"Ne laissons pas les vents du sud nous faire perdre le nord"

Le Mouvement pour les arts et les lettres demande au Bloc québécois d'imposer «une hausse substantielle du budget du CAC»

2005

Par Vivian Labrie
mercredi 12 janvier 2005
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Point de vue - Le 13 décembre 2002, l'Assemblée nationale adoptait unanimement et avec fierté la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale. Cette loi, unique au monde, impose d'agir pour "tendre vers un Québec sans pauvreté" et rejoindre en 10 ans les rangs des nations industrialisées où il y a le moins de personnes pauvres, soit un niveau comparable aux pays scandinaves.
Deux ans plus tard, son application est menacée par une infection aiguë aux préjugés. L'année 2003 a été perdue en raison des élections. En 2004, le gouvernement Charest a annoncé un plan d'action qui aura certains résultats pour les familles... et qui rendra les plus pauvres encore plus pauvres, soit les personnes à l'aide sociale.
On parle ici d'environ 390 000 adultes comme vous et moi, qui, pour toutes sortes de raisons - emploi précaire et faiblement rémunéré, perte d'un emploi, fermeture d'usine, région en panne de développement, problème de santé, faible scolarité, situation familiale ou personnelle difficile - , se retrouvent en même temps, pour un court ou long moment, le cul par terre et le compte bancaire à zéro au grand jeu de chaise musicale auquel joue la société.
Un régime d'aide sociale à améliorer...
Il était incontournable que la loi sur la pauvreté impose des changements à ce régime humiliant, aux règles inextricables, qui classe les personnes en fonction d'un jugement administratif médicalisé sur leur aptitude présumée au travail.
En 2004, des contraintes sévères à l'emploi vous allouaient 781 $ par mois, des contraintes temporaires, 646 $. Sans contraintes à l'emploi reconnues, c'était 533 $. Le tout sujet à des réductions et à une limite de 100 $ à 200 $ de gains de travail permis.
Sauf en cas de contraintes sévères à l'emploi, vous deviez assumer une franchise mensuelle de 16,67 $ pour vos médicaments sous prescription alors que votre prestation ne vous permettait pas de vous loger, de vous nourrir et de vous vêtir.
La mesure du panier de consommation de Statistique Canada établit ce que le sens commun indique : sans même sortir de la pauvreté, il fallait en 2003 à une personne au moins 935 $ par mois au Québec pour couvrir minimalement ses besoins de base, médicaments et soins de santé exclus. C'est ce que permet grosso modo le supplément de revenu garanti pour les personnes âgées. L'aide sociale programme plutôt un déficit humain chronique.
... et qui empire en 2005
Le ministre responsable a choisi d'alourdir ce déficit, c'est ici que le préjugé entre en scène, pour les deux tiers des prestataires jugés sans contraintes sévères à l'emploi.
Si c'est votre situation, voici ce qui vous attend en 2005 pour vous "inciter à l'emploi". Au 1er janvier, votre prestation n'a été qu'à demi indexée au coût de la vie : vous vous appauvrirez en perdant du pouvoir d'achat. Des modifications réglementaires viennent de rétablir, peu importe votre âge et malgré la loi sur la pauvreté, une coupure de 100 $ pour partage de logement avec un parent non à l'aide sociale, de compliquer votre inscription à l'aide, d'abolir votre accès à l'allocation logement jusqu'au 1er octobre suivant cette inscription, de couper un 25 $ par mois pour frais d'emploi.
Un bon point : les pénalités pour refus de mesure et d'emploi devraient disparaître au 1er avril. Par contre, malgré l'engagement de Jean Charest de vous redonner la gratuité des médicaments, le ministre de la Santé a annoncé le 16 décembre dernier qu'il rétablira ce droit. Bravo pour les personnes âgées qui ont le supplément de revenu garanti, mais pas pour vous, dont le revenu est deux fois moindre.
Vous ne savez pas ce qui arrivera avec le projet de loi 57 déposé par le ministre de la Solidarité sociale pour remplacer la loi actuelle sur l'aide sociale. Il a heureusement échappé à l'adoption sous bâillon en décembre, mais l'affaire est loin d'être réglée. Ce projet de loi très critiqué ouvrirait la porte à des régimes particuliers à droits variables, comme avant la première loi sur l'aide sociale en 1969. Le ministre pourrait moduler l'aide en privilégiant des cibles... qui ne seront certainement pas vous.
Les préjugés à l'oeuvre
Faire pire au lieu de faire mieux est un effet classique de l'action déboussolante de la "préjugite" : en jetant une responsabilité accusatrice sur ceux et celles qui tombent en bas de leur chaise, on transfère un problème structurel à une catégorie de personnes qu'on "déclasse" d'emblée, au mépris de leur dignité... et de la raison. Les préjugés sont bien utiles, tant qu'on n'en est pas soi-même la cible, pour distraire du fait que si une société joue à la chaise musicale et concentre la compétition sur un nombre toujours plus petit de fauteuils, il est inévitable que du monde se retrouve le cul par terre.
La nouvelle philosophie d'incitation à l'emploi est un leurre : les budgets d'aide à l'emploi et à la formation, qui diminuent à chaque année, ne suffisent pas à répondre à la demande et 30 % des prestataires jugés aptes déclarent déjà des revenus d'emplois tout simplement insuffisants. Nous sommes devant un problème de concentration de la richesse.
La prescription
La solution est connue : fonder le système d'aide sociale sur des droits, les mêmes pour tous et toutes, sans égard à l'aptitude au travail, dont celui de voir ses besoins essentiels couverts en cas de manque de revenu ; adopter des normes minimales du travail qui permettent de sortir de la pauvreté ; repenser nos modes de vie ainsi que notre rapport à la richesse, à sa production et à sa redistribution en reconnaissant l'interdépendance de notre prétention à liberté et à l'égalité en dignité et en droits.
L'obstacle à cette solution est moins connu : l'incitation à l'emploi utilisée comme vecteur des préjugés cache l'incitation à l'emploi mal payé. Au Canada, un emploi sur quatre est mal payé, i.e. sous les deux tiers du salaire moyen. C'est le taux le plus élevé dans le monde industrialisé après les États-Unis. Tant qu'on le tolérera, le système exigera des moins que rien de travailler pour rien.
Les mesures erratiques du ministre de la Solidarité sociale et du ministre de la Santé auront eu le mérite de démontrer la sévérité de l'infection. Elle est devenue en quelques mois un des plus graves problèmes de santé publique au Québec, empêchant une lutte sensée contre la pauvreté pour la transformer en acharnement contre les pauvres.
Il n'y a pas de limites aux détériorations des protections collectives causées par les préjugés. Pour les avoir laissé proliférer, le gouvernement québécois ne reconnaît plus le droit à la couverture des besoins qu'il reconnaissait en 1969. Il a laissé se dévaluer de 30 %, par défaut d'indexation, les prestations qu'il payait en 1985 et de 25 % le salaire minimum qu'il imposait alors.
Saurons-nous nous ressaisir et imposer une application correcte de la loi sur la pauvreté de 2002? Ne laissons pas les vents du sud nous faire perdre le nord. Le Québec sans pauvreté entrevu dans cette loi ne sera le nôtre que si nous en prenons le cap. Il sera forcément plus riche de tout son monde.
Vivian Labrie
_ Collectif pour un Québec sans pauvreté


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