Scandale au Sénat

Dégoûté, Jacques Demers songe à partir

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Chute brutale de la légitimité du pouvoir fédéral : après la Cour suprême (pouvoir judiciaire), le cabinet du PM (pouvoir exécutif), et le Sénat (pouvoir législatif)

Ottawa — Le scandale qui engouffre le Sénat à Ottawa pourrait faire une victime inattendue : l’ex-entraîneur de hockey Jacques Demers. Le « coach » se dit tellement « affecté » par les révélations des derniers jours sur les allocations de dépenses de ses collègues et les manières utilisées pour les camoufler qu’il se dit en réflexion, prêt à quitter son siège s’il n’obtient pas les réponses qu’il recherche. Les explications sur ce qui s’est vraiment passé, quant à elles, n’ont pas été fournies par le premier ministre Stephen Harper.
« Je suis personnellement en période de réflexion. Je vais voir ce qui va se passer aujourd’hui [lundi] », a avoué mardi matin M. Demers. Cette réflexion, précise-t-il, « elle peut me mener à quitter le Sénat ». Il a toutefois répété qu’il faisait confiance à Stephen Harper. Il s’estime éclaboussé par le scandale, qu’il qualifie de « méchant coup de poing sur la gueule ».
« Si vraiment ces gens-là ont été fautifs, qu’on les mette dehors, qu’on ne les voie plus. Indépendants, quoi que ce soit, mettez-moi ça dehors ! » Le sénateur était furieux. Il a fait un lien avec le précédent scandale des somptueuses allocations de dépenses de l’ex-ministre Bev Oda, partie depuis. « Il y a tellement de menteries qui se disent que j’en ai marre. Qu’on dise la vérité, et si on a à perdre nos emplois, qu’on les perde, nos emplois. On ne peut pas tricher les Québécois, les gens qui chaque matin se lèvent et ne savent pas s’ils vont manger le soir. Des jus d’orange à 16 $, des affaires tout simplement incroyables… »
Signe que la soupe est chaude, le gouvernement a choisi de devancer d’une journée la réunion hebdomadaire de son caucus afin que le premier ministre, qui partait pour l’étranger, puisse y assister et livrer un message. Les journalistes ont même été invités à assister à ce début de rencontre. Il y a eu mise en garde, mais pas d’explications.
« De toute évidence, je veux vous parler des événements des derniers jours, a lancé M. Harper. Et je sais que personne ici ne sera surpris d’entendre que je ne suis pas content, que je suis très vexé par la conduite de certains parlementaires et de mon propre bureau. » Il a rappelé que son gouvernement avait été élu en 2006 dans la foulée du scandale des commandites pour faire le ménage, et que ménage il y a eu.
« Le Canada est maintenant l’un des meilleurs systèmes de gouvernance parmi les plus responsables et transparents dans le monde entier. […] Mais c’est quelque chose que nous ne devons jamais tenir pour acquis. » Il a lancé un avertissement : « Quiconque veut utiliser une charge publique pour ses propres bénéfices devrait changer de plans ou encore mieux, quitter cette salle », a-t-il dit en brandissant un doigt accusateur à ses troupes, levées pour l’applaudir et lancer des « bravos ». M. Harper a finalement parlé des événements du Sénat comme d’une « distraction » qui empêchait le gouvernement de gérer l’économie.
À la fin de son laïus de presque neuf minutes, les journalistes l’ont mitraillé de questions. Stoïque, il est resté debout sans répondre tandis que ses troupes scandaient « Harper, Harper » pour enterrer les questions malvenues. Les adjoints du premier ministre ont alors intimé aux médias de quitter la salle du caucus.
Rappelons qu’au cours du week-end, son chef de cabinet, Nigel Wright, a démissionné. Il avait signé un chèque personnel de plus de 90 000 $ au sénateur - alors conservateur - Mike Duffy pour que celui-ci puisse rembourser les dépenses de subsistance, pour sa résidence secondaire, encaissées à tort. En contrepartie, le rapport du Sénat sur son comportement a été adouci en comparaison de ceux des deux autres sénateurs visés par l’enquête, Mac Harb et Patrick Brazeau. Son rapport indique « qu’il n’existe pas de critère de détermination de la résidence principale », alors que ceux de MM. Harb et Brazeau disent que la règle est « amplement claire ». La commissaire à l’éthique, Mary Dawson, confirme avoir ouvert une enquête sur le chèque de 90 000 $.
CTV a rapporté que le conseiller spécial en politiques et affaires légales de M. Harper, Benjamin Perrin, était au courant de la transaction, ayant rédigé le contrat légal avec l’avocat de M. Duffy. M. Perrin, qui a quitté ses fonctions en avril, a démenti cette information. « Je n’ai pas été consulté, et je n’ai pas participé à la décision de Nigel Wright de faire un chèque personnel pour rembourser les dépenses du sénateur Duffy », a-t-il déclaré par écrit. À la Chambre des communes, le ministre des Affaires étrangères, John Baird, qui a répondu à toutes les questions sur le sujet, a soutenu qu’aucun document légal encadrant le versement des 90 000 $ n’existe. « Notre compréhension est qu’il n’y a pas de document », a-t-il dit. M. Baird a répété à chaque réponse que le premier ministre n’a été mis au courant de ce paiement que lorsque le réseau CTV en a parlé la semaine dernière.

Des questions laissées sans réponses
M. Harper n’a pas fourni à ses troupes des explications supplémentaires à propos de cette transaction : qui savait ? Qui l’a décidée ? Qui a contacté le Bureau de régie interne du Sénat pour que le rapport sur M. Duffy soit édulcoré ? Ces explications, a reconnu le sénateur conservateur Jean-Guy Dagenais, n’ont pas été fournies lors du caucus. « Non, on n’en a pas eu, et moi, personnellement, je ne tiens pas à en avoir. » Le ministre du Patrimoine, James Moore, confirme. « On a entendu le même discours du premier ministre [que les journalistes] », discours dont étaient absents ces détails.
La défense officielle consiste à dire que Nigel Wright a utilisé son argent personnel pour rembourser les contribuables. Il était donc mû par une bonne intention. Pas question d’exiger que M. Duffy rembourse M. Wright, ces deux personnes, indique-t-on au bureau de M. Harper, ayant agi « à titre individuel ».
Pour le NPD, toutefois, ce paiement pose problème, car il contrevient probablement à la Loi sur le Parlement du Canada, qui stipule qu’il est « interdit à tout sénateur de recevoir […] une rémunération pour services rendus […] relativement à quelque […] affaire devant le Sénat ». Cette infraction est punissable par une amende de 1000 à 4000 $, tandis que celui qui donne la rémunération est sujet à une peine d’un an de prison et à une amende de 500 à 2000 $. « Est-ce que le ministre de la Justice croit que l’ancien chef de cabinet du premier ministre a commis ce crime lorsqu’il a donné au sénateur Duffy 90 000 $ dans le cadre de cette entente de camouflage ? », a demandé le député néodémocrate Craig Scott. Il n’a pas obtenu de réponse.
Pour le chef libéral Justin Trudeau, il est clair que « le gouvernement conservateur, sous le leadership du premier ministre, a perdu son compas moral ». Les libéraux réclament la tenue d’une enquête au comité de l’éthique devant lequel devraient comparaître MM. Wright, Perrin, Harper et son nouveau chef de cabinet, Ray Novak. Au Sénat, les libéraux demandent au président de déterminer s’il y a eu bris de privilège. Dans l’affirmative, l’affaire serait confiée à un comité parlementaire où ces mêmes témoins seraient assurément appelés à comparaître.
Mike Duffy a finalement quitté le caucus conservateur, tout comme la sénatrice Pamela Wallin. Les deux siègent au Sénat comme indépendants. Mac Harb et Patrick Brazeau ont déjà fait de même. Mme Wallin fait l’objet d’une enquête à cause de ses notes de frais de déplacement élevées. Le rapport final sur sa situation n’a pas encore été rendu public, mais certains médias rapportent que c’est parce que les résultats préliminaires sont accablants qu’elle a été invitée à quitter le caucus préventivement.


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