Un vieil avocat m’a dit un jour qu’il avait connu une lointaine époque où
la parole d’un homme était sacrée, alors qu’aujourd’hui, même sa signature
ne valait plus le papier sur lequel elle était apposée. C’était il y a 25
ans et cela n’a guère changé. Ça s’est même raffiné.
C’est exactement ce qui se passe présentement avec la Charte de la langue
française. Selon Jean Charest, on n’aurait pas besoin de respecter les
dispositions la loi 101 pour protéger le français au Québec, les lois du
marché suffiraient amplement et les consommateurs seraient suffisamment
vigilants pour forcer les entreprises et les commerçants à respecter
l’esprit de cette loi. Mieux, nous devrions croire Jean Charest sur parole
lorsqu’il nous dit qu’il n’y a pas de péril en la demeure.
Pourtant, au
cours des dernières années, son propre gouvernement a multiplié les
communications officielles en anglais avec les immigrants, les hommes
d’affaires et les entreprises qui opèrent en anglais sur le territoire du
Québec. Si bien qu’au fil des années, la langue anglaise a continué d’être
la langue de travail de nombreux allophones et francophones, comme elle l’a
toujours été pour la majorité des anglophones du Québec.
Même si la Charte de la langue française est actuellement l’objet de
nombreux reculs sur le plan politique, c’est d’abord sur le front juridique
qu’elle a connu ses pires revers. Cette charte légitimement votée par un
gouvernement provincial n’a cessé d’être charcutée par la Cour Suprême au
fil des années, par des juges nommés en raison de leur allégeance à un
Canada anglais, fort et uni. Depuis l’adoption de la constitution
canadienne en 1982, tout a été fait pour que la Charte de la langue
française soit perçue comme une anomalie dans le ciel québécois. Même
Lucien Bouchard, qui éprouvait un fort sentiment d’embarras à son endroit,
a décidé de lui enlever toutes ses griffes pour prouver sa bonne foi aux
représentants de l’occupant anglais réunis dans l’enceinte du théâtre du
Centaure peu de temps après la défaite de 1995, un geste de soumission et
une preuve de notre reddition. Selon sa propre expression, il n’aimait pas
les ceintures fléchées.
D'ailleurs, c’est ce même esprit qui a inspiré l’équipe de production de
la série « René, le destin d’un chef» qui, malgré le peu de temps d’antenne
qui lui était accordé, a pris tout son temps pour exagérer le malaise
qu’aurait éprouvé René Lévesque lorsque son gouvernement a adopté le projet
de loi 101, accréditant la thèse officielle selon laquelle nous devions
être gênés par cette loi qui ne cadrait pas avec notre hospitalité
proverbiale. Cachez cette loi que nous ne saurions voir ! Depuis 30 ans,
tout est fait pour présenter la Charte de la langue française comme une
anomalie démocratique, comme un déshonneur national, comme l’instrument de
torture des anglophones et des allophones du Québec ; ne mâchons pas nos
mots, comme un crime contre l’humanité. Leurs universités et leurs hôpitaux
anglais ne leur suffisant plus, il faudrait en plus que toutes nos
institutions francophones deviennent bilingues, partout sur le territoire
du Québec.
À force de nous présenter la Charte de la langue française comme une
ignominie, plusieurs Québécois ont fini par croire que le désir de se
donner collectivement une langue commune n’était pas un objectif légitime;
qu’il ne pouvait y avoir de langue commune pour les institutions
québécoises et les services qui y sont offerts, comme c’est le cas dans le
reste du Canada où l’anglais règne sans partage. On le voit bien, grâce à
cette stratégie de la honte, le bilinguisme institutionnel est devenu
l’esprit de la politique officielle du gouvernement du Québec, sans que
Jean Charest ait pris la peine d’amender la Charte de la langue française
pour en changer la lettre.
Comment pourrait-il en être autrement, dans un pays où tout est mis en
œuvre pour que la norme linguistique devienne le bilinguisme institutionnel
d’un océan à l’autre, où être bilingue signifie qu’il faut s’adresser en
anglais à tous ceux qui le désirent alors que tout ce qui est exclusivement
français doit être considéré comme de l’unilinguisme obtus, du repli et du
manque d’ouverture à l’autre? Au Canada, le bilinguisme officiel doit
d’abord se pratiquer en anglais, même au Québec, surtout à Montréal.
Nous aimerions tant que la ministre St-Pierre, responsable de la loi 101,
fasse preuve de plus de ferveur dans la défense de la langue française,
abandonnant sa langue de bois et sa réserve de journaliste qui ne siéent
guère lorsqu’on a l’importante mission de défendre la langue française sur
un continent anglophone. Nous souhaiterions la même audace qu’elle a connue
lorsqu’elle a réclamé une plus grande présence militaire canadienne en
Afghanistan, rompant alors avec son devoir de réserve journalistique.
Toutefois, nous ne pouvons que constater la cohérence des actions de Mme
St-Pierre. À l’encontre du vœu d’une majorité de Québécois et en accord
avec celui de la plupart des Canadiens, tout comme elle était en faveur
d’un engagement militaire canadien en Afghanistan, elle œuvre chaque jour à
l’affaiblissement de la loi 101.
Ce n’est donc pas le courage qui dicte les actions de la ministre
St-Pierre, mais bien la solidarité envers une certaine vision canadienne du
Québec qu’elle partage avec son premier ministre et qu’elle dicte au
personnel responsable de l’application de la Charte de la langue française.
À cet égard, Mme France Boucher, directrice de l’Office de la langue
française, suit exactement les ordres qu’on lui a donnés. Comment
pourrait-on le lui reprocher, les règles d’engagement sont claires? Il n’y
aura pas de batailles rangées sur le front de la langue, il faut laisser
les forces anglo-canadiennes continuer à gruger la loi 101 tant que la
mission de purification linguistique à l’encontre de l’unilinguisme
francophone québécois ne sera pas terminée. Le Québec doit devenir
bilingue, telle est la mission confiée à Christine St-Pierre et à France
Boucher par Jean Charest et la meilleure façon d’y arriver : ignorer la loi
101.
Louis Lapointe
Brossard
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --
Cachez cette loi que nous ne saurions voir !
Les règles d’engagement de Christine St-Pierre et France Boucher: ignorer la loi 101
Chronique de Louis Lapointe
Louis Lapointe534 articles
L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fon...
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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.
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4 commentaires
Archives de Vigile Répondre
18 avril 2008Jean Charest tient deux rôle: celui de premier ministre du Québec dont le salaire lui est payé par les citoyens et celui de chef du parti Libéral dont le salaire lui est payé par les membres de ce parti.
Les membres du parti Libéral sont de facon sur-représentée des anglophones et des allophones intégrés à la minorité anglophone. Ce sont eux qui mènent le parti Libéral et non les francophones sous-représentés de ce parti.
On a dit que Jean Charest avait été envoyé par Jean Chrétien pour dirigé le parti Liéral du Québec et ainsi défendre les intérêts des fédéralistes.
C'est ce que fait Jean Charest: il est payé par le parti Libéral pour faire le travail demandé par les membres du parti Libéral.
Jean Charest est donc en conflit d'intérêts et c'est pourquoi il est inacceptable qu'il recoive deux salaires. D'où vient cet argent attribué par le parti Libéral du Québec? Vient-il du fédéral (via les commandites)? Vient-il de l'establishment anglophone? Vient-il de Power corporation? On ne le sait pas parce qu'il y a manque de transparence.
Ce double rôle permet à Jean Charest d'essayer de faire croire qu'il défend les intérêts des québécois tout en réalisant les intérêts des anglophones de réduire l'impacte de la loi 101.
Archives de Vigile Répondre
18 avril 2008Si le PLQ faisait des efforts réel pour la loi 101, il perdrait son électorat.
Il fait rigoureusement ce que son intérêt lui dicte il n'y a aucune négligence dans sa gouvernance hystériquement provinciale.
François Therrien
Archives de Vigile Répondre
17 avril 2008Je propose que Vigile prenne la tête d'une pétition nationale et présente le Gouvernement du Québec comme candidat au prix de la Carpette anglaise 2008...
Archives de Vigile Répondre
17 avril 2008Vous écrivez : «Ce n’est donc pas le courage qui dicte les actions de la ministre St-Pierre, mais bien la solidarité envers une certaine vision canadienne du Québec qu’elle partage avec son premier ministre».
C'est ça M. Lapointe, le gouvernement Libéral très provincial de M. Charest est FÉDÉRALISTE, pas SOUVERAINISTE. Il a été élu par les Québécois qui devaient normalement savoir qu'il était FÉDÉRALISTE dont plusieurs voulaient être défusionnés. Ils ont fait passer le besoin de défusions avant celui de la langue de la nation.
Maintenant, avec la division des indépendantistes/souverainistes, la faiblesse des autonomistes et la popularité croissante du PLQ, on devrait hériter d'un troisième mandat de suite de ce parti à la prochaine élection sauf s'il y a entente, fusion ou coalition du PQ avec l'ADQ pour lui barrer la route du pouvoir provincial.
Un fédéraliste normal doit penser Canada bilingue comme l'a pensé et organisé notre P.E. "just watch me" Trudeau, hautain personnage qui traduisait, de son vivant, les Non en OUI par magie.