Plus ça change...

Ce n'est pas un hasard si les alumineries, comme les papetières, font partie du paysage québécois depuis un siècle. C'est à cause de l'électricité qu'on leur vend à prix ridicule.

Entente Québec - Alcoa

Il y a de quoi pleurer à voir toute cette neige qui tombe depuis des mois. Mais ce qui est encore plus déprimant, c'est l'extraordinaire légèreté avec laquelle nos gouvernements, toutes couleurs confondues, cèdent les uns après les autres au chantage des multinationales de l'aluminium. Le Québec reste le plus grand porteur d'eau du continent!
L'entente intervenue cette semaine entre Québec et Alcoa est suffisamment généreuse pour que la compagnie s'engage à maintenir ouvertes ses trois usines de Baie-Comeau, Bécancour et Deschambault. Réjouissons-nous pour les travailleurs de ces alumineries, mais là s'arrête l'enthousiasme.
Au cours de la conférence de presse, hier, le premier ministre Charest et ses ministres ont beaucoup insisté sur le fait que pour la première fois, un tel contrat prévoyait un plancher de 3000 emplois et une pénalité de 100 000 $ si la compagnie faisait une mise à pied interdite. D'une part, remarquons que ce plancher est inférieur aux 3500 emplois actuels, malgré les milliards de fonds publics versés; d'autre part, précisons que l'entente n'oblige pas la compagnie à combler les départs volontaires d'ici 2040. C'est ce qui s'appelle un plancher virtuel qui, dans les faits, pourra varier au gré des besoins de la compagnie puisque tous les employés actuels prendront leur retraite un jour ou l'autre d'ici la fin du contrat...
Ce n'est pas un hasard si les alumineries, comme les papetières, font partie du paysage québécois depuis un siècle. C'est à cause de l'électricité qu'on leur vend à prix ridicule.
Hier, le maire de Baie-Comeau ne pouvait pas mieux dire: «Ça insuffle de l'adrénaline dans la région.» Il aurait dû ajouter que cette adrénaline, ce sont les Québécois eux-mêmes qui l'injectent en payant la facture d'Alcoa. Une sorte de gros «BS» corporatif et régional.
Même si le contrat a été gardé secret dans ses détails les plus croustillants, on en sait déjà assez pour se faire une idée. D'abord, Québec ajoutera 228 millions de dollars à sa propre dette à long terme et fera payer les intérêts par tous les Québécois pendant
30 ans. Si ces 228 millions étaient allés au Fonds des générations au lieu d'être prêtés à Alcoa, ils vaudraient 1,7 milliard dans 30 ans. Voilà donc un premier cadeau de 1,5 milliard.
Plus coûteux encore, il y a l'électricité. Alors que les centrales qui entreront en opération à partir de 2010 produiront de l'électricité à 0,10 $ le kWh, Québec s'engage à livrer cette même électricité à Alcoa à moins de 0,4 $ le kWh. Qui paiera la différence? Les Hydro-Québécois.
L'an dernier, deux économistes réputés de l'Université Laval, MM. Bélanger et Bernard, avaient évalué à quelque 336 000 $ par emploi, par année, pendant 30 ans, le coût de l'aide consentie à Alcan, au Saguenay. L'entente de cette semaine est de la même eau, et ne contient aucun engagement à transformer sur place les tonnes d'aluminium produites.
M. Charest, qui avait annulé l'entente tout aussi inacceptable signée par Bernard Landry en 2002, explique que la situation a changé depuis à cause des surplus dont dispose Hydro-Québec. C'est vrai cette année, mais ce ne le sera plus en 2015, et encore moins en 2030!
Non seulement les alumineries priveront-elles le Québec pendant 40 ans de quantités très importantes d'une hydroélectricité de plus en plus coûteuse à produire -- et qu'on aurait très bien pu vendre à l'Ontario --, mais on nous prévient qu'on est prêt à fournir 500 MW supplémentaires à Alcoa pour agrandir son usine de Deschambault, comme si c'était une bonne nouvelle.
La crise de l'industrie forestière a pesé lourd dans la décision d'un gouvernement susceptible de retourner en élections à tout moment. Malheureusement, et contrairement aux intentions maintes fois annoncées, tous nos partis politiques succombent un jour ou l'autre à la tentation d'acheter le vote des régions ressources, sans rien faire pour changer la structure mono-industrielle héritée du siècle passé.
j-rsansfacon@ledevoir.com


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