Les bonnes intentions

La nation québécoise vue du Canada


On dit que c'est l'intention qui compte, mais même avec beaucoup de candeur, il est difficile de croire en la bonne foi de Stephen Harper.
Voici un homme qui a refusé de reconnaître l'existence de la nation québécoise, le 23 juin dernier à Québec, qui disait ne pas savoir ce que cela signifie au plan légal, et qui propose maintenant, contre toute attente, de le faire officiellement aux Communes.
Ce même homme a refusé le 28 octobre de prendre position parce "que c'est un débat sur des mots". "Moi, avait-il ajouté, je reconnais que l'Assemblée nationale a adopté une telle position. C'est sa compétence. [...] Je préfère que le fédéral (ne définisse pas) le Québec, mais je peux considérer n'importe quelle suggestion."
Méchant virage. Se pourrait-il que la résolution du Bloc sur la nation québécoise, qui doit être déposée aujourd'hui aux Communes, que le débat sur la question qui fait rage au sein du Parti libéral du Canada et que la dégringolade des conservateurs au Québec y soient pour quelque chose? Poser la question, c'est y répondre.
M. Harper se jette dans le débat à ce moment-ci par pure manoeuvre politique. Pour embêter libéraux et bloquistes. Mais il n'est pas certain, toutefois, que Stephen Harper ait imaginé là son meilleur coup sur le grand échiquier canadien, parce que sa résolution arrive bien tard et ne va pas assez loin pour le Québec alors qu'elle va beaucoup trop loin pour le reste du pays.
Il se fait beaucoup de politique sur le dos du Québec ces temps-ci à Ottawa. On n'avance pas beaucoup sur le fond, c'est-à-dire sur une reconnaissance effective du Québec dans la Constitution, mais lentement, très lentement, le concept de nation québécoise fait son petit bonhomme de chemin dans la capitale fédérale. C'est déjà ça de pris, même si cette nouvelle manoeuvre sent l'opportunisme à plein nez.
Ce n'est pas la première fois, d'ailleurs, que les Communes s'agitent sur la question du Québec. Et elles le font toujours sur fond de crise ou de panique. Comme quand le gouvernement Chrétien avait déposé, un mois après le référendum de 1995, une résolution reconnaissant que le Québec est une société distincte. Cette résolution a été adoptée, mais comme elle n'a pas eu de suite constitutionnelle, elle est restée ce qu'elle était au départ: un voeu pieux. Le même sort attend la résolution de M. Harper, qui est assurée de passer grâce à l'appui du NPD et probablement celui des libéraux, mais qui n'ira pas plus loin parce que personne à Ottawa ne veut rouvrir la boîte de Pandore constitutionnelle.
La manoeuvre de M. Harper est cyniquement transparente. L'idée ici n'est pas d'accorder un quelconque statut particulier au Québec, mais bien de clouer le bec aux souverainistes (dont Bernard Landry), qui réclament la reconnaissance de la nation depuis des années, et d'embêter les libéraux fédéraux, qui se querellent sur la place publique sur le sujet.
À moins que, finalement, cette résolution ne rende plutôt service aux libéraux, à une semaine de leur congrès. Quelle belle porte de sortie pour Michael Ignatief. Si, en effet, les Communes reconnaissent la nation québécoise, plus besoin alors d'en débattre en congrès puisque la question est réglée. Au même titre que les libéraux de Jean Charest n'ont pas à débattre de la nation québécoise puisque l'Assemblée nationale l'a reconnue.
Chose certaine, la résolution Harper complique sérieusement le jeu de Stéphane Dion et de Bob Rae, qui s'opposent à la reconnaissance de la nation québécoise, de peur d'ouvrir la porte à une kyrielle de demandes semblables. Mais après avoir dit, en octobre 2003: "Je n'ai pas d'objection à dire qu'il y a une nation québécoise, en autant qu'on ne prétende pas alors que les Québécois ne sont pas Canadiens" et qu'il voterait "tout de suite" pour un "Québec-nation au sein de la nation canadienne", on voit mal comment Stéphane Dion pourrait voter contre la résolution de M. Harper.
Jean Charest, lui, n'a pas été consulté sur le libellé de la résolution, mais il a discuté à maintes reprises du concept de nation avec M. Harper au cours des dernières semaines. Il est, dit-on à Québec, tout à fait à l'aise avec la résolution.
Difficile en effet pour un fédéraliste d'être contre "un Québec-nation dans un Canada uni". Ce n'est pas très contraignant. On est ici plus proche des monologues d'Yvon Deschamps que des rondes constitutionnelles.
À force de tourner autour du pot, le débat sur la reconnaissance du Québec devient parfaitement surréaliste. Ainsi, depuis quelques mois, entre les déclarations de Jean Charest, Bernard Landry et Stephen Harper, nous sommes devenus un peuple qui a les moyens d'être souverain, mais qui est d'abord une nation forte et autonome au sein d'un Canada uni.
Ça ressemble davantage à un accommodement raisonnable qu'à un amendement constitutionnel.
Pour joindre notre chroniqueur: vincent.marissal@lapresse.ca


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