Aux premières hirondelles

Rentrée parlementaire


Encore! Encore! Jeudi à l'Assemblée nationale, les députés de Jean Charest ont trouvé que la période de questions avait pris fin beaucoup trop tôt. Pour une troisième journée consécutive, ils venaient de voir leur chef faire tourner André Boisclair en bourrique.



Les députés accordent une importance démesurée à ces combats de coqs, qui laissent généralement la population assez indifférente, mais ils savent très bien reconnaître le vainqueur. Il suffisait de voir les visages s'allonger sur les banquettes péquistes pour comprendre qu'on y faisait la même évaluation qu'en face.
Il est normal que M. Boisclair ait un apprentissage à faire, mais M. Charest a frappé un point sensible mercredi en déplorant son «immaturité». Le mot était soigneusement choisi. Un des grands handicaps du chef péquiste est précisément que bien des gens, y compris au PQ, doutent encore qu'il soit prêt à gouverner le Québec, sans parler de le mener à la souveraineté.
À défaut de pouvoir aider, il est important de ne pas nuire. Jeudi, François Legault avait réussi à acculer le ministre du Développement économique, Raymond Bachand, dans les câbles. Le pauvre était incapable de dire combien on avait dépensé sur les 935 millions que le gouvernement s'était déjà engagé à consacrer au sauvetage de l'industrie forestière. Avide de s'associer à un premier succès, M. Boisclair a décidé de rediriger la question vers M. Charest, qui n'a eu aucune difficulté à noyer le poisson. Pour quelqu'un qui prétend connaître tous les trucs du jeu parlementaire, l'erreur était patente.
S'il peut légitimement se féliciter de sa performance, le premier ministre devrait prendre garde à ne pas verser dans la condescendance. Ses propres débuts comme chef de l'opposition à Québec n'avaient pas été si éclatants. Il est néanmoins vrai qu'à voir s'affronter deux poids lourds comme Lucien Bouchard et Jacques Parizeau, M. Boisclair ne semble pas être dans la même catégorie.

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M. Charest a des raisons plus graves d'être soucieux. Les nouvelles en provenance d'Ottawa deviennent franchement inquiétantes. À Québec, on prend de plus en plus au sérieux la possibilité que le Parti libéral du Canada, qu'on croyait destiné à un long séjour dans l'opposition, reprenne le pouvoir.
Selon le sondage dont le Globe and Mail a publié les résultats mercredi, les libéraux se retrouvent à égalité avec les conservateurs sans même avoir de chef. En Ontario, le PLC détient maintenant une très légère avance tandis que le PC est en chute libre au Québec. Pour couronner le tout, Bob Rae ne semble pas être l'épouvantail qu'on croyait pour les électeurs ontariens. C'est même lui qui ferait figure contre Stephen Harper.
Pour M. Charest, c'est le scénario cauchemar. Avec un gouvernement Rae, il faudrait oublier tout espoir de corriger le déséquilibre fiscal. Vétéran des négociations constitutionnelles du début des années 90, M. Rae a également indiqué très clairement qu'il n'avait aucune intention de jouer de nouveau dans ce film.
En réalité, M. Charest n'a pas plus envie de replonger dans la marmite constitutionnelle. Lui aussi a été très échaudé par l'échec de l'accord du Lac-Meech. Il voudrait cependant donner au moins l'impression qu'un certain déblocage pourrait survenir à terme. C'est très bien de dénoncer l'obsession référendaire du PQ, mais il serait préférable de ne pas laisser le débat sur la question nationale se résumer à un choix entre la souveraineté et le statu quo.
Le texte que le ministre des Affaires intergouvernementales, Benoît Pelletier, a récemment publié dans Le Devoir ressemblait clairement à un appel du pied. À la veille des élections, une ouverture à la reconnaissance de la spécificité québécoise serait certainement du meilleur effet, mais une nouvelle rebuffade serait dramatique pour le PLQ.
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Au départ, l'hypothèse privilégiée à Québec consistait à attendre que le gouvernement Harper présente un budget suffisamment avantageux pour permettre à M. Charest de crier victoire sur le front du déséquilibre fiscal et de commencer enfin à donner suite à son engagement de diminuer les impôts.
Au train où dégringole la cote des conservateurs, ce scénario de rêve est de moins en moins plausible. Non seulement M. Harper risque d'être chassé du pouvoir avant d'avoir eu le temps de concrétiser les bonnes intentions qu'il aurait pu avoir, mais il n'est même plus aussi certain que ses intentions soient aussi bonnes qu'on l'espérait. De nouvelles baisses d'impôts signifieraient autant d'argent de moins pour les provinces.
M. Charest a sérieusement songé à déclencher des élections cet automne. Il était même prévu de présenter un budget anticipé, comme l'avait fait le gouvernement de Paul Martin quand sa chute était devenue inévitable. À la réflexion, il en est arrivé à la conclusion que le coup était trop risqué. Les stratèges libéraux estiment que la tendance leur est favorable mais qu'elle doit encore être consolidée. Et on craignait aussi que les électeurs ne comprennent pas pourquoi on les précipitait dans une campagne électorale alors que rien n'empêchait d'attendre au printemps. Cela ne change cependant rien à la nécessité pour le PLQ que les élections québécoises aient lieu avant les élections fédérales.
À Ottawa, certains ont évoqué la possibilité que le prochain chef libéral préfère se donner un peu de temps pour se préparer avant de faire tomber le gouvernement Harper et décide de laisser passer le prochain budget Flaherty s'il est le moindrement acceptable. Il serait toutefois imprudent de tabler sur une telle retenue. Le PLC est un parti de pouvoir : il est difficile de l'imaginer différer un retour au pouvoir s'il paraît à portée de main.
L'autre possibilité serait que M. Flaherty retarde la présentation de son budget, normalement prévue en février. S'il attendait au mois d'avril, des élections au Québec dès le retour des premières hirondelles seraient tout à fait possibles. Au besoin, M. Charest pourrait faire valoir à M. Harper que, dans l'hypothèse d'une victoire du PLQ, qui plongerait la famille souverainiste dans une nouvelle phase de dépression, Gilles Duceppe pourrait bien perdre l'envie de faire tomber son gouvernement. Un service en attire un autre.
mdavid@ledevoir.com


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