Dans une sortie qui tient plus d'une affabulation littéraire que de l'analyse politique, [Victor-Lévy Beaulieu annonce partout qu'il va voter pour l'ADQ de Mario Dumont->5176]. Au nom des régions. Personne, dit-il, n'a compris que le Québec ne se limite pas à Montréal. Ni les verts, ni Québec solidaire, ni le PQ. Personne. Reste Mario Dumont, à l'en croire, pour faire comprendre aux autres ce que ses nerfs semblent confondre avec une pensée.
En 1998, pourtant, le célèbre écrivain du Bas-du-Fleuve avait annoncé qu'il ferait la lutte à ce même Mario Dumont dans un nouveau parti de son cru, le Parti des régions. Cette année-là, pour le 1er avril, VLB avait ainsi laissé entendre qu'il se présentait dans Rivière-du-Loup pour donner un chien de sa chienne au chef de l'ADQ. VLB décrivait alors Dumont comme «le fils putatif de Preston Manning», un être, disait-il, à mille lieues des idées socialistes pour lesquelles il se bat depuis son adolescence. «Son inculture, ajoutait-il, lui permet de mettre Bouddha, Mahomet, Lucien Bouchard et Jean Charest dans le même sac. Il n'a aucun avenir politique, ce que les sondages confirment d'ailleurs.»
Même après avoir annoncé que cette candidature était une blague destinée à alerter l'opinion contre les dérives érigées en politiques par l'Action démocratique, VLB soulignait encore, très sérieusement cette fois, que le Mouvement pour une alternative politique, un des embryons desquels naîtra Québec solidaire, l'intéressait beaucoup. Ainsi, ajoutait-il, «c'est toujours possible que je sois candidat contre Mario Dumont»...
Il fallait donc, aux yeux de VLB, lutter contre Mario Dumont... Au nom de quoi? Des régions, bien sûr! Suivez-vous cet extraordinaire fil logique qui nous conduit d'hier à aujourd'hui? Personne n'est dépourvu de contradictions, mais tout de même! Poussées à ce point, les contradictions deviennent trop grosses pour qu'elles ne soient pas d'abord l'expression d'un simple calcul.
Un vieux chat aime que les souris dansent en le regardant tandis qu'on bat les cloches d'une campagne électorale de village... Et Victor-Lévy Beaulieu a sans conteste un don pour faire danser au corps à corps le comique et le tragique sur un fond de petite musique régionale. Il en module sans cesse le phrasé, au gré de ses fantaisies du moment. Dans cette joute électorale où toute référence à l'univers culturel est absente, la position apparente de VLB consiste à dire, en somme, qu'il faut secouer la torpeur politique québécoise en plongeant le pays tout entier dans ce que lui-même ne souhaite pourtant pas: un monde encore plus sombre. Son appui à l'ADQ s'apparente ainsi à une abracadabrante politique de secours populaire qui consisterait à mettre à la rue des gens déjà très éprouvés afin que de leur pauvreté soudain accentuée jaillisse la richesse... Autrement dit, pour chasser madame la Misère et déranger enfin l'Histoire, rien de tel que de se plonger davantage dans la merde tout en prétendant qu'il s'agit de la meilleure façon d'en sortir. Comme si, pour aider des gens à se relever, il fallait d'abord s'assurer de les mettre à terre!
Depuis plus de quinze ans, en accord avec une pensée socialiste qui a été la sienne toute sa vie, VLB n'a cessé de pester contre les soldeurs des chambres de commerce de village, genre Mario Dumont. L'écrivain l'a fait, toujours à sa façon, entre autres par l'entremise de plusieurs médias indépendants, dont L'Aut'Journal et Le Couac, répétant à qui voulait l'entendre que ce Dumont est une sorte d'expression malsaine d'un Québec réactionnaire qui ne l'a jamais intéressé autrement que dans le noir des cieux de certains de ses romans. Lors de la dernière course à la chefferie du PQ, VLB accueillait d'ailleurs chez lui, en toute logique, nul autre que le candidat Pierre Dubuc, le plus à gauche d'entre tous!
Voyant VLB se porter soudain à la défense de l'ADQ et ainsi d'idées bien à droite, beaucoup ont eu l'impression qu'il s'agissait là en fait d'une nouvelle facétie de cet écrivain qui aime tant faire parler de lui et dont l'extraordinaire talent rend bien sûr légitime qu'on le fasse. Le lisant, on pouvait en effet avoir l'impression de tomber sur une forme renouvelée de cette drôle de publicité publiée dans Le Devoir de 1971 où, dans un encart suspect, quelque cinquante écrivains sensibles aux idées progressistes, dont Victor-Lévy Beaulieu, annonçaient qu'ils retiraient soudain leur appui au Parti québécois pour le donner «sans réserve au Crédit social», un parti qui était au régionalisme populiste d'hier ce que l'Action démocratique est à celui d'aujourd'hui. Évidemment, cet encart était un canular, oeuvre de Jacques Ferron, le père spirituel de VLB.
Alors, est-ce donc une immense farce que cette lettre d'appui à l'ADQ dont s'est fendu cette semaine l'auteur de Monsieur Melville? On pourrait vraiment être tenté de le croire. Après tout, Victor-Lévy Beaulieu est depuis longtemps un vrai génie de l'utilisation amusante des médias à son profit. Encore l'an dernier, pour le 1er avril toujours, il avait annoncé à La Presse que sa brique, James Joyce, l'Irlande, le Québec, les mots, serait publiée simultanément à Trois-Pistoles, à Toronto, à Los Angeles, à Dublin, à Londres, à Paris et à Sydney, tout en ajoutant que le Mexique, l'Allemagne, l'Italie et le Japon devraient vite s'ajouter à la liste! Rien que ça! Et cette nouvelle, aussi extravagante fût-elle, avait été reprise, ici et là, tandis que l'homme riait dans sa barbe, voyant qu'on faisait son jeu...
Ratoureux comme pas un, VLB est depuis longtemps un habitué de ces farces du 1er avril qui servent son propre programme, qu'il soit littéraire ou politique. En cette année sans trop d'hiver, le printemps est-il arrivé plus tôt que d'ordinaire dans le Bas-du-Fleuve? Il est très probable, en tout cas, que cet appui inattendu à l'ADQ ne soit rien d'autre que le fruit d'un simple calcul politique provocateur où ce vieux singe trouve, encore une fois, à s'amuser aux dépens d'autrui. Quel calcul? Celui-ci: comme le Parti libéral risque de presque tout remporter depuis Québec jusqu'à Gaspé, le grand écrivain pense tout bonnement qu'en faisant la promotion de l'ADQ grâce à son nom, il offre ainsi des chances de diviser assez le vote pour que quelques candidats du PQ, voire de Québec solidaire, triomphent contre toute attente dans la lutte, se faufilant de justesse entre le PLQ et l'ADQ. Mais croire ainsi que, par la seule influence de son nom, on puisse faire triompher une stratégie pareille révélerait davantage l'ampleur d'une vanité littéraire qu'un bon jugement politique.
jfnadeau@ledevoir.com
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