Les multiples vies du carré rouge

Le symbole de la lutte pour un Québec sans pauvreté et riche de tout son monde

Université - démocratisation, gouvernance et financement

Vivian Labrie, Collectif pour un Québec sans pauvreté
_ Le Devoir jeudi 7 avril 2005
Le symbole de la lutte pour un Québec sans pauvreté et riche de tout son monde
L'origine de cette idée «forte et efficace» du carré rouge qu'on a vu partout dans le mouvement étudiant ces dernières semaines n'est pas du tout «obscure», comme l'affirmait [Stéphane Baillargeon dans son article sur «l'esthétisme de la contestation» dans Le Devoir du samedi 2 avril 2005->36615]. Tout ça a commencé d'une façon tout ce qu'il y a de plus publique. Les membres de l'Assemblée nationale, en particulier Claude Béchard, ancien ministre de l'Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille, savent très bien d'où il vient.
Le carré rouge a été arboré pour la première fois le 5 octobre 2004 dernier, lors de la présentation du Collectif pour un Québec sans pauvreté sur l'inacceptable projet de loi 57 sur l'aide sociale à la Commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale.
La délégation du collectif en a expliqué le sens au ministre dans ces termes, qu'on retrouve dans la Gazette officielle du Québec du 5 octobre : «[...] Nous nous sommes demandé comment on doit agir pour cesser de tourner en rond dans l'histoire. Aujourd'hui, nous dénonçons, nous démontrons, nous proposons. Tout à l'heure aussi, nous serons dans la rue. [...] Nous vous demandons de refuser que les institutions politiques continuent de concevoir pour les citoyens les plus pauvres des escaliers roulants qui descendent au lieu de monter et qui mettent à chaque fois un peu plus dans le rouge. Nous allumons une très, très grosse lumière rouge [...], comme ça, ce sera encore plus visible.»
Les membres de la délégation ont alors arboré devant le ministre un carré en duct tape rouge, invitant les gens «qui sont intéressés à allumer la lumière rouge» à le faire en même temps qu'eux.
Par la suite, tout au long de l'automne, la consigne du carré rouge s'est multipliée dans les rangs du collectif en même temps qu'une déclaration citoyenne signée par plus de 4000 personnes de toutes les occupations et plus de 500 organisations pour réclamer le retrait du projet de loi 57 et la réparation des reculs en cours à l'aide sociale (voir sur le site Internet du collectif au [www.pauvrete.qc.ca->www.pauvrete.qc.ca]; il est encore possible et utile de la télécharger pour la signer).
La consigne s'est ensuite répandue lors du Forum alternatif qui s'est déroulé les 6 et 7 octobre par le Réseau de vigilance en marge du Forum des générations prévu la semaine suivante à Saint-Augustin, près de Québec, ainsi que dans les manifestations subséquentes. Le 20 novembre, à l'invitation du même réseau, plus de 10 000 personnes sont allées à Montréal manifester à l'extérieur du congrès du Parti libéral du Québec leur objection aux reculs, à l'aide sociale et ailleurs, qui plongent des personnes dans d'énormes difficultés financières. La consigne était de porter du rouge.
Le 13 décembre, deux ans jour pour jour après l'adoption de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale, à l'initiative du Collectif pour un Québec sans pauvreté, une cinquantaine de personnes portant carré rouge et vêtements rouges ont occupé «en rouge» la cafétéria de l'Assemblée nationale pendant cinq heures pour réclamer notamment le retrait du projet de loi 57 sur l'aide sociale et l'abandon des mesures de recul.
En janvier 2005, les associations étudiantes ont pris le relais du carré rouge, ce qui est très bien, pour lui donner la visibilité qu'on a vue et avec la créativité que l'on sait dans le cadre de l'extraordinaire mobilisation qui s'est ensuite développée contre la compression de 103 millions de dollars aux prêts et bourses.
Une idée de fou !
Quant à l'idée lancée en octobre, elle provenait du travail d'un atelier, qui aura à l'évidence atteint son but, sur «des idées de fou pour du matériel militant qui suscite l'attention et l'adhésion», tenu lors d'une session extraordinaire du Parlement de la rue convoquée par le collectif à Québec le 24 janvier 2004.
Les participants étaient sortis de l'atelier marqués de rouge à partir de l'idée et du matériel apportés par la personne-ressource de cet atelier, une artiste de Montréal, Johanne Chagnon, en signe de protestation devant des politiques appauvrissantes. Notons également une série de productions «rouges» de cette artiste, faites à la fin de l'automne 2004 en collaboration avec le collectif. On peut les voir sur le site Internet du collectif.
Voilà l'histoire de l'origine du carré rouge. Il n'appartient à personne. Il est associé à une mobilisation d'objection à des politiques qui appauvrissent. Il pourrait continuer à faire du chemin dans ce sens.
La facette de l'aide sociale
Par ailleurs, il devient important, à la veille d'un budget dont la date recule sans cesse, de rappeler fermement la facette de l'aide sociale de cette lutte du carré rouge. En même temps que le gouvernement a retiré de façon tout à fait inacceptable 103 millions dans le régime des bourses lors du dernier budget, il a aussi procédé à de graves compressions à l'aide sociale en janvier 2005 malgré les protestations de l'automne. Il est allé chercher 14 millions en n'indexant qu'à moitié les deux tiers des prestations d'aide sociale, donc en retirant du pouvoir d'achat à des personnes qui n'avaient que 533 $ par mois pour vivre. Une honte !
Il est allé chercher 44 autres millions de dollars en modifiant le règlement de l'aide sociale pour réintroduire une compression pour partage de logement familial, pour éliminer des aides au logement, à l'emploi, pour enlever le droit à l'aide sociale aux personnes immigrantes pendant leurs trois premiers mois au Québec, pour resserrer les règles d'admissibilité à l'aide sociale. Toutes ces coupes sont odieuses. Elles doivent toutes êtres réparées sans compromis parce qu'elles n'auraient jamais dû être faites.
Au cours des derniers mois, le gouvernement du Québec s'est mis en totale infraction avec la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale, qui impose depuis son entrée en vigueur, en mars 2003, d'améliorer les conditions de vie de l'ensemble des personnes en situation de pauvreté. Si la lutte du carré rouge a plusieurs facettes, elle n'a qu'un seul horizon : celui d'un Québec sans pauvreté... et riche de tout son monde.
La société québécoise doit à ses membres qui sont en situation de pauvreté le respect en toute égalité de leur dignité et de leurs droits. Cela suppose entre autres une couverture décente des besoins dans les régimes de protection sociale. Aucun recul n'est acceptable là-dessus, alors qu'en fait, il faudrait faire mieux. Toutes les personnes qui sont d'accord devraient marquer leur objection et exiger les décisions politiques nécessaires. Y compris dans le budget du Québec 2005-06. Le carré rouge est là pour ça.


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