Une sinistre farce

Les jours de Mme Boucher, comme ceux de Mme St-Pierre, sont sans doute comptés, mais congédier de mauvais acteurs ne suffira pas: il faudrait surtout mettre fin à la farce.

Christine St-Pierre - la marionnette d'un gouvernement qui ne respecte pas la loi 101

Dans le cas des individus, il était toujours possible de prétexter l'ambiguïté de la Charte de la langue française, qui n'impose pas à l'État québécois de communiquer en français avec ceux qui s'adressent à lui dans «une langue autre», c'est-à-dire en anglais.
La semaine dernière, quand Le Devoir a révélé que les trois quarts des immigrants étaient considérés comme des anglophones, même lorsqu'ils sont en mesure de s'exprimer en français, la ministre responsable de la Charte, Christine St-Pierre, a promis de trouver un «mécanisme» pour mettre fin à une pratique aussi incompatible avec les objectifs d'intégration des nouveaux arrivants. Même si la turpitude des uns n'excuse pas celle des autres, le gouvernement a pu plaider que son prédécesseur péquiste avait adopté la même attitude résolument clientéliste.
En ce qui concerne les entreprises, il n'y a toutefois aucune ambiguïté dans la Charte: toutes les communications écrites doivent se faire en français, peu importe la taille de l'entreprise. Une disposition de la loi 104, adoptée en 2002, permettrait au gouvernement de prévoir des exceptions par voie de règlement, mais elle n'a jamais été mise en vigueur.
Les faits rapportés aujourd'hui même par mon collègue Robert Dutrisac ne laissent pourtant aucun doute: les entreprises actives au Québec ont tout le loisir de traiter en anglais avec le gouvernement et ses organismes, qu'il s'agisse d'Investissement-Québec ou du ministère du Revenu.
C'est par l'intermédiaire d'Investissement-Québec que le gouvernement peut apporter une aide financière aux entreprises. Même si la loi l'interdit formellement, tous ses documents sont disponibles en anglais sur Internet. Bien entendu, les communications orales peuvent aussi se faire en anglais.
Avec la collaboration de Revenu Québec, l'utilisation d'un logiciel permet de remplir en anglais un formulaire d'impôt expédié en français. Les documents explicatifs sont également disponibles en anglais. À l'Office québécois de la langue français (OQLF), on reconnaît que ces pratiques contreviennent à la loi.
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Tout cela donne la désagréable impression d'une sinistre farce dont nous sommes collectivement les dindons. À quoi riment tous les beaux discours sur la protection du français et les appels à la vigilance des citoyens si c'est business as usual au gouvernement?
Le 20 mars dernier, Christine St-Pierre a présenté en catastrophe un plan d'action de 12 millions de dollars en deux ans pour favoriser la francisation des entreprises comptant moins de 50 employés, qui ne sont pas soumises aux exigences de la Charte de la langue française. «Les mesures que j'annonce aujourd'hui visent à donner un nouvel élan à la francisation des entreprises de toute taille», affirmait son communiqué de presse.
Depuis sa nomination, on avait compris que certaines dimensions du dossier linguistique échappaient à la ministre St-Pierre, mais elle devrait être en mesure de comprendre la contradiction entre ses objectifs de francisation et ce que vivent concrètement les entreprises dans leurs relations avec l'État.
Il ne s'agit pas de multiplier les tracasseries administratives, mais le message envoyé aux entreprises serait certainement plus efficace si celles-ci étaient tenues d'utiliser le français pour obtenir une garantie de prêt.
Tout le monde ou presque convient qu'en Amérique du Nord, tout ne peut pas se faire uniquement en français, notamment au sein des entreprises qui font affaire avec l'extérieur du Québec. Il est également vrai que la généralisation d'Internet dans les communications représente un sérieux défi à la règle de l'unilinguisme français.
Si le gouvernement estime que les dispositions de la Charte de la langue française ne sont pas réalistes, qu'il explique pourquoi et propose des modifications plutôt que de la transgresser lui-même.
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En 1977, l'Office québécois de la langue française (OQLF) avait reçu le mandat de «veiller à ce que le français soit la langue habituelle et normale du travail, des communications, du commerce et des affaires dans l'administration et les entreprises».
On aurait donc pu s'attendre à ce que l'OQLF débusque et dénonce les pratiques révélées par Le Devoir, qui ont cours depuis des années. Il est bien difficile de croire qu'on ignorait leur existence. S'il y a eu intervention, il faut croire que celle-ci a été d'une extrême discrétion et que le résultat a été nul.
L'OQLF a déjà été critiqué pour son manque de vigilance par le passé, mais l'apparente collusion entre l'actuelle présidente de l'OQLF, France Boucher, et le gouvernement Charest a miné sa crédibilité comme jamais.
Il n'y a aucune raison de mettre en doute la parole des quatre universitaires qui ont démissionné du comité de suivi de la situation linguistique. Pourquoi se seraient-ils opposés à la publication d'études qu'ils avaient validées depuis des mois? Depuis un an, la direction de l'OQLF leur a répété que «le tout est en discussion avec la ministre de la Culture», affirment-ils dans la lettre publiée hier dans Le Devoir.
Au Québec, aucune question n'est aussi délicate ni aussi potentiellement explosive que celle de la langue. Dans la mesure où il est extrêmement difficile de faire une évaluation globale et objective de la situation, la confiance devient un élément indispensable. Entre une ancienne attachée politique libérale et quatre universitaires, qui la population va-t-elle croire, pensez-vous?
Sans parler de la grossièreté du langage utilisé par Mme Boucher qui, en pleine commission parlementaire, a qualifié le comité de suivi de «soue». Qui sera maintenant assez masochiste pour collaborer avec l'OQLF?
Les jours de Mme Boucher, comme ceux de Mme St-Pierre, sont sans doute comptés, mais congédier de mauvais acteurs ne suffira pas: il faudrait surtout mettre fin à la farce.
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mdavid@ledevoir.com


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