Congé parental: rien ne va plus

Patrons et employés refusent de contribuer davantage

2005

vendredi 14 janvier 2005
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Québec - La mise en place des congés parentaux rencontre un obstacle de taille, même si Ottawa et Québec sont tout près d'une entente finale dans ce dossier. Le gouvernement Charest, les entreprises, les salariés et les travailleurs autonomes ne s'entendent pas entre eux sur qui devra financer les 200 millions de dollars supplémentaires que coûtera le futur régime québécois d'assurance parentale comparativement au programme fédéral actuel.
Alors que Québec n'écarte pas une hausse plus importante des cotisations à la Régie des rentes du Québec pour combler ce manque à gagner, les entreprises et les salariés refusent de contribuer davantage.
«Si le gouvernement a décidé de mettre en place un régime plus généreux, c'est à lui de gratter ses fonds de tiroirs et de revoir ses dépenses pour financer ce programme. Les entreprises ont déjà un fardeau pas mal lourd en matière de charges fiscales et sociales. Alors, on dit: n'en jetez plus, la cour est pleine», a affirmé au Devoir le président du Conseil du patronat du Québec, Gilles Taillon.
Les travailleurs salariés ne veulent pas non plus subir une hausse de leurs cotisations. D'après Johanne Vaillancourt, vice-présidente de la FTQ, l'instauration des congés parentaux représente un «choix de société», et l'État devrait donc fournir ces 200 millions de dollars à même ses budgets actuels. Les travailleurs cotisent déjà suffisamment à ses yeux. «À un moment donné, il faut que ça finisse par finir. Quand les femmes prennent ce congé, elles s'appauvrissent. Alors, est-ce qu'on va commencer à les appauvrir directement avant même qu'arrive ce congé parental? On va donner d'une main et reprendre de l'autre? Est-ce que c'est ça qu'on veut? Je ne pense pas», a lancé Mme Vaillancourt lors d'un entretien téléphonique.
L'entente finale Ottawa-Québec sur les congés parentaux, qui devrait être conclue d'ici le 1er février, prévoira que la contribution du gouvernement fédéral, provenant de l'assurance emploi, atteindra environ 800 millions de dollars. En réalité, Ottawa diminuera les cotisations à la caisse d'assurance emploi pour les employés et les employeurs alors que Québec rehaussera les cotisations exigées par la Régie des rentes. Le gouvernement créera un nouveau type de cotisations, baptisé assurance parentale.
Le futur régime québécois sera certes plus généreux que le programme fédéral actuel, mais il coûtera aussi jusqu'à 200 millions de dollars de plus, c'est-à-dire un milliard au total. Pour couvrir cette différence, le ministre de l'Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille, Claude Béchard, dit ne pas écarter une hausse plus importante des cotisations des employeurs et des employés à la Régie des rentes. Ceux-ci verseraient donc à la Régie des sommes supérieures à celles qu'ils versent actuellement à l'assurance emploi fédérale pour les congés de maternité et de paternité. M. Béchard estime cependant que le gouvernement québécois pourrait «en partie» financer le manque à gagner, qui pourrait à ses yeux être moins élevé, notamment selon la capitalisation du régime. «Il n'y a rien d'exclu», a-t-il dit au Devoir.
Avant de prendre une décision, le ministre Béchard attend les recommandations du Conseil de gestion de l'assurance parentale, dont il a annoncé la création en début de semaine. Ce conseil, qui regroupe des représentants patronaux, syndicaux et gouvernementaux, doit voir au financement du régime.
Les discussions au Conseil de gestion de l'assurance parentale risquent d'être particulièrement animées tant les positions sont opposées et tranchées en ce qui concerne le financement du manque à gagner. «Notre représentant va avoir un mandat très clair: s'assurer que le gouvernement assume ses responsabilités. Une hausse des cotisations est une avenue inacceptable», a expliqué Gilles Taillon.
Le président du Conseil de gestion de l'assurance parentale, Denis Latulippe, jusqu'à tout récemment actuaire en chef et directeur de l'évaluation et de la révision à la Régie des rentes, estime qu'il est «trop tôt» pour discuter de la question puisque les membres du conseil ne se sont toujours pas réunis. «Quelle sera la répartition de ces 200 millions? Il faut en discuter», a-t-il noté.
Tous s'entendent cependant pour dire que les travailleurs autonomes, qui pourront bénéficier de l'assurance parentale alors qu'ils sont actuellement exclus du programme fédéral, devront contribuer au nouveau régime. Or, à l'heure actuelle, ceux-ci ne cotisent pas du tout à l'assurance emploi du gouvernement fédéral. Ces travailleurs auraient donc à verser une toute nouvelle cotisation. Le représentant des travailleurs autonomes au Conseil de gestion, Michael Douglas Kelley, notaire associé chez Dionne Kelley Paquin, croit qu'ils ne devraient débourser que l'équivalent de la cotisation des employés salariés. Ces travailleurs n'auraient pas à assumer en plus la part des employeurs, selon ce scénario. Mais un problème subsiste: qui paiera cette part essentielle à la viabilité du régime d'assurance parentale?
«Est-ce qu'on va venir punir les travailleurs autonomes en leur imposant 100 % du coût du programme? Est-ce que c'est juste?», se demande M. Kelley. Il existe pourtant un précédent en la matière. Les travailleurs autonomes doivent verser des primes deux fois plus élevées au régime des rentes que celles des travailleurs salariés. Ils versent en effet une double cotisation car ils doivent acquitter eux-mêmes la part assumée normalement par l'employeur.
Contrairement aux représentants des employeurs et des salariés, M. Kelley ne croit pas que le manque à gagner de 200 millions devrait être financé en totalité par le gouvernement. Sans en faire une recommandation formelle, M. Kelley suggère que les travailleurs plus âgés devraient contribuer davantage à la future assurance parentale puisqu'ils profitent d'un «avantage» important dans le cadre du régime des rentes actuel. Un travailleur âgé de 55 ou 60 ans qui prendra sa retraite dans quelques années aura payé des cotisations six à huit fois moindres qu'un travailleur aujourd'hui âgé de 30 ans ne le fera au cours de sa vie, fait-il valoir. «Il y a des choix de société qui sont pris par un gouvernement qui viennent léser certaines générations au profit d'autres. Au même titre, à l'assurance parentale, il devrait peut-être y avoir des mesures qui vont venir favoriser d'autres générations au détriment d'autres», a-t-il dit.
Le nouveau régime d'assurance parentale, qui devrait entrer en vigueur le 1er janvier 2006, permettra à tous les travailleurs de bénéficier d'un congé de 40 semaines avec 75 % du salaire ou d'un congé de 50 semaines avec 70 % du salaire pour les 25 premières semaines et 55 % du salaire pour les 25 semaines suivantes. Les pères disposeront d'un congé parental non transférable de trois semaines à 75 % du salaire ou de cinq semaines à 70 %.
À l'heure actuelle, Ottawa accorde un congé de 50 semaines à 55 % du revenu sur un salaire maximal de 39 400 $. Le plafond salarial admissible du régime québécois s'élèvera à 53 500 $. Le revenu minimum assurable passera quant à lui de 4380 $ à 2000 $. Contrairement au régime fédéral, le programme québécois n'aura pas de délai de carence de deux semaines avant que les parents ne puissent toucher leurs prestations. Ces dispositions correspondent au contenu de la loi 140 sur les congés parentaux, adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale en mai 2001.


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