Affaire classée

Les abeilles et le patrimoine

Nous sommes à la veille d’entrer dans l’autre vie, celle de l’été, là où le temps dure plus longtemps, comme le chantait Nino Ferrer.

Tandis que la lumière s’affaire encore à grignoter la nuit nous arrive une première histoire de saison : 184 ruches ont été volées la semaine dernière à Saint-Valère. Un délit à classer dans la catégorie des vols sucrés, au même titre que la disparition de 9571 barils de sirop d’érable il y a quelques années.

L’homme pille ce que ses semblables distillent. La grande architecte qu’est l’abeille comprend pour sa part qu’une cellule individuelle où elle accumule son miel n’a de sens que pour goûter à un bien commun. L’abeille sait d’instinct que ce qui n’est pas utile à l’essaim ne l’est pas en définitive pour elle. Le larcin n’est pas pour elle.

Il est intéressant d’entendre ce que dit Francis Labonté à la suite de ce vol étonnant. Le petit-fils de cette lignée d’apiculteurs est furieux de s’être fait voler 5,5 millions d’abeilles. Mais la valeur du miel apparaît le troubler moins que la disparition des insectes.

Pendant plus d’un siècle, il était possible d’acheter un nucléus chez F. W. Jones. Une reine et quelques abeilles vous étaient livrées par la poste afin que vous puissiez fonder une ruche. Mais une reine ne fait pas seule un royaume. Comme le souligne Francis Labonté, « des abeilles, ça ne s’achète pas ». Certaines choses n’ont pas de prix.

La famille Labonté produit du miel depuis 1937. Elle possède environ 120 millions d’abeilles. Il leur a fallu 80 ans pour développer 4000 ruches qui composent leur miel. La préservation de ce passé contre les maladies du présent constitue leur avenir.

À nous tous qui sommes de petites abeilles laborieuses, voilà exactement ce que les notaires répètent à l’heure de signer un testament : votre patrimoine constitue les bases de votre descendance.

Pourtant, sur la place publique, l’importance d’un patrimoine commun apparaît balayée du revers de la main. Il faut entendre ces jours-ci les élus municipaux et nationaux s’exprimer à ce propos : les uns et les autres se renvoient la balle tandis que les maisons anciennes, les églises et les bâtiments industriels tombent comme des mouches. L’État et ses créatures municipales trouvent au mieux à rappeler l’existence du passé par des greffes inopportunes de fragments de bâtiments anciens à de nouveaux ensembles privés d’âme. Au nouveau CHUM on accole le clocher d’une église rasée pour se donner bonne conscience. À Québec, on fait de même au milieu d’un parc de condominiums pour suggérer la mémoire de l’église des Plouffe de Roger Lemelin.

La démolition va bon train. À Cowansville, rapporte le quotidien La Voix de l’Est, la municipalité ne publie pas d’avis public de démolition. C’est ainsi qu’à proximité du lac Davignon un entrepreneur a pu raser sans attendre la maison Robinson. Devant de pareils entrepreneurs, le maire, Arthur Fauteux, parle la même langue que bien d’autres élus. Il dit : « Ils sont chez eux, ils font ce qu’ils veulent. » Ils font ce qu’ils veulent, faut-il le préciser, parce que la Ville les laisse faire, allant même jusqu’à s’empresser de modifier le zonage selon leurs désirs.

« Le patrimoine est une compétence provinciale », affirme quant à lui Denis Lavoie, le maire de Chambly, quand vient le temps de détruire la maison Boileau. À la question précise de savoir ce qu’elle comptait faire pour sauver cette maison où se tinrent plusieurs réunions de Patriotes, la ministre de la Culture, Hélène David, multiplie les pirouettes oratoires pour finir par affirmer sans gêne en Chambre que son gouvernement est exemplaire en matière de patrimoine. Et l’exemple qui lui vient à l’esprit pour le prouver est celui de l’ancienne bibliothèque Saint-Sulpice ! Faut-il lui rappeler que son ministère avait mis en vente en catimini ce bâtiment patrimonial exceptionnel par l’entremise des petites annonces ?

À propos de la maison du patriote René Boileau, la ministre a dit, lors de l’étude des crédits le 21 avril, qu’il y eut 5000 patriotes et qu’on ne peut en conséquence classer 5000 maisons. « On ne peut pas tout classer. »
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