DISCOURS DE VICTOIRE DE JACQUES PARIZEAU

Ce 1er janvier, j’ai pleuré

J’en veux à tous ceux qui n’ont pas eu confiance en nous il y a 20 ans

Quel texte magistral !

Je ne pense pas être le seul à pouvoir dire qu’en ce matin du 1er janvier 2016, le visionnement d’un extrait du discours de Jacques Parizeau en cas de victoire du Oui en 1995 m’a fait vivre beaucoup de choses. J’ai braillé. Ça m’arrive rarement, mais clairement, ce discours inédit venait toucher une corde sensible chez moi. La dernière fois que ça m’était arrivé, c’était lorsque j’avais pleuré de fierté collective en visionnant « Un grand tonnerre », une vidéo revenant sur les événements du Printemps érable qu’on peut trouver sur YouTube.

Mais cette fois-ci, le sentiment qui m’habite est différent. J’ai passé la journée à essayer de trouver un mot pour le décrire. N’en déplaise à Nietzsche, lui qui semble toujours là pour me juger sévèrement, le seul mot que j’ai trouvé est « ressentiment ». Oui, j’en veux à certaines personnes. Ce sentiment est loin d’être noble, mais c’est celui qui se présente à moi spontanément.

J’en veux à tous ceux qui n’ont pas eu confiance en nous. J’en veux à tous ceux qui ont été assez naïfs pour croire aux promesses de réformes, à tous ceux qui ont cédé à la peur ou au mépris. J’en veux à tous ceux qui ont magouillé, à ceux qui ont profité de ce moment pour démontrer leur haine ou leur dédain de la démocratie. J’en veux à ceux qui nous ont fait manquer le bateau. J’en veux à ceux dont le vote a condamné toute une génération à recommencer — encore ! — la longue et difficile tâche de convaincre un peuple colonisé de se libérer de ses chaînes et de sa dépendance.

Plus égoïstement encore, j’en veux à ceux dont l’inaction m’a condamné, moi, à lutter contre la fatigue culturelle qui nous habite, contre ce carcan de la torpeur et de l’hébétude qui nous enferme dans le statu quo depuis 20 ans. J’en veux à ceux qui m’obligent aujourd’hui à avoir encore l’air d’un extrémiste lorsque je parle de liberté en citant Falardeau ou même René Lévesque ; ceux qui m’obligent à supporter encore aujourd’hui les regards d’exaspération ou de mépris lorsqu’on ose rappeler la réalité de notre condition dans le Canada ; ceux qui m’obligent à être persona non grata dans de plus en plus d’institutions qui considèrent que parler d’indépendance est un crime passible d’exclusion et de marginalisation.

J’en veux à ceux dont le vote a fait en sorte que je doive aujourd’hui me demander si la simple publication de ce texte suffira à me faire évincer d’organisations jeunesse non partisanes auxquelles je tiens particulièrement ; qu’eussé-je l’ambition de m’inscrire au Barreau ou de briguer un poste dans la fonction publique, la simple publication de ce texte ne serait alors rien de moins qu’un hara-kiri en bonne et due forme. Quel pays normalement constitué oserait faire de son indépendance un tabou aussi insurmontable ?

J’en veux à ceux qui me condamnent à écouter Stéphane Dion répéter inlassablement que le Québec n’aurait pas le droit d’être indépendant ; qui me condamnent à entendre tous ces arguments de droit constitutionnel sur le consentement tacite — arguments que l’on n’accepterait jamais s’il s’agissait du viol d’une personne et de son droit au consentement, mais qu’on semble accepter lorsqu’il s’agit de celui d’une nation.

J’en veux à tous ceux qui me forcent à entendre que nous sommes tellement chanceux d’avoir un nouveau gouvernement prêt à nous enligner sur des « voies ensoleillées », alors qu’il faudrait plutôt se demander quelles sont les raisons qui nous poussent à accepter que ce soit d’autres qui décident de nous imposer 10 ans de grande noirceur.

Certes, les récentes années ont démontré que le Québec n’a pas besoin des autres pour se trouver des tyrans prêts à cogner sur des étudiants pour gagner des votes. Un coup de matraque fait aussi mal, qu’il soit commandité par Sa Majesté ou par un roi-élu made in QC. Mais j’en veux quand même à ceux qui ont fait en sorte que de tels arguments puissent être utilisés pour s’empêcher encore d’avoir confiance en nous-mêmes, ce que personne n’aurait pensé faire si ce choix avait été tranché définitivement 20 ans plus tôt. La vraie solution pour empêcher les abus de pouvoir, ce n’est pas de le diluer dans une grande mare d’intérêts souvent contraires ; c’est de profiter de la construction d’un nouveau régime pour se prévoir des mécanismes de contrepoids qui nous appartiennent et qui nous ressemblent.

J’en veux à ceux qui me poussent à avoir encore l’entièreté du fardeau de la preuve, alors qu’on ne se demande jamais ce que nous avons encore à gagner à rester dans le régime canadien. Posons-la, cette question, à Justin Trudeau, et voyons s’il aura contrairement à l’habitude autre chose à dire que quelques mots balbutiés autour du concept de péréquation. Enfin, j’en veux à tous ceux qui ont fait en sorte que j’ai dû subir de voir la cause de ce pays qui aurait dû naître travestie par de nombreuses tentatives malheureuses de détournement qui resteront dans les annales pour tout ce qu’elles ont provoqué de honte ou de dégoût chez la jeune génération.

J’ai bien conscience de tourner ainsi le couteau dans une plaie encore vive pour plusieurs. De rejeter en quelque sorte la faute sur mes aïeuls pour ce que je me sens impuissant à faire encore aujourd’hui. Mais on dit souvent que le problème avec les « générations futures », c’est qu’elles ne sont jamais là pour être consultées lorsqu’un choix présent les affecte. Eh bien, 20 ans plus tard, une génération est là pour dire ce qu’elle pense du choix malheureux qui a été fait.

Bref, en ce 1er janvier au matin, j’ai pleuré de rage et de colère. J’aurais préféré pleurer de fierté collective… Mais la fierté, ça se mérite. Et on a encore du travail à faire pour mériter d’être fiers.


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