Chantage économique sur la liberté

Chronique de José Fontaine

Dans les années 60 et 70, mes souvenirs m'enseignent que ce chantage était exercé également sur le Québec. Ce qui est sans doute moins le cas aujourd'hui vu le développement prodigieux de ce pays et ses performances exemplaires dans ce domaine comme d'une manière générale dans la chose publique.
La Wallonie incapable de vivre seule
Pour la Wallonie les choses se compliquent du fait que c'est à la suite de la prise de conscience du déclin de ses industries principales (le charbon et l'acier), que les Wallons ont forgé - ou plus exactement achevé de forger - leur volonté d'autonomie. L'un des moteurs de l'affirmation wallonne a été, dès avant 1914, la volonté d'échapper à la position minoritaire. L'un des moments forts fut en 1912, la lettre du député Jules Destrée au roi des Belges lui signalant qu'il n'y avait pas de Belges, mais deux peuples distincts. Ce texte est lu aussi en Flandre. L'année suivante les Wallons créait une assemblée parlementaire officieuse, fixait la date d'une fête nationale, adoptait un drapeau, des initiatives qui n'ont rien d'innocent. Ensuite les conflits persistent. Une frontière linguistique est fixée dès 1932. En mai 1940, une partie des troupes flamandes ne combat pas l'envahisseur nazi à la bataille de la Lys. C'est l'une des raisons qui, semble-t-il, amène les Allemands à relâcher les prisonniers de guerre flamands après quelques semaines, tandis qu'ils imposent aux Wallons de demeurer en Allemagne durant toute la guerre. Léopold III s'accommode de la présence allemande, déclare qu'il est un prisonnier de guerre dans son palais de Bruxelles, s'y remarie pourtant ce qui correspond mal avec l'expérience concrète de l'état de prisonnier vécu en Allemagne. Au-delà de sa personne, Flamands et Wallons ne vivent pas la guerre de la même façon et se divisent gravement sur la personne du roi en 1950, les Wallons le rejetant, les Flamands l'approuvant. Seule la détermination des grévistes wallons en juillet 1950 permet que le roi ne récupère pas son trône, le résultat des urnes ayant donné (vu le poids flamand), une majorité au roi. Dix ans plus tard, au cours d'une nouvelle grève générale qui voit se concentrer tous les griefs wallons, il y a la pris de conscience par les Wallons de la nécessité de l'autonomie pour redresser la Wallonie. Mais à cette époque (début des années 60), la Wallonie a encore un PIB/habitant supérieur à celui de la Flandre. En 1966, les deux chiffres s'équivalent à peu près. Début des années 70, on connaît ces chiffres.
Naissance de la théorie des transferts
En 1970, la Belgique cesse d'être un Etat unitaire, mais le fédéralisme se met en place très lentement. Ce n'est qu'à la fin de cette décennie que les Wallons obtiennent la mise en place d'Etats fédérés dotés de compétences économiques, en août 1980. C'est-à-dire vingt ans après la revendication de la grève générale de 1960-1961. La situation a changé. La Wallonie a connu une récession dans la deuxième moitié des années 70. Elle accède à l'autonomie, en somme, dans de mauvaises conditions. Dès 1979, le journal De Standaard lance en Flandre l'idée que la contribution de la Flandre aux services fédéraux communs et à la Sécurité sociale (nationale comme c'est le cas dans un Etat qui est encore fort unitaire: de ce point de vue l'histoire du Québec est vraiment toute autre), est telle qu'on peut estimer que, non pas pas délibérément, mais en fonction de lois de toutes sortes de lois qui existent depuis longtemps, les Flamands contribuent pour un pourcentage donné (indirectement donc), à payer (de fait), une partie des allocations sociales wallonnes (via les cotisations sociales), et à entretenir les services fédéraux pour un pourcentage donné en faveur de la Wallonie. Cette théorie des transferts, pourtant contestable, a été martelée par la Flandre depuis trente ans.
La théorie se formule comme suit (FEB, association belge du patronat):
Les habitants d'une région, d'une province ou d'un arrondissement paient un certain montant d'impôts ou d'autres cotisations à une autorité nationale centrale. En contrepartie, cette autorité remplit un certain nombre de missions publiques générales (défense, justice etc.), et paie des allocations sociales (pensions, prépensions etc.) (..) Ainsi, certains contribuent plus au budget des autorités fédérales qu'ils n'en retirent (par exemple les travailleurs en bonne santé), alors que c'est le contraire pour d'autres(par exemple les malades ou les chômeurs), il y a donc un transfert interpersonnel d'une personne à une autre. Considérée au niveau de la région, de la province ou de la commune, la somme de tous les transferts interpersonnels débouche sur le transfert financier entre régions, provinces et communes...
Si au départ, mettons durant les années 80 et jusqu'à la démission de Guy Spitaels en 1994, cette théorie n'a pas empêché la Wallonie de continuer à revendiquer des compétences de plus en plus étendues (en 1980, c'était autour de 10% des compétences étatiques, aujourd'hui, c'est 50% de celles-ci), il est possible qu'elle ait eu un double effet.
Les effets de cette théorie
En Flandre, elle dope une revendication autonomiste du riche : si nous ne devons plus payer les Wallons, nous pourrons utiliser cet argent pour devenir encore plus riches. En Wallonie, elle épuise la volonté de la liberté : si nous ne pouvons plus compter sur la Flandre nous allons perdre - ce sont des chiffres assez souvent avancés - jusqu'à 20% de notre standing de vie.
Ses répercussions sont sensibles dans la suite des événements. Il est plus que probable que, appréhendant la revendication de nouvelles compétences par la Flandre, les dirigeants wallons n'aient pas osé réclamer un refinancement par l'Etat belge de l'enseignement en Wallonie et à Bruxelles. Quand ils l'obtinrent (après 99) les Flamands obtinrent également une augmentation proportionnée de ces subsides, mais alors qu'ils étaient dans une position avantageuse, les Wallons étant dans la situation inverse. Pendant des mois et des mois en 1996, les enseignants wallons revendiquèrent ce refinancement sans l'obtenir. La situation est telle aujourd'hui qu'un professeur en Wallonie gagne entre 15 et 20% de moins qu'en Flandre. Les performances de l'enseignement wallon sont jugées bien moins performantes qu'en Flandre et la profession est dévalorisée. Les spécialistes et conseillers du gouvernement wallon, le patronat en tête, estime que sans une amélioration de l'enseignement en Wallonie, la région qui tend (selon les grandes forces sociales organisées s'exprimant pas plus tard qu'hier), à rattraper ses retards, ne pourra aller jusqu'au bout. Mais l'instrument "enseignement" a été cassé au milieu des années 90 et les experts - du moins ceux que l'on écoute - estiment que les enseignants n'ont pas à être revalorisés et doivent faire avec les budgets actuels. Aujourd'hui, les politiques flamands usent bien moins de la théorie des transferts comme moyen de chantage sur les Wallons. Une étude du gouvernement flamand vient de les évaluer (Le Soir du 2 avril), à 4,2 milliards d'€ (le PNB belge est de 350 milliards d'€). Côté wallon, des experts ont même mis en cause l'idée qu'il y aurait des transferts. On évoque aussi la possibilité que ces transferts s'effectuent dans le sens inverse, vu le vieillissement accéléré de la population flamande. L'émission-canulard de la RTBF le 13 décembre 2006, Bye-Bye Belgium où l'on annonçait que la Flandre prenait son indépendance (un peu selon la logique des transferts), révèle bien ce que sont les peurs des Wallons face à un accroissement de leurs responsabilités en conséquence de la crise belge. Nombre de citoyens appartenant à la classe moyenne, nourrissent leur volonté de rester belge du pire des poujadismes: ils jugent leurs dirigeants incapables de diriger la Wallonie. Je suis amené à vivre quotidiennement avec des personnes qui sont profondément convaincues que nous-mêmes et nos dirigeants ne sont nullement au niveau des Flamands ni à celui d'autres peuples indépendants d'Europe occidentale. Cet extraordinaire complexe d'infériorité, ce racisme tournée contre soi-même a quelque chose d'effrayant. Il explique - bien plus que l'attachement irrationnel d'un certain nombre de Wallons à l'Etat belge - leur timidité maladive face à la liberté. Pour gagner les élections les dirigeants wallons suivent souvent leur peuple dans cette position un peu abjecte.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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5 commentaires

  • José Fontaine Répondre

    7 avril 2009

    Le chômage wallon est supérieur au chômage en Flandre et inférieur à celui que l'on constate à Bruxelles. Mais les grandes villes wallonnes ont un chômage élevé. Il est présentement difficile de s'y retrouver dans les statistiques du chômage puisque le pourcentage en ce qui concerne la Wallonie varie de 17% à 10%. Les chiffres cités dans mon article sont ceux du gouvernement flamand qui vient de procéder à une étude sur les transferts. Même dans une publication militante, il faut recouper sans cesse son information, accepter les critiques, réviser son jugement s'il y a lieu. Mon ami Herman n'est pas latinophobe. Et je crois même devoir dire qu'il aime la Wallonie (et contredire ses amis).
    Voici les sources les plus sûres pour ce qui est du chômage en Wallonie (qui n'est pas la région misérable que l'on se plaît parfois à décrire, loin de là même...).
    IWEPS(statistiques officielles)
    Remarques du Ministre wallon Marcourt
    BIT

  • Michel Guay Répondre

    6 avril 2009

    Les Allemand ont toujours eu un mépris profond pour les papistes latins et leur phisolophie catholique . Il s'agit de lire Libres propos d'Adolf Hitler (Flammarion 1952) propos retraçable par Google .
    Les Anglos et les Saxons sont impégnés de ces propos anti -slaves et anti -catholiques
    Les Flamands seront toujours pro Allemands et pro Luthériens c'est dans leur culture globale
    Les Wallons seront toujours pro-francophonie et pro catholiques
    Hitler et ses héritiers philosophiques conscients ou inconscients ont horreur du bolchéviste, et du judéo catholicisme mais ont toujours été très tolérants envers les sectaires protestants de tous les pays nordiques incluant la Belgique .

  • Archives de Vigile Répondre

    5 avril 2009

    Je m'aperçois surtout que vous traitez systématiquement de menteur tout qui ose écrire un avis différent du vôtre et que par votre parole d'évangileque vous vous prenez visiblement pour "Dieu" puisque même face à une réalité wallonne déplorable que chacun peut aisément vérifier dans eurostat ou autre site donnant des chiffres sur l'économie des différentes régions d'Europe !
    Par votre obstination Vous me faites immanquablement penser au commandant du Titanic :(
    PS: J'avais omis de m'identifier pour mon premier commentaire, je rectifie donc
    Bonne soirée,
    Herman

  • Archives de Vigile Répondre

    4 avril 2009

    Il y a des Wallons plutôt attachés à la Belgique, d'autres qui le sont moins. Mais ni les uns ni les autres - au moins de cela je suis sûr - ne doivent apprécier qu'une certaine Flandre leur dise qu'ils vivent sur le compte d'autrui. A supposer même que ce soit vrai (ce ne l'est pas ou de manière si relative, si contestable!), ce ne le serait qu'en raison de difficultés assez extraordinaires que la Wallonie a vécues, liées à une transformation radicale de l'économie à laquelle elle n'était pas préparée (elle n'était pas une entité autonome), et devant laquelle l'Etat belge est resté si placide que c'est à ce moment que l'on a demandé le fédéralisme et l'autonomie (1961) en ne les obtenant que bien plus tard quand tout le mal avait déjà été fait (trente ans après).
    Les chiffres donnés sur le chômage wallon ou sur le fait que les Wallons auraient un emploi public énorme sont contestables. Quand on calcule le nombre d'emplois publics par rapport à la population globale c'est en Flandre qu'ils représentent la plus grande proportion. La proportion de chômeurs wallons indiquée est inexacte.
    Certains médias francophones et wallons disent pis que pendre des Flamands. Les lecteurs de VIGILE savent que je n'aime pas jouer dans ce jeu-là. La Wallonie m'est trop chère pour que je nourrisse l'amour que j'ai pour elle de sentiments de mépris qui le détruiraient. Ceci dit, qu'on la respecte! Et que l'on ne raconte pas n'importe quoi à son propos svp!

  • Archives de Vigile Répondre

    4 avril 2009

    Les Wallons ne cessent de se plaindre d'une main mise flamande depuis toujours sur l'état belge ... devenu fédéral belge !
    Les Wallons n'ont de cesse de contester les transferts ou le fait qu'avec 20 à 25% de chômage malgré leurs 40% de fonction publique ... ils soient dépendants de la Belgique ... via l'argent flamand.
    Soit mais alors qu'attendent-ils donc pour se déclarer indépendants ?
    Sans argent on ne reste pas associé avec un peuple qui en plus vous méprise cher M Fontaine ... ou alors y aurait-il une raison que j'ignore !
    Bien à vous et bon W E