Cinq mensonges et cinq vérités

Chronique de José Fontaine

Ce journaliste de la RTBF il y a quelques années, parlant de la volonté d'indépendance du Québec, s'entendit rétorquer par son rédacteur en chef : «Oui, mais tous les Québécois ne veulent pas l'indépendance!» Voilà bien l'idéologie dominante et ses mensonges. Quand on entend dire - ce qui est constant -, «toute la Belgique est concernée par ceci ou cela», aucune nuance ne sera faite. Telle est bien l'idéologie dominante qui acquiesce systématiquement aux situations justement (ingénieuse langue française!), acquises! Je remercie infiniment ici les Québécois qui me lisent et leur demande de bien comprendre que mon pays, ce n'est pas la Belgique, première vérité à rétablir.
Le gâteau à partager ne se réduit pas
Il est difficile de lutter contre l'idéologie dominante, notamment celle du gâteau. Ainsi je lis dans La Libre Belgique du 20 mars, l'éditorial d'une revue de réflexion pourtant de bon niveau où l'on peut lire que l'Etat social tel qu'organisé «ne semble plus adapté à une situation où le gâteau à partager se réduit», alors que le principe même de l'économie capitaliste est la croissance à l'infini et que l'on estime que la richesse globale de nos sociétés double tous les 40 ans dans les pays développés. On a pu montrer, dès la fin du siècle passé que ce n'est pas le gâteau qui diminue, mais la part des moins riches dans celui-ci. Les chiffres ont été étonnants dès le départ des années 1980, et comme on le voit ils se confirment ensuite. Je cite ces chiffres parce que, à la revue TOUDI, nous avons toujours pu faire appel à des économistes indépendants qui n'étaient pas payés pour enseigner dans les universités pour convertir leurs étudiants à la religion dominante en économie. En outre, tout le monde devrait savoir - mais on fait semblant de croire le contraire - que la plupart des Etats ont vu leurs dettes augmenter alors que leurs dépenses restent stables en proportion de leur PNB. Nous l'avions dit dans la revue depuis longtemps. Mais c'est ce que je veux expliquer ici : l'environnement idéologique est si défavorable à une vision critique des mensonges, que même ceux qui les savent (et sans doute aussi ceux qui les disent!), finissent pas être pareillement dupes.

L'Europe ne s'unit pas, elle se soumet à l'Allemagne
Je me souviendrai toujours aussi de la rue Réaumur à Paris le 21 juillet 1992. Nous y avions rencontré Jean-Marc Ferry, philosophe politique, qui nous brossa un large tableau des raisons pour lesquelles il était réticent à l'égard de l'adoption du traité de Maastricht par la France, entre autres parce que la Banque centrale européenne que créait ce traité serait indépendante du pouvoir politique. Le philosophe français de la réconciliation entre peuples européens n'était pas opposé à l'Europe, mais trouvait étrange que, après s'être avancé si loin dans le domaine de la coopération économique, certains pouvaient dire qu'il fallait que l'Europe devienne démocratique comme si à ce stade du développement de la construction européenne, il fallait soudain en appeler à cette démocratie en espérant qu'elle surgisse de la mer comme la déesse de l'amour. La même année, le journal République, que j'avais lancé parallèlement à la revue TOUDI qui était annuelle publiait l'analyse d'un politologue danois, Ulf Hedetoft, montrant que c'était l'Allemagne qui avait le plus avantage à la construction européenne. Il y donnait ceci comme conclusion (le texte date de 1990, un exposé fait à l'UCL) : «Le discours suprational et l'idéalisme supranational est le plus prononcé dans le pays (l'Allemagne) qui a le plus profité de l'Europe, comme Etat-Nation; et vice versa. Ce que ceci manifeste, c'est que le supranationalisme et le couple intérêt national/nationalisme sont liés l'un à l'autre non pas comme des éléments opposés mais complémentaires, que le supranationalisme est pièce et partie d'un même discours, national quoique non nationaliste. Ou, pour le dire autrement, un intérêt national donné peut se renforcer par le biais d'une rhétorique qui évite le nationalisme

L'unification de l'Europe ne la construit pas, mais la détruit
Parmi toutes les idéologies qui sont en train de détruire l'Europe et même le monde, l'européisme est la plus dangereuse de toutes. Dans le pays où j'habite mais aussi dans les rangs socialistes et démocrates-chrétiens en France (en Allemagne aussi, en Hollande, en Belgique), il y eut un long combat (qui a pu parfois être subsidié par les USA, comme on peut le voir à l'article Paul-Henri Spaak sur Wikipédia, qui source bien cette accusation), contre la politique d'indépendance de la France du général de Gaulle. Et pour l'entrée de l"Angleterre dans le Marché commun, pays pourtant aussi peu européiste que possible. En Belgique, à la suite de Paul-Henri Spaak et de ses successeurs, on ne jurait que par l'Angleterre, notamment en raison de la tradition antifrançaise de la Flandre voire de Bruxelles par opposition à la Wallonie francophile. Je me demande dans quelle mesure on ne peut pas lire cela comme la prolongation de la politique de neutralité impulsée par le même Spaak en 1936, politique combattue par des intellectuels et politiques wallons (Truffaut, Dehousse), éclairés notamment à travers la revue L'Action wallonne. En 1936-1940, cette politique de Spaak affaiblit l'alliance entre les démocraties contre l'Allemagne. De sorte que l'armée belge lors de l'invasion de mai 1940 n'avait pas le moral pour combattre l'armée allemande, sauf dans les rangs wallons, et notamment ceux des deux puissantes divisions de Chasseurs ardennais. [Une seule compagnie de cette division - 60 hommes - réussit à arrêter pendant un jour dans le petit village wallon de Bodange, l'ensemble des blindés qui allaient régler son compte à [l'armée française. ]]

Spaak choisit la neutralité contre la France en 1936, il s'ensuit la victoire allemande. Dans les années 60, il choisit à nouveau contre la France de torpiller les projets gaullistes d'une confédération européenne limitée aux six pays du Marché Commun (France, Italie, Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg). L'anglais supplante maintenant le français dans la zone euro (le noyau dur européen), dont ne fait même pas partie l'Angleterre et c'est l'Allemagne qui domine économiquement et politiquement l'Europe monétaire. Il y a pire encore. Toutes ces politiques depuis 1960 se sont faites au nom de l'idée qu'au XXe siècle, il ne pouvait plus y avoir d'avenir que pour les grands ensembles et qu'il fallait, à tout prix, pour que les pays d'Europe retrouvent une marge de manoeuvre, qu'ils la construisent en commun. Mais en suivant cette politique, les Etats européens, certes affaiblis par les deux guerres mondiales mais toujours vigoureux (la politique française d'indépendance le montrait et les succès aujourd'hui de l'Allemagne le prouvent), en transférant leurs compétences à des institutions européennnes peuplées de non élus (et en tout cas pas d'élus directs), n'auront mis en commun que l'impuissance qu'ils ont voulue pour eux-mêmes, l'Allemagne tirant parti de cela (c'est bien expliqué dans le lien mis vers Hedetoft), pour faire, au fond, une Europe allemande qui parlera l'anglais. C'est dur et nationaliste (?) de parler ainsi? Oui, j'ai hésité à le faire. Mais comment doit-on s'exprimer? C'est bien de cela qu'il s'agit et vers cela que nous allons.
La Belgique n'est pas un petit pays, la Wallonie doit s'en séparer
Le dernier mensonge contre lequel il faut lutter c'est l'idée que l'on nous assénait depuis l'école primaire à savoir que la Belgique, «petit pays», ne pouvait en aucun cas se désunir n'étant déjà qu'un mouchoir de poche exposé aux malveillances de ses grands voisins. L'unité de l'Europe allait enfin nous débarrasser de ce danger. On ajoutait toujours : «ce n'est pas au moment où la grande Europe s'unit que la petite Belgique doit se désunir». La Wallonie [Avec la Communauté française, autre entité fédérée mais appelée à se résorber dans la Wallonie selon toute probabilité...]], disposera de 60 à 70 % des compétences étatiques ex-belges, après la sixième réforme de l'Etat en cours qui sera votée avant les élections fédérales de 2014. Pourtant, la force de l'idéologie petite-Belgique est aujourd'hui encore telle que, malgré les énormes transferts de compétences de l'Etat fédéral aux entités fédérées, les médias donnent complaisamment accès à leurs antennes et à leurs colonnes à des représentations mensongères de cette évolution, travaillent au fond à rendre ces institutions (déjà bloquées dans leur fonctionnement interne par la particratie), illégitimes. Le formidable journal du JT1 de la RTBF du [31 octobre 2011, qui a été d'ailleurs transcrite, en est un exemple saisissant. [On va m'en vouloir de le citer sans cesse mais outre que ce JT est une erreur historique, il stigmatise en outre son propre public accusant la Wallonie d'avoir voulu son autonomie par pur rejet d'un bilinguisme qu'aurait accepté généreusement la Flandre! Alors que la Flandre n'a jamais rien proposé de tel.]] Mais il ne faut pas s'y limiter. C'est tout un état d'esprit qui se révèle à travers cela. Le système particratique belge - du côté francophone - est tel qu'il désigne tant les parlementaires que les membres du gouvernement. Système bien résumé ici et [brièvement et clairement. Les membres du gouvernement wallon sont certes compétents et s'ils sont des «désignés», ils agissent de manière autonome dans la gestion de la Wallonie, jetant parfois d'ailleurs les bases d'un Région plus forte et plus prospère. Et les parlementaires wallons les contrôlent effectivement. Mais!
Mais - autre aspect d'une grande idéologie contemporaine à côté de l'ultralibéralisme, l'ultrapragmatisme -, ce qui se passe au Parlement wallon ne concerne jamais que la gestion interne de la Wallonie. Si le Parlement flamand a pu réclamer dès 1999 une série d'avancées dans la réforme de l'Etat (qui se sont concrétisées), le Parlement wallon n'a rien dit du tout. Non parce qu'il aurait pu être en désaccord ou en accord, mais parce que le Parlement wallon est prié de se taire sur le plan proprement politique. Il existe par exemple un débat dans l'opinion et les médias sur l'opportunité de donner les actuelles compétences à transférer soit à la Communauté, soit à la Wallonie. On admet de plus en plus que cela doit être à la Wallonie. Le Soir vient de publier en effet un sondage montrant (c'est la xième fois ces dernières années), que les Bruxellois ne veulent pas former une entité politique commune avec la Wallonie si la Belgique disparaissait. Ce qui est une condamnation implicite de la Communauté française. Les régionalistes wallons qui s'exprimaient autrefois au Parlement dans le même sens ont été éiminés progressivement ou bien on les a fait taire. Tout indique d'ailleurs qu'on ira dans le sens qu'ils préconisaient.

Mais ce sont les présidents de partis qui en décideront entre eux, sans consulter d'autres personnes que des techniciens. Et le Parlement wallon ratifiera la chose, comme il ratifiera d'ailleurs aussi le traité européen d'austérité qui va le priver de sa principale prérogative, à savoir le contrôle du budget. Mais là, il rejoindra les autres parlements nationaux en Europe. Somme toute, comme il en a la compétence, il se prononcera sur une grande question internationale. mais s'il sortira ainsi de l'ombre et du silence où il se complaît, ce sera en fait pour ratifier son insignifiance à l'image de celle de l'Europe toute entière [[De la zone euro, celle qui devient l'Europe allemande.]]
Vous êtes négatif, me dira-t-on. Non, je suis un simple conducteur d'auto qui tente désespérément que l'idéologie dominante ne l'endorme pas à son volant, qui sait que l'Europe va se suicider collectivement comme la Wallonie et qui, notamment avec les syndicats wallons, refuse que meurent son peuple et les autres peuples européens. Que puis-je faire d'autre. Applaudir à la démission généralisée?

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    25 mars 2013

    En parlant de l'Allemagne, lors de ma lecture récente d'une biographie (excellente) de Goering (Auteur: F. Kersaudy), j'ai constaté que la programmation de la politique d'expansion de l'Europe vers l'Est correspond en réalité à la programmation de la satellisation des mêmes territoires par l'Allemagne du Troisième Reich. L'éclatement de la Yougoslavie afin d'en extraire la Slovénie en est un exemple parfait. Par hasard, la Tchéquie avait déjà réalisé le travail antérieurement mais question: "l'Allemagne se cachait-elle en coulisse?" Le cas de l'Ukraine semble encore plus flagrant sans parler de la Pologne qui loucherait, paraît-il, vers les pays baltes. Bref, cela ressemble à la Guerre de Quarante revisitée pour les intérêts de l'OTAN, de la Grande Bretagne et de l'Allemagne ( ce fidèle allié du congrès américains).