Le rapport du BAPE sur les gaz de schiste

Une rebuffade qui laisse la porte ouverte à l'industrie

Le MRNF a reçu la plus importante baffe politique depuis 40 ans

Le Québec et la question environnementale


Le BAPE renvoie Québec à la case départ, y compris le ministre Pierre Arcand.

Photo : Jacques Nadeau - Le Devoir


Le rapport du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) sur l'exploitation des gaz de schiste a réussi à imposer une rebuffade magistrale au gouvernement Charest, tout en faisant droit à l'essentiel des besoins de l'industrie et en balisant minimalement l'exploitation de cette ressource, la révision de la Loi sur les mines et l'éventuelle loi sur les hydrocarbures.
Plusieurs voient dans le rapport du BAPE une victoire citoyenne majeure. C'est sans contredit le cas, car cette mobilisation a dépassé toutes celles qui ont marqué les défaites gouvernementales successives dans les dossiers du Suroît, d'Orford et de Rabaska et plusieurs de ses projets dans les dossiers de l'énergie et des richesses naturelles comme la forêt. Le rapport du BAPE fait droit à ce nouveau rapport de force de multiples façons, mais souvent plus en apparence.
Il interdit ainsi pour deux ans — jusqu'à la fin d'une véritable évaluation environnementale stratégique (EES), sauf pour des motifs d'acquisition de connaissances scientifiques — de poursuivre la fracturation hydraulique dans les puits actuels ou futurs, soit l'activité la plus susceptible de contaminer les nappes souterraines ou les eaux de surface.
Mais surtout, il assène au ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF) la plus importante baffe politique depuis 40 ans. La commission propose ainsi d'enlever à ce ministère à vocation économique le contrôle des activités sur le terrain, comme la prospection, le forage, la fracturation hydraulique et l'exploitation du gaz. Le contrôle des activités susceptibles d'avoir des impacts environnementaux serait plutôt confié au ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs (MDDEP). Jamais, depuis la commission Legendre de 1972, n'a-t-on proposé une soustraction de cette ampleur aux responsabilités du MRNF. Et pour les mêmes raisons. La commission Legendre avait proposé de confier à un nouveau ministère de l'Environnement la protection des eaux parce que le MRNF s'était avéré incapable d'en assumer la protection au profit de l'activité économique. Cette fois-ci, le BAPE reproche explicitement au MRNF d'avoir attendu septembre dernier pour amorcer une inspection sérieuse des 31 puits en exploitation pour découvrir notamment que 19 faisaient l'objet de fuites.
L'impact de cette recommandation d'une autre commission investie des pouvoirs de la Loi sur les commissions d'enquête aura d'inévitables répercussions sur la future loi sur les mines. Le MRNF a enlevé à la fin des années 80 à l'Environnement le pouvoir de gérer la
fermeture des mines. Si ce ministère doit désormais gérer la fermeture des puits de gaz, la cohérence obligera Québec à en faire autant avec les mines.
L'ineptie de ce ministère a d'ailleurs été abondamment illustrée par sa ministre, Nathalie Normandeau, qui déclarait sans sourciller en septembre dernier que les gaz de schiste ne présentent aucun danger pour les nappes souterraines et que les substances utilisées par les industriels ne sont pas polluantes ou dangereuses. Un tel aveuglement méritait à juste titre de transférer le dossier à un ministère plus avisé.
Pour une véritable EES
En proposant une évaluation environnementale stratégique (EES) avant d'aller plus loin avec la fracturation et l'exploitation des gaz de schistes, le BAPE renvoie Québec à la case départ, y compris, contrairement aux apparences, le ministre du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs, Pierre Arcand. Ce dernier précisait ainsi le mandat du BAPE le 29 août dernier: «C'est la responsabilité du gouvernement d'encadrer le secteur gazier pour qu'il se développe selon les plus hauts standards de qualité.» Même pour le gardien de but de l'environnement, le mot d'ordre était alors le «développement». Il demandait en somme au BAPE comment il fallait réaliser ce développement, et pas s'il était nécessaire, à quel rythme et qui serait le mieux placé pour assumer ici l'intérêt public.
Le BAPE dit explicitement ici à Québec que ce n'était pas la bonne voie, un geste courageux qui restaurera certainement sa crédibilité fort malmenée dans d'autres dossiers.
Une EES, précisent les commissaires, devra carrément poser la question de la «pertinence socioéconomique» du développement de cette filière au Québec. Les commissaires vont plus loin et écrivent que toute politique gouvernementale dans ce secteur, une allusion à une éventuelle révision de la politique énergétique, devrait «décourager une exploitation trop rapide» du gaz de schiste et viser à «conserver la ressource à long terme». En clair, développer maintenant n'est peut-être pas le meilleur pari dans un marché nord-américain saturé. Et le BAPE rappelle au ministre Arcand que dans cet exercice, l'option de faire doit être sur le même pied au départ que celle de dire non, la question fondamentale que son mandat a voulu contourner.
Il n'y a d'ailleurs personne à Québec qui respecte la procédure environnementale balisée par la loi, qui est pourtant basée sur un examen public en vertu de la Loi sur les commissions d'enquête. Dans les dossiers du Suroît, de Bécancour et de Rabaska, ministres et premier ministre n'ont respecté aucun devoir de réserve en se prononçant pour ou contre les projets, avant et pendant les audiences, sans que cela émeuve nos chroniqueurs politiques...
Une EES rigoureuse, qui pose toutes les questions d'amont soulevées par le BAPE, a plus d'importance sur le plan économique que la question plus médiatique des redevances, à l'évidence ridiculement basses au Québec. Elle vise en effet à assurer une part de cette ressource non renouvelable aux prochaines générations, une question évitée par Québec tout comme la place du gaz et des gaz de schiste dans la politique énergétique, dans celle sur les changements climatiques et le développement des énergies vertes, qui pourrait souffrir de ce nouveau concurrent plus polluant.
L'EES proposée par les commissaires présente un autre avantage non dit. Elle devrait s'étendre sur deux ans, ont-ils écrit. Or, voilà une façon de ne pas faire perdre la face au gouvernement tout en le plaçant enfin en situation d'attendre les résultats de la grande étude entreprise par l'Agence de protection environnementale (EPA) des États-Unis.
La multiplication des tours
La mise en place d'une véritable EES présuppose de nombreuses étapes comme la nomination de responsables et la définition de ses objectifs, ce qui devrait faire l'objet d'une véritable préaudience comme celles de la procédure fédérale si on veut éviter de nouveaux dérapages et recommencements. Mais ces exigences vont retarder d'autant de nouvelles opérations de fracturation hydrauliques à des fins scientifiques.
Plusieurs ont interprété cette restriction comme un «moratoire de facto». Mais rien n'est plus faux. La mise en place d'une réglementation qui conférera à l'Environnement le contrôle de toutes les activités de prospection et de forage sur le terrain n'est pas non plus pour demain à moins que Québec ne l'adopte d'urgence.
Mais tant que cela n'aura pas été fait, les industriels pourront continuer de forer aussi souvent, aussi profondément et aussi loin dans le sous-sol qu'ils le voudront. Ils ont des permis valides pour le faire. Seule l'opération suivante, la fracturation, sera réduite à des fins scientifiques. Mais les relevés sismiques perturbateurs, l'arrivée dans le décor des derricks, les activités de forage et de gestion des boues, le cimentage des puits à travers les nappes souterraines, tout cela pourra se poursuivre sans attendre un nouveau cadre réglementaire, à moins d'un gros coup de barre à Québec, de sorte que parler d'un moratoire relève définitivement de l'abus de langage.
En réalité, la proposition du BAPE coïncide étrangement avec les plans d'une industrie qui en est encore à tester le sous-sol pour en évaluer la valeur: «On a trois ans de travaux devant nous. Il faut prendre ces trois années pour se donner le cadre réglementaire. On pourra s'inspirer du rapport du BAPE. Si dans trois ans, toutes les données sont au rendez-vous, qu'on soit en mesure de passer en phase d'exploitation», déclarait à l'automne au Devoir le directeur général de l'Association pétrolière et gazière du Québec, Stéphane Gosselin.
Ces activités risquent toutes de se poursuivre sans que les pouvoirs des MRC et municipalités n'aient été renforcés car si on suggère de les consulter et de consolider leurs pouvoirs en matière d'aménagement, nulle part ne propose-t-on de leur conférer un veto sur l'exploration du gaz chez elles. Pire, on leur propose le modèle agricole, qui force les MRC et municipalités à favoriser cette activité souvent malgré le voeu majoritaire des populations.
Par contre, le BAPE affiche plus d'audace quand il suggère la création d'un fonds alimenté par les cotisations des industriels pour gérer les sites gaziers orphelins. Cette suggestion devrait s'avérer tout aussi valable pour le secteur minier où les contribuables n'ont de cesse de payer pour l'incurie historique de cette industrie.




* Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE),
_ * Ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF),
_ * gaz de schiste


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