Entre mythes et réalités

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Santé - le pacte libéral





Les réactions des derniers jours à une conférence que j'ai prononcée récemment sont typiques de la difficulté d'avoir un débat rationnel sur l'avenir de notre système de santé. De nombreux intervenants, non présents à la conférence, ont rapidement choisi la voie de l'insulte plutôt que celle du débat éclairé portant sur les idées.
En ce qui me concerne, ces idées sont les mêmes que celles qui m'ont animé au cours des 10 dernières années: l'avenir de notre système de soins repose sur un réseau public fort, bien soutenu par l'État et gardant le cap sur les priorités que sont la première ligne, les services sociaux et la transformation du réseau pour s'ajuster à celle de notre société, c'est-à-dire le vieillissement, la prise en charge intégrée des maladies chroniques et des problèmes de santé mentale. Il existe également un ensemble d'intervenants privés, qu'il faut encadrer et amener à agir en soutien du réseau public, à l'image de ce qui existe dans de nombreux pays, pas moins évolués que le nôtre sur le plan social. La loi 33, encore très mal comprise, ne vise pas à faire la promotion de ces intervenants, mais à définir et encadrer leur action.
Rappelons brièvement le contenu de cette loi, adoptée dans la foulée de l'arrêt Chaoulli-Zeliotis. Elle permet un accès très limité à l'assurance duplicative pour trois interventions chirurgicales prioritaires: les prothèses de hanche et du genou et l'opération de la cataracte. À ma connaissance, aucun contrat d'assurance de ce type n'a été offert ou acheté depuis... et les résultats du réseau public dans ces domaines se sont significativement améliorés.
La loi instaure également l'obligation pour les hôpitaux de mesurer et gérer activement l'accès à leurs services spécialisés et encadre les ententes de service entre hôpitaux et cliniques, déjà possibles - sans balises - depuis des années en vertu d'un article (108) de la loi.
Cette loi apporte enfin un encadrement réglementaire à la pratique de certaines opérations dans les cliniques privées. C'est là que se situe l'incompréhension manifeste que l'on constate depuis l'adoption des règlements. Le gouvernement a fait, avec le Collège des médecins et la Fédération des médecins spécialistes du Québec, le relevé de ce qui se pratique déjà (depuis des années, bien avant 2003!) dans les cabinets médicaux et cliniques du Québec.
Il est en fait surprenant de constater qu'avant l'adoption de la loi et de ses règlements, il était possible de pratiquer des opérations majeures sous anesthésie sans encadrement autre que le Code de déontologie du Collège des médecins. Désormais, on ne pourra le faire sans avoir le statut de Centre médical spécialisé: un permis gouvernemental, des inspections, un agrément par un organisme reconnu et le contrôle médical majoritaire de la pratique professionnelle. Le règlement restreint la pratique de deux opérations majeures (hanche et genou) aux cliniques de médecins non participants afin, encore une fois, d'encadrer ce qui se fait déjà depuis des années et d'éviter la prestation désordonnée de services chirurgicaux majeurs en dehors de nos hôpitaux. Quelques dizaines d'opérations de ce type sur les 10 300 pratiquées en un an... comment peut-on parler sérieusement de «monopole»?
Un retour en arrière
À ceux qui disent ou écrivent que ces règlements ont «transféré des interventions au secteur privé», je réponds: nommez-en une qui l'a été! Abroger ces règlements signifierait un retour en arrière vers la déréglementation et l'anarchie qui existaient auparavant. Plutôt qu'une protection du réseau public, une dangereuse abdication du rôle de l'État dans le domaine de la qualité et de la sécurité des soins médicaux, quel que soit l'endroit où ils sont offerts.
Le reste est une question qui relève du débat politique et me permet de répéter ce que j'ai dit à l'Assemblée nationale et ailleurs à plusieurs reprises: la prestation privée à financement public (Rockland) fait et fera partie de notre réseau à payeur public. Il faut implanter la concurrence dans notre système de soins à plusieurs niveaux, entre autres à l'intérieur même du réseau public. Il est absurde de considérer des questions telles que la contribution de l'usager, la pratique mixte ou l'assurance comme des hérésies, il faut plutôt en débattre avec rigueur.
Au cours de mon allocution, j'ai tenté de démontrer que, par exemple, le ticket modérateur n'atteindrait pas les buts escomptés et présentait peu d'intérêt. Quant à la pratique mixte et à l'assurance, j'ai également indiqué qu'il ne fallait en attendre aucune solution au problème de financement du réseau. Il faut plutôt les aborder sous l'angle des libertés individuelles et de la nécessaire définition de la façon dont ces libertés peuvent, dans certaines conditions, entrer en conflit ou non avec l'intérêt du plus grand nombre.
Une de mes fiertés, après plus de cinq années de vie politique, est de ne jamais avoir abordé les débats en insultant mes adversaires ou en mettant en doute leur désir sincère de contribuer à l'avancement de notre société. Pour certains, il semble malheureusement que, de ce côté, bien des efforts restent à faire.
***
Philippe Couillard
L'auteur a été ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec de 2003 à 2008. Il a joint les rangs d'une firme d'investissement privée en santé, Persistence Capital Partners (PCP).
Photo: Martin Chamberland, archives La Presse

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L'auteur a été ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec de 2003 à 2008. Il a joint les rangs d'une firme d'investissement privée en santé, Persistence Capital Partners (PCP).





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