Comme si de rien n'était

Ottawa — tendance fascisante



Au moment où la Belgique s'enfonce dans une nouvelle crise politique, le Canada semble baigner dans un calme olympien. Ces deux pays où cohabitent des nations aux intérêts souvent opposés ont connu depuis quelques années des destins divergents. D'un côté, le Canada n'a pas vécu de véritable crise politique depuis le référendum québécois de 1995, qui a failli faire éclater le pays. De l'autre, la Belgique va de crise en crise. Après les élections de 2007, il avait fallu des mois au premier ministre pour former un gouvernement. Depuis quelques jours, le pays semble sur le point de replonger dans la même incertitude.
Un observateur mal renseigné pourrait en conclure que le Canada a trouvé la clef de l'harmonie entre les nations qui la composent alors que la Belgique cultive l'affrontement. Ce serait une lecture pour le moins superficielle de la réalité comme l'illustrent les débats qui se déroulent ces jours-ci à Ottawa et à Bruxelles.
Depuis quelques semaines, les analyses savantes se multiplient pour tenter de justifier l'augmentation du nombre de députés de l'Alberta, de la Colombie-Britannique et de l'Ontario au Parlement fédéral. Une réforme qui réduira d'autant la représentation du Québec. Toutes invoquent la sacro-sainte représentation proportionnelle. Sauf que rien dans la tradition politique canadienne ne permet d'ériger la représentation proportionnelle en règle absolue. Il n'y a pas plus de proportionnalité dans la représentation des habitants du Nunavut que dans celle des habitants du centre-ville de Toronto. Dans un pays multinational, comme certains osent parfois dépeindre le Canada, la représentation ne saurait d'ailleurs obéir à la seule loi de la proportionnalité. C'est pourquoi l'accord mort-né de Charlottetown avait judicieusement proposé de geler celle du Québec à 25 %.
Mais ces rêves se sont depuis longtemps évanouis. En attendant leur retour improbable, on ne voit pas ce qui pourrait stopper le lent effacement politique du Québec dans les institutions fédérales. Sa disparition semble pratiquement inscrite dans l'ADN canadien comme le sont certaines maladies dégénératives dans les cellules de certains organismes vivants. Ce n'est qu'une question de temps avant que la représentation québécoise ne passe sous la barre des 20 %, puis des 15 %. Le Québec aura alors le poids politique d'une grosse Acadie.
Un observateur belge de passage à Ottawa serait certainement étonné d'apprendre que le projet de loi C-56 n'a pas provoqué de crise politique majeure dans un pays par ailleurs toujours prêt à s'exciter dès qu'il est question d'interdire le moindre niqab. On peut ne pas admirer en tous points la Belgique, mais admettons au moins que jamais un tel scandale ne pourrait s'y produire.
Car la Belgique ne fait pas semblant d'être un pays multinational. Les députés du Parlement fédéral de Bruxelles nous en ont récemment offert la preuve. Voilà plus de vingt ans que le sort de l'arrondissement judiciaire et électoral de Bruxelles-Hal-Vilvoorde doit être tranché. Il est le dernier à être soumis à deux juridictions. Même s'il est situé en Flandre, les 150 000 francophones qui y habitent peuvent toujours voter à Bruxelles et donc jouir de certains services bilingues. La logique de la Constitution belge (fruit d'une négociation entre deux nations contrairement à celle du Canada) voudrait qu'il soit scindé et que les communes qui sont en Flandre soient gouvernées selon les lois flamandes, quitte à offrir certains compromis aux francophones.
Contrairement au Canada, la Belgique accorde aux nations qui la composent un droit de veto sur les questions qui touchent leurs intérêts vitaux. C'est pourquoi la scission votée en commission à l'unanimité des députés flamands en 2007 avait été suspendue par les francophones, qui avaient alors tiré la «sonnette d'alarme». Cette procédure garantie par l'article 54 de la Constitution belge permet de renvoyer au Conseil des ministres toute question qui met en jeu les intérêts fondamentaux d'une des deux nations.
Un médiateur avait alors été nommé par le roi. Sa mission a finalement échoué la semaine dernière. Le Parlement étant sur le point de voter la scission définitive, les francophones ont à nouveau actionné la sonnette d'alarme. D'ailleurs, en Belgique, les gouvernements ne peuvent pas survivre s'ils n'ont pas la confiance d'une majorité de députés flamands et de députés francophones. On dira que le débat sur l'arrondissement Bruxelles-Hal-Vilvorde traîne depuis les années 1970 et que ce fonctionnement complique terriblement la vie politique. Mais, au moins, personne ne peut prétendre que la majorité a bafoué les intérêts de la minorité.
Quand le Parlement canadien votera la réduction du poids politique du Québec, les députés québécois n'auront ni droit de veto, ni sonnette d'alarme pour empêcher la nation majoritaire de disposer du sort de la minorité. Pour éviter de contempler le vide sous leurs pieds, ils feront comme si de rien n'était. Au moins la Belgique a-t-elle le courage de regarder la réalité en face.
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crioux@ledevoir.com


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