C'est la faute à Bernard

La nation québécoise vue du Québec


Vendredi matin 27 octobre, le ministre-sénateur Michael Fortier n'avait même pas fini son café en lisant La Presse que, déjà, il était au téléphone avec son bureau pour organiser une réaction publique à une [lettre de Bernard Landry invitant Stephen Harper->2569] à reconnaître la nation québécoise.
" La nation québécoise possède et contrôle déjà un puissant État-nation (...), écrivait M. Landry. Notre État-nation même sans la souveraineté complète est même plus puissant à certains égards que bien des États-nations formellement souverains ne le sont en réalité. Notre État dispose déjà d'importants moyens juridiques et financiers qui supportent des actions cruciales pour notre société dans les domaines de la culture, de l'éducation, de la solidarité sociale, de l'économie, de l'environnement, de la justice, du rayonnement international et nombre d'autres. "
Bernard Landry cherchait probablement à embêter Stephen Harper, à lui mettre le nez dans son refus de prononcer les mots nation québécoise. Mais, en fait, il venait d'allumer la mèche d'un pétard qui allait exploser dans les mains des souverainistes.
Comme bien des fédéralistes québécois, Michael Fortier a sursauté en lisant, sous la plume d'un poids lourd souverainiste, que l'" État-nation (du Québec) même sans la souveraineté complète est même plus puissant à certains égards que bien des États-nations formellement souverains ne le sont en réalité ".
À Québec, ce matin-là, [Jean Charest et son ministre Benoît Pelletier->2630] ont eu la même réaction. Ce que dit M. Landry, ont-ils conclu, c'est que le Québec est une nation qui peut très bien se développer et évoluer au sein du Canada.
Le seul problème pour Michael Fortier, ce matin-là, était que son patron, Stephen Harper, ne reconnaissait pas la nation québécoise. Difficile alors d'aller donner raison à Bernard Landry. Mais ce petit détail, apparemment, pouvait se régler sans trop de mal, d'où la résolution surprise du gouvernement Harper, mercredi dernier.
Les souverainistes, comme c'est presque toujours le cas dans leurs demandes à Ottawa, avaient prévu se faire dire non. La surprise, dans ces circonstances, a donc été aussi forte que dévastatrice pour Gilles Duceppe. Le Bloc pensait bien gagner haut la main cette nouvelle partie de poker parlementaire en déposant le premier une résolution sur la nation québécoise.
Gilles Duceppe a déposé la première carte, mais il a perdu la partie devant la main surprise de M. Harper. Il a sagement reconnu sa défaite hier, ordonnant une retraite qui promettait d'être encore plus humiliante la semaine prochaine. " On l'a perdue, celle-là, on le reconnaît, mais à partir du moment où tout le monde au Québec considère que c'est une avancée, c'est difficile de voter contre ", résumait-on hier dans l'entourage de M. Duceppe.
C'est Gilles Duceppe qui a eu l'air fou cette semaine parce que c'est lui qui s'est retrouvé avec le pétard allumé dans les mains. Mais c'est Bernard Landry qui a fourni l'allumette à Stephen Harper en lui disant : " T'es pas game! " Les leaders souverainistes, visiblement, jouent encore comme s'ils avaient Jean Chrétien de l'autre côté de la table. Ils vont devoir revoir leur stratégie.
Parlant de game, plusieurs lecteurs ont déploré ces trois derniers jours dans leurs courriels l'aspect très partisan, dans le sens de petite joute partisane, de game, de la manoeuvre. Ils n'ont pas tort.
Depuis trois jours, tous les échanges avec les conservateurs, dont les courriels de l'hyperactif attaché de presse de M. Harper, Dimitri Soudas, ne disent qu'une chose : on a planté Duceppe.
Il y a d'ailleurs quelque chose de contradictoire dans le soudain revirement des conservateurs. Ceux-ci répétaient depuis des semaines que les Québécois ne sont pas intéressés par ces débats sur la nation et ils disent maintenant qu'ils gagneront des points au Québec grâce à leur résolution. Faudrait savoir. Une journée, les députés conservateurs disent que les Québécois ne s'intéressent pas à ce débat, le lendemain, leur chef affirme que les Québécois veulent une reconnaissance de leur nation.
Soit, Harper a planté Duceppe. Bravo pour la stratégie, 1 à 0 pour Harper. Et maintenant, on fait quoi? Cette victoire n'est-elle que le résultat d'une stratégie parlementaire ou débouchera-t-elle sur autre chose? M. Harper se servira-t-il de cette résolution sur la nation pour dire, comme Jean Chrétien le faisait avec celle sur la société distincte, que le problème est réglé?
Au plan de la joute parlementaire, en effet, c'est un coup brillant. Comme il était brillant politiquement de promettre à Québec le 19 décembre, en pleine campagne électorale, de régler le déséquilibre fiscal et d'écrire une charte du fédéralisme. Le règlement du déséquilibre fiscal se fait attendre et on n'a pas encore vu le premier mot de la première phrase de la charte du fédéralisme.
En journalisme, on dit que l'on ne vaut que ce que vaut notre prochaine histoire. C'est vrai aussi en politique : on ne vaut que ce que vaut notre prochain coup.
Comme nous sommes encore visiblement bien loin d'une nouvelle ronde constitutionnelle, la suite des choses pour Stephen Harper pourrait se trouver dans le déséquilibre fiscal, certes, mais aussi dans une entente avec les provinces sur le pouvoir de dépenser d'Ottawa. Contrairement à la résolution sur la nation, des ententes dans ces deux domaines auraient l'avantage d'être plus que symboliques.
En attendant du concret, les plus enthousiastes continueront de qualifier la résolution de M. Harper d'avancée historique.
Parlant d'histoire, juste pour réflexion, voici ce qu'écrivait le jeune John A. Macdonald en parlant des francophones du Bas-Canada dans une lettre à un journaliste du quotidien The Gazette : " Il faut respecter leur nationalité. Si on les traite comme une nation, ils se comporteront tout comme font les gens libres généralement, soit généreusement. Traitez-les comme un faction, et ils deviendront factieux. "
C'était en 1856, il y a 150 ans...
Pour joindre notre chroniqueur :vincent.marissal@lapresse.ca


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