Élections Canada : le dossier conservateur s’épaissit

L’organisme réclame sans succès la suspension de deux députés pour des rapports de dépenses incomplets

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Harper s'englue

Deux députés supplémentaires de Stephen Harper se retrouvent en litige avec Élections Canada. Le chien de garde des élections leur reproche de ne pas avoir fourni un rapport complet de leurs dépenses de scrutin de 2011 et demande donc leur suspension de la Chambre des communes d’ici à ce que la situation soit réglée. Pour l’instant, le président de la Chambre sursoit à cette demande le temps que les tribunaux tranchent.
James Bezan et Shelly Glover ont tous deux été élus sous la bannière conservatrice au Manitoba. Élections Canada estime que leur rapport, obligatoire, de dépenses électorales pour le scrutin de 2011 n’a pas été complété de manière appropriée. Après de nombreuses demandes auprès de leurs agents financiers respectifs et des réponses jugées insatisfaisantes, Élections Canada a donc invoqué un article de la Loi électorale rarement utilisé qui stipule qu’un candidat élu n’ayant pas rempli son rapport « ne peut continuer à siéger et à voter à titre de député à la Chambre des communes jusqu’à ce qu’il ait remédié à son omission ».
Les demandes de suspension logées les 23 et 24 mai derniers resteront en suspens, a tranché le président de la Chambre des communes, le conservateur Andrew Sheer. « Le président a consulté des fonctionnaires de la Chambre au sujet des faits et des dispositions entourant la Loi électorale du Canada et les demandes faites aux tribunaux par M. Bezan et Mme Glover. Le président attendra donc les décisions des tribunaux avant de prendre quelque mesure que ce soit », indique le bureau de M. Sheer.
Élections Canada s’est montré très peu loquace sur les reproches adressés aux deux députés. Tout indique que c’est le manque de détails dans les dépenses rapportées qui pose problème.
Un rapport de dépenses électorales d’un candidat s’étale généralement sur quelques pages, chaque dépense devant être ventilée avec le nom du fournisseur et le prix payé. Or, dans le cas de Mme Glover, ses dépenses de plus de 81 000 $ n’occupent que neuf lignes, dont deux pour ce qui semble être des frais bancaires de 3,60 $! La quasi-totalité de ses dépenses (77 457 $) est attribuée à l’association conservatrice de sa circonscription de Saint-Boniface. On ignore donc le fournisseur véritable des services obtenus.
De plus, une dépense non détaillée de 4317 $, encore une fois remboursée à l’association de circonscription, est déclarée comme n’étant pas une dépense électorale. La campagne de Mme Glover était à un cheveu - 660 $ - de dépasser la limite de dépenses permise. Si cette somme mystérieuse devait être comptabilisée, alors Mme Glover aurait défoncé le plafond et contrevenu à la Loi. Mme Glover, tout comme M. Bezan d’ailleurs, a remporté son siège avec une très confortable majorité.
« Élections Canada affirme que je réclame le remboursement de dépenses que ma campagne n’aurait pas engagées, ce qui serait contraire aux dispositions de la Loi. Nous contesterons l’interprétation faite par Élections Canada devant les tribunaux », a fait savoir Mme Glover par l’entremise d’une courte déclaration.
Pour ce qui est de M. Bezan, sa campagne était à 17 075 $ d’atteindre le plafond de dépenses permises, mais elle n’a pas comptabilisé plus de 28 000 $ de dépenses. En outre, de cette somme, 25 000 $ ont été versés à l’association conservatrice de la circonscription Selkirk-Interlake, encore là sans détails. M. Bezan contestera lui aussi devant les tribunaux cette situation. Qualifiant le litige de « dispute comptable », M. Bezan a écrit dans son communiqué de presse qu’Élections Canada avait approuvé ses rapports de campagne de 2006 et 2008, « mais a depuis changé son interprétation [de la Loi]. Élections Canada n’est pas juste ou raisonnable dans son application de la Loi. » Le bureau du député n’a pas voulu préciser à quel changement d’interprétation il faisait référence.
Des démêlés multiples
Le bureau du premier ministre a refusé de commenter la situation de ses deux députés, transmettant toutes les questions au Parti conservateur. Ce dernier n’a pas répondu aux questions du Devoir mardi.
Le Parti conservateur n’en est pas à ses premières prises de bec avec Élections Canada. En 2011, après cinq ans de contestation judiciaire, il s’est reconnu coupable d’avoir mis sur pied un stratagème dit de « in and out » par lequel il avait défoncé son plafond national de dépenses en faisant porter à 67 candidats locaux une partie de ses dépenses excédentaires. Il a payé une amende de 52 000 $.
Le ministre Peter Penashue, qui avait remporté son siège en 2011 avec une maigre avance de 79 voix, a démissionné pour avoir dépassé son plafond de dépenses et accepté 46 500 $ en dons corporatifs illégaux. Son chef Stephen Harper l’a endossé comme candidat à sa propre succession, mais il a perdu l’élection partielle le mois dernier. Son adversaire libérale, Yvonne Jones, a d’ailleurs fait son entrée officielle à la Chambre des communes mardi.
Le député Dean Del Mastro, pour sa part, fait l’objet d’une enquête pour potentiellement avoir excédé de 17 000 $ son plafond électoral de 2008. En outre, des témoins ont affirmé avoir servi de prête-noms pour permettre au cousin du député de financer plus que permis sa campagne.
Enfin, Élections Canada enquête toujours sur les appels frauduleux robotisés placés pendant la campagne de 2011. Un conservateur a jusqu’à présent été accusé. Dans un récent jugement qui portait sur six circonscriptions particulières, un juge de la Cour fédérale a tranché que les informations utilisées pour placer ces appels provenaient très probablement de la base de données du Parti conservateur et que ce dernier avait livré une « guerre de tranchées » pour que la cause ne puisse aller au fond des choses.
Cet historique fait dire au chef de l’opposition officielle, Thomas Mulcair, qu’il s’agit du modus operandi du Parti conservateur. « Les conservateurs font la même chose à chaque élection : ils trichent. Quand ils se font pogner, ils utilisent leurs ressources considérables pour aller se battre devant les tribunaux, rendant presque impossibles toutes sanctions avant la prochaine élection. C’est ça qu’on est en train de voir encore ici comme astuce. »


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