Dans le contexte d'une crise forestière majeure, d'une menace d'inflation à portée de vue et d'une situation minoritaire à l'Assemblée nationale, le gouvernement Charest avait tous les arguments en main pour revenir sur sa décision, prise en arrivant au pouvoir, d'exporter l'électricité aux États-Unis plutôt que de la vendre à prix inférieur aux alumineries québécoises. Alcoa, qui s'était fait couper l'herbe sous le pied en voyant disparaître l'entente conclue avec le gouvernement de Bernard Landry, a finalement gagné le gros lot hier.
En grande pompe à Baie-Comeau, le premier ministre Jean Charest et Alain Belda, président d'Alcoa, ont annoncé «une entente historique qui encadrera le développement de l'entreprise au Québec au moins jusqu'en 2040». Il s'agit d'une entente en quatre volets. Primo, il y a le renouvellement des contrats d'approvisionnement en électricité pour les alumineries d'Alcoa à Baie-Comeau, à Deschambault et à Bécancour. Les contrats actuellement en vigueur seront renouvelés à leur expiration en 2015 pour une durée de 25 ans, et cela au tarif L (de grande puissance) d'Hydro-Québec, tel qu'approuvé par la Régie de l'énergie. Ce tarif, en incluant la prime de puissance, est d'environ 4 ¢ du kWh, en comparaison de 2,81 ¢ pour le consommateur ordinaire.
En 2003, le gouvernement évoquait une situation de pénurie d'électricité pour justifier son refus de conclure une entente avec Alcoa. Hier, M. Charest disait que les conditions du marché avaient «changé radicalement». De son côté, Hydro-Québec a pour rôle de fournir l'électricité pour les besoins du Québec. Il est vrai, souligne-t-on à la société d'État, qu'il y a une baisse de consommation étant donné la fermeture de plusieurs usines de pâtes et papiers et de celle de Norsk Hydro. Il y a aussi une plus grande efficacité énergétique et l'arrivée d'une énergie additionnelle provenant des éoliennes et de nouveaux barrages hydroélectriques. À la limite, la société d'État pourrait toujours exporter moins aux États-Unis pour remplir tous les besoins au Québec, et cela pour respecter une décision gouvernementale, n'en déplaise à l'ex p,à.-d.g. André Caillé, qui plaidait en faveur de l'exportation.
À cela, le gouvernement rétorque que l'industrie de l'aluminium constitue un levier économique important, puisque la production d'aluminium primaire permet d'injecter 2,5 milliards par année dans l'économie québécoise. Cette industrie emploie 12 000 personnes. Plus spécifiquement, l'entente annoncée hier permet à Alcoa de mettre en marché un projet majeur de modernisation de son usine de Baie-Comeau, un investissement de 1,2 milliard pour remplacer les 542 cuves Söderbergs et les 480 cuves précuites. Celles-ci seront remplacées par une technologie plus moderne et plus respectueuse de l'environnement. La capacité de production sera portée à 548 000 tonnes métriques, une augmentation de 110 000 tonnes. La nouvelle aluminerie utilisera un bloc additionnel d'électricité de 175 MW qui sera consenti au tarif L.
En outre, le gouvernement offre un soutien financier avec une garantie de prêt de 228 millions, assortie d'un congé d'intérêt pour une période de 30 ans. La réalisation du projet s'étalera de 2008 à 2015, créant 6800 emplois-année, avec des retombées de 540 millions.
L'usine actuelle de Baie-Comeau emploie 1630 personnes; une fois modernisée, elle en comptera au maximum 1450. L'entente prévoit que la réduction du nombre des emplois sous ce seuil entraînerait une pénalité de 100 000 $ par emploi, à moins que la diminution ne soit faite par attrition. Les trois alumineries d'Alcoa emploient présentement 3160 personnes. L'entreprise s'engage à garder 2950 employés, dont 976 à Bécancour et 524 à Deschambault. Il n'y a aucune clause, dans le cas de Baie-Comeau, pour favoriser le développement d'entreprises de deuxième et troisième transformations. Selon, Jean-Pierre Gilardeau, président d'Alcoa Canada, il s'agit essentiellement, à Baie-Comeau, de transformer une vieille usine et de préserver la majorité des emplois actuels.
1,4 milliard pour moderniser l'usine de Baie-Comeau
Il lui semble toutefois très probable que la question de la création de richesse par d'autres niveaux de transformation que celui de l'industrie primaire fera partie des négociations concernant l'agrandissement de l'aluminerie de Deschambault, qui est le troisième volet de l'entente. Le gouvernement et Alcoa disent souhaiter en venir rapidement à un accord qui permettrait de doubler la capacité de cette usine. M. Charest a même dit vouloir y arriver d'ici le mois de juin 2008. Dans un tel cas, Alcoa investirait 1,4 milliard pour augmenter sa capacité de production de 306 000 tonnes, ce qui nécessiterait un approvisionnement additionnel en électricité. Pourquoi ne pas avoir réglé la question de Deschambault tout de suite, puisque les négociations traînent depuis 2003? M. Gilardeau explique qu'il s'agit de dossiers très complexes et qu'il y a un an, les parties ont convenu de régler d'abord celui de Baie-Comeau. Maintenant que cela est fait, les négociateurs se tournent vers Deschambault.
Enfin, le quatrième et dernier volet de l'entente porte sur l'octroi d'un bloc additionnel d'énergie. Le gouvernement autorise Hydro-Québec à vendre à Alcoa un bloc supplémentaire de 200 MW. Dans l'évolution normale de ses activités, l'industrie de l'aluminium augmente sa consommation annuelle d'énergie de trois quarts de 1 %. Reconnaissant la plus value résultant de cette production supplémentaire, lit-on dans le communiqué, Alcoa et le gouvernement ont convenu d'un tarif correspondant au tarif L, auquel s'ajoute une somme de 5 $ du MWh. Il s'agit d'une première au Québec, souligne le gouvernement.
Évidemment, des investissements de cette ampleur avec un appui financier du gouvernement, directement par une garantie de prêt ou indirectement par des tarifs d'électricité avantageux, suscitent des réactions diverses. Les autorités municipales de Baie-Comeau ont été les premières à clamer leur «immense plaisir» d'apprendre cette nouvelle, laquelle «vient insuffler à l'économie de toute la région un vent de dynamisme dont les effets se feront sentir à toutes les étapes de notre développement». D'autres intervenants qui partagent rarement la même opinion, la CSN et la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, étaient cette fois pleinement d'accord pour saluer cette annonce. Le milieu syndical insiste sur la consolidation des emplois, tandis que la Chambre de commerce se réjouit du fait que ce nouveau développement est planifié sur un horizon de 30 ans. «Cet investissement générera, à terme, des retombées de 470 millions annuellement au Québec, notamment par le biais des 700 entreprises montréalaises avec lesquelles Alcoa entretient d'étroites relations d'affaires», a fait valoir Isabelle Hudon, présidente de la Chambre. En revanche, certains, comme le professeur Jean-Thomas Bernard de l'Université Laval, présentent des calculs pour montrer que l'État a payé un coût exorbitant pour appuyer des projets d'aluminerie de cette envergure. L'an dernier, pour un projet d'Alcan de 3,2 milliards au Saguenay, la contribution du gouvernement équivalait sur 30 ans à un montant de 336 700 $ par année et par emploi.
Entente historique» entre Alcoa et Québec
L'aluminerie va de l'avant avec la modernisation de Baie-Comeau
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