'éthique dans la tradition institutionnelle anglophone. On comprend que le contrôle des pratiques légales du lobbyisme ou celles de la vérification des comptes financiers n'épuisent pas les enjeux de l'éthique publique, pouvant même s'avérer des activités qui, compte tenu des limites de leurs techniques, s'y montrent contradictoires;
- Mise en place par cette autorité, qui relève habituellement du Parlement ou du chef de l'État, d'un contrôle du bon fonctionnement du système d'encadrement éthique et déontologique des titulaires d'une charge publique. Ce système doit prévoir un processus rigoureux de reddition de comptes par les élus et les gestionnaires quant au respect des standards éthiques et des normes déontologiques prescrites, débouchant, le cas échéant, sur des sanctions disciplinaires ou pénales.
Le temps semble venu au Québec de reprendre les choses en mains avant qu'elles ne dégénèrent.
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Pierre Bernier, Professeur associé à l'École nationale d'administration publique (ENAP) et chercheur à l'Observatoire de l'administration publique
Éthique: des rebondissements prévisibles
Éthique et politique
Pierre Bernier3 articles
Professeur associé à l'École nationale d'administration publique du Québec et chercheur à l'Observatoire de l'administration publique
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