À hauteur de femme

Be781c4db2204e731b1f04ac34cf7761

Débat des chefs - Québec 2008

Quand un joueur de hockey sombre dans une période léthargique et qu'il cafouille continuellement autour du filet au lieu d'y lancer la rondelle, les experts parlent généralement d'un manque de confiance.
Cela lui fait «prendre les mauvaises décisions», alors que les bonnes semblent venir spontanément quand la confiance est présente. On explique toutefois qu'il suffirait d'un but, même chanceux, pour que «ça débloque». Apparemment, le hockey se joue surtout «entre les deux oreilles».
Dans le document interne qui a fait l'objet d'une fuite dans La Presse en début de campagne, les stratèges péquistes constataient non seulement que Pauline Marois traîne l'image d'une snob, mais aussi qu'elle est «hésitante» et «écoute trop le monde».
Il est vrai que la chef du PQ donne souvent l'impression de ne pas trop savoir quoi penser. Ses déclarations confuses sur les mises à la retraite massives de 1997 en sont une magnifique illustration.
Dans son projet d'instituer une citoyenneté québécoise dont les modalités seraient incompatibles avec la Constitution canadienne, elle a également semblé s'être laissée influencer par des conseillers au sens politique douteux. La semaine dernière, elle a clairement laissé entendre que ces modalités seraient revues si jamais elle devenait première ministre.
Se pourrait-il que ce qui apparaît souvent comme un manque de jugement traduise plutôt un manque de confiance dans son propre jugement? Dans un point de presse, il suffit qu'une question devienne trop insistante pour que Mme Marois commence à nuancer la réponse qu'elle vient de donner.
Malgré sa belle feuille de route, elle donne parfois l'impression de se demander au fond d'elle-même si elle est réellement à la hauteur. Certains y verront peut-être un trait féminin. Le monde politique en est un où les ego sont souvent surdimensionnés, mais cette hypertrophie est généralement moindre chez les femmes politiques que chez leurs collègues masculins.
Mme Marois a déjà confié qu'elle n'hésitait pas à s'entourer de gens plus forts qu'elle. Pour bien des politiciens mâles, la simple admission qu'il puisse exister quelqu'un de plus fort serait impensable. Sous le sceau de la confidence, une ministre très en vue racontait avec une pointe d'amertume qu'avoir été un homme, elle aurait sans doute entretenu de plus hautes ambitions.
***
Au lendemain d'un débat, il est de bon ton pour un chef de parti de pousser des cocoricos victorieux. Hier, la satisfaction de Mme Marois semblait pourtant aller au-delà d'une figure imposée. En entrevue avec Benoît Dutrizac, sur les ondes de 98,5, elle s'est octroyé une note de 8,5 sur 10... dont elle s'est presque excusée par la suite. Elle se félicitait tout d'abord d'être demeurée elle-même, mais aussi d'avoir été efficace dans ses attaques. Le seul point d'ombre avait été sa difficulté à transmettre son propre message.
«Les gens doutaient un peu de tout ça, mais là, c'est réglé», a-t-elle expliqué. Il est vrai que plusieurs, y compris au sein de ses propres troupes, commençaient à désespérer de la voir un jour rendre coup pour coup, mais la chef du PQ a aussi donné l'impression de s'être étonnée elle-même face à deux adversaires aussi aguerris.
Mme Marois n'a jamais été un grande oratrice, même si son nouveau télésouffleur a quelque peu amélioré les choses. À l'Assemblée nationale, on ne peut pas dire qu'elle soit une débatteuse très redoutable.
Même avant qu'elle ne devienne chef du PQ, je ne me souvenais pas de l'avoir vue aussi à l'aise et efficace que mardi soir. C'était comme si toutes ses inhibitions étaient tombées d'un coup. Un peu trop, selon certains. C'est Jean Charest, pourtant une véritable bête de scène, qui avait soudainement l'air mal à l'aise.
Mme Marois semble même avoir trouvé une façon de compenser le désavantage que constitue pour elle une campagne axée trop exclusivement sur l'économie, en l'amenant sur son propre terrain. «L'économie et le social doivent être mis l'un au service de l'autre», a-t-elle expliqué aux étudiants de l'Université de Montréal, qui l'ont l'applaudie chaudement à l'évocation des CPE.
***
Bien sûr, une hirondelle ne fait pas le printemps. En 2007, André Boisclair avait eu le dessus lors du débat télévisé. Le lendemain, il était déchaîné, alors que M. Charest semblait ébranlé. Cela n'a pas empêché le PQ de prendre sa plus sévère raclée depuis 1973.
Hier, les commentateurs s'accordaient pour dire que la tournure du débat de mardi ne suffirait pas à modifier le cours de la campagne, même si un sondage éclair effectué par Crop auprès de 452 téléspectateurs francophones confirmait que la performance de Mme Marois avait été perçue comme la meilleure. Elle-même a préféré s'abstenir de toute conjecture sur l'impact que cela pourrait avoir sur l'issue du scrutin.
Il est vrai que la tendance favorable aux libéraux semble trop lourde pour être renversée d'ici le 8 décembre, et l'effondrement de l'ADQ exclut pratiquement l'hypothèse d'un gouvernement minoritaire.
Rien ne pourra cependant enlever à Mme Marois ce qu'elle a tiré personnellement de sa victoire de mardi. Elle sait maintenant qu'elle peut être à la hauteur et les militants péquistes le savent aussi. Pour la suite des événements, cela a son importance.
D'ailleurs, puisqu'il est question de l'après-élection, ceux qui ont accompagné la chef péquiste depuis le début de sa tournée ont noté qu'elle avait exprimé plus fortement son engagement envers la souveraineté, même si la tenue d'un référendum demeure toujours aussi hypothétique. Sûrement un hasard.
***
mdavid@ledevoir.com


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->