Une première « québécoise » en Belgique

Chronique de José Fontaine

Bien des conflits – et des plus durs ! – au Canada concernent les relations entre l’Etat fédéral et la Province du Québec. On pourrait même dire que la plupart de ces conflits sont de ce type : rien que l’affaire des commandites sur le référendum de 1995, évidemment la question des taxes etc.
Rien de tel en Belgique qui, jusqu’aux années 1980, n’était pas un Etat fédéral. Au Canada, le conflit entre Canadiens anglais et français, puis Québécois et Canadiens, prend toujours la forme d’un conflit (politique et juridique) entre l’Etat fédéral (canadian) et l’une des entités fédérées (québécoise). Je ne dirais pas qu’il n’en a jamais été ainsi chez nous parce que les Flamands, étant plus nombreux, dominant l’Etat unitaire, les Wallons ont souvent dû s’opposer à l’Etat belge. On ne le dit pas et on a tort. Mais passons. En tout cas le conflit entre Flamands et Wallons s’est le plus souvent déroulé sur ce que les Québécois appellent une « scène » et cette scène chez nous a toujours été la scène « belge ».
Début octobre, le gouvernement de l’Etat fédéral belge inscrivait dans les prévisions de son budget une taxe à payer par les passagers embarquant dans les aéroports. Or l’aéroport national est en Flandre et il existe deux (récents), importants aéroports régionaux en Wallonie qui sont en pleine croissance (Liège et Charleroi). Ces aéroports sont de la compétence des Régions, Flandre et Wallonie. Vendredi 7 novembre, tant la Wallonie que la Flandre se sont opposées à cette taxe qui risquait d’entraver le développement des aéroports. Le gouvernement fédéral s’est incliné tout de suite. C’est peut-être le premier grand conflit de ce type, opposant, non la Flandre et la Wallonie, mais ces deux Régions à la Belgique. Va-t-on voir des conflits de ce genre se multiplier ? Je n’en sais rien, mais en écoutant tantôt les discussions des journalistes à Face à la presse, j’étais un peu étonné. Certains se plaignaient, craignant que cette opposition d’un genre nouveau (je le redis, j’y insiste), n’amènent de nouvelles divisions au sein des partis politiques. Le conflit entre Flamands et Wallons a en effet fait éclater en deux parties (wallonne et francophone d’une part, flamande de l’autre) tous les partis autrefois nationaux et unis.
Le journaliste observait ceci : dans les partis formant la coalition gouvernementale, se retrouvent d’importantes personnalités qui président les partis. Or, chez nous, la fonction de président de parti est en réalité plus importante que celle de ministre, voire de Premier ministre fédéral : on appelle cela « particratie ». Ces importantes personnalités contrôlent tous les pouvoirs (en principe et jusqu’ici, de facto), tant au plan fédéral qu’au plan des entités fédérées. Ce que redoutait par conséquent le journaliste, c’était de voir les partis éclater, non plus seulement selon un clivage ethnique ou culturel (Wallons/ Flamands), mais aussi selon un clivage politique (Etat fédéral contre entités fédérées), absolument inconnu jusqu’ici. Car, remarquait-il, d’importantes personnalités, supposées contrôler le gouvernement fédéral ET les gouvernements régionaux, ont approuvé début octobre, au plan fédéral, cette taxe sur les passagers, ce que les gouvernements régionaux ont combattu ensuite, gouvernements que ces personnalités – qu’on pourrait appeler « fédérales » - sont pourtant supposées contrôler également...
Ce qui est remarquable, c’est que le gouvernement fédéral a – le 7 novembre - cédé quasiment tout de suite. Mais ce qui l’est plus encore, à mon sens, c’est que tant du côté flamand (ce que l’on savait), que du côté wallon (ce que l’on peut espérer), il y a maintenant des personnalités (premiers ministres, ministres), appartenant certes à des partis qui siègent au fédéral, mais qui ne s’inscrivent pas d’abord dans la ligne de leurs partis. C’est du moins ce qui est déjà le cas côté flamand et qui va peut-être le devenir côté wallon. Chez nous, je le redis, les partis pèsent plus que les responsables des entités politiques (Etat fédéral, Etats fédérés). La manière dont ce conflit sur les taxes vient d’être si rapidement résolu, semble montrer que les Etats fédérés prennent de plus en plus le pas sur l’Etat fédéral MAIS (surtout) sur les partis nationaux (certes scindés selon l’appartenance linguistique), qui semblaient faire de l’enjeu fédéral, l’enjeu principal. Si j’ai raison dans cette analyse, il y a de bonnes raisons de penser que la Belgique est en train de devenir une confédération d’Etats indépendants, seule manière dont je verrais « disparaître» la Belgique, ce qui est sans doute déjà à l’œuvre. Et qui risque d’aller plus vite qu’on ne le pense. C’est intéressant pour la Flandre et pour la Wallonie. Mais aussi pour la démocratie. Car les partis ne sont que des pouvoirs informels. Tandis que les Etats flamand et wallon sont les vrais pouvoirs. Que la Wallonie et la Flandre (la Région de Bruxelles aussi) prennent le pas sur les partis est réjouissant, d’un point de vue simplement démocratique.
José Fontaine

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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