Une particratie wallonne antiwallonne

Certains dirigeants au pouvoir depuis 20 ans

Chronique de José Fontaine

Un Québécois souverainiste n'est certainement pas prioritairement anticanadien. Il l'est bien sûr, mais il rêve d'abord d'un peuple qui s'assume. Beaucoup de Québécois ignorent, je pense, qu'ils ont de l'autre côté de l'Atlantique des cousins qui font depuis longtemps le même rêve passionné : en Wallonie. La plupart des Québécois voient d'abord une Belgique. Certes, beaucoup de Wallons n'useront pas du mot Québec pour parler du pays de leurs cousins du (et si peu du...), Canada. Pourtant - tout en signalant qu'il vaudrait mieux parler de Wallonie que de Belgique - je peux comprendre que nos amis québécois usent du mot Belgique, à tort. Il y a à cela de nombreuses explications qui ne disent pas toute la vérité de la Wallonie. Une Wallonie qui, à bien des égards, pourrait se comparer à l'Ecosse ou à la Catalogne. Certainement d'abord en fonction de l'étendue des compétences (se prolongeant sur la scène internationale, ce qui fait de la Wallonie un pays bien plus avancé dans son indépendance que la Catalogne et l'Ecosse).
Mais par ailleurs, les dirigeants wallons, malgré l'étendue de ces compétences, ne l'assument pas sur le plan symbolique, c'est-à-dire - parce qu'il n'y a rien de plus politique que le symbolique - d'abord à l'égard de leur propre peuple. Pourquoi?
Une assurance de longévité politique : la Belgique francophone

Les politologues distinguent parfois quatre types de régimes dans les démocraties parlementaires : les systèmes bipolaires (le Québec), bipolarisés (France), multipolaires à parti dominant (les pays scandinaves), les systèmes particratiques (comme l'Italie et la Belgique francophone, déjà moins la Flandre). La Belgique ne l'a pas toujours été. Quand elle fut bipolaire, les forces politiques majoritaires dans une Wallonie toujours minoritaire dans l'Etat belge, ont été le plus souvent écartées du pouvoir. Il y a d'ailleurs un lien entre le passage du régime bipolaire au régime particratique et le passage d'une Wallonie sans personnalité juridique - dominée par la Flandre -, à une Wallonie en train de gagner de 60 à 70 % des compétences étatiques ex-belges.
Je reviendrai un jour sur ce qui peut expliquer cela. En attendant, les Wallons sont, du fait de la particratie, moins libres que jamais dans l'Etat belge malgré la conquête de cette large autonomie, acquise à la suite de luttes très dures, dirigées principalement par les syndicats qui demeurent toujours quelque peu extérieurs à la particratie. Les Wallons sont moins libres en effet et il suffira, pour le comprendre, de décrire la carrière de quatre femmes et hommes politiques qui sont aux sommets du pouvoir comme ministres ou présidents de partis parfois depuis plus de vingt ans et de manière ininterrompue (dans une particratie, un président de parti est presque aussi important qu'un chef de gouvernement fédéral et plus qu'un chef de gouvernement wallon, précisons-le). Elio Di Rupo [actuel Premier ministre fédéral belge, âgé de 62 ans], est au pouvoir sans interruption depuis 1992. Laurette Onkelinx [actuelle vice-Première Ministre et ministre de la santé], âgée de 55 ans, est au pouvoir sans interruption depuis 1993, Didier Reynders [actuel ministre fédéral des affaires étrangères, âgé de 55 ans] est au pouvoir sans interruption depuis 1999 et Joëlle Milquet [actuelle ministre fédérale de l'Intérieur], âgée de 52 ans est au pouvoir sans interruption depuis 1999.
Des figures éternelles...

Ces quatre personnes illustrent les blocages de la particratie, y compris mentaux. Décrire dans le détail leur carrière politique prendrait trop de temps (s'ils sont tous au fédéral en 2013, certains ont caracolé ailleurs), mais ce qui est surprenant c'est de voir que dans les sondages de popularité en Wallonie de La Libre Belgique du 17 décembre 2001 (il y a 12 ans!), ils occupaient quasiment les mêmes places qu'aujourd'hui, au plus haut du tableau. Ces sondages n'évoluent pas comme les cotes de popularité d'un Président français par exemple (Hollande est au plus bas), mais sont quasi aussi stables que les résultats de leurs partis respectifs (socialiste, libéral et démocrate-chrétien).
Attention! je le répète sans cesse ici, ces gens ne sont là qu'en raison de leur compétence. Ils assument leurs fonctions de manière responsable. Mais ils ressemblent de plus en plus à des fonctionnaires et n'ont pas ou peu de vision politique. Dans les systèmes particratiques, l'administration est aussi dirigée par les partis et les hommes poltiques apparaissent un peu comme des fonctionnaires de haut niveau. Certes, ils doivent être réélus, mais cela ne fait aucun problème et quand les sondages testent leur popularité, c'est en réalité leur présence (leur omniprésence), dans les médias qui est mesurée (omniprésence signe de leur puissance : ils y véhiculent plus leur image inchangée qu'un message politique réel, sinon ils ne resteraient pas aussi longtemps au pouvoir). Il est impossible dans pareil contexte qu'il existe vraiment une opinion publique wallonne. Les quatre responsables cités ici sont des responsables fédéraux, tous wallons, qui éclipsent les membres du gouvernement wallon même si ceux-ci sont présents à de belles places en termes de popularité, mais avec la même absence de signification politique. Cela d'autant plus que, au contraire des quatre cités qui sont au sommet de la particratie, les dirigeants wallons sont des désignés de la particratie (parfois contraints de signer une lettre de démission en blanc à leurs chefs lors de leur désignation: oui, tout cela est évidemment pénible et déshonorants pour nous et pour eux).
... qui en engendrent d'autres

Paul Magnette âgé de 42 ans est au pouvoir sans interruption (au sens où je l'ai défini, ministre ou président de parti), depuis 2007 (belle carrière déjà quand même!). Il a quitté le gouvernement fédéral à la fois pour devenir bourgmestre de Charleroi (la plus importante commune wallonne), et devenir le successeur désigné du Président du Parti socialiste (particratie, particratie...). Les médias sont indépendants chez nous, mais, fatalement, astreints à suivre l'actualité politique au jour le jour, ils sont bien obligés d'en décrire les immobilités, teintées ... d'évolutions, certes infimes mais les êtres humains naissent grandissent et meurent. Paul Magnette a la carrure d'un futur Président de parti. Pas d'un dirigeant wallon. Encore cette semaine, il était présenté dans Le Monde par un journaliste bruxellois, comme un bretteur wallon, sans doute, mais ayant comme objectif de « contrer les nationalistes flamands et éviter l'éclatement du royaume ». C'est la tactique que j'annonçais il y a quelques semaines dans VIGILE, article d'ailleurs fort lu chez nous et qui a même été traduit en néerlandais.
Cette posture antiflamande ne se justifie pas par les difficultés qu'aurait la Wallonie à s'assumer seule, tout cela c'est de la blague. La Wallonie est d'ores et déjà contrainte de s'assumer seule. Mais la peur du changement est suffisante (ne l'est-elle pas aussi au Québec?), pour accréditer cette incapacité. En outre, être antiflamand est une posture qui - hélas! - sera rassembleuse pour les prochaines élections qui ne feront que conforter le système particratique en place. Celui-ci choisit d'instinct la vision politique la mieux à même d'assurer sa pérennité avec le concours de plumes louangeuses, même dans un journal français, le 25 mars, jour de la fête de l'Annonciation [[Jean-Pierre Stroobants qui lui consacre la dernière page du 2e Cahier du "Monde" lundi dernier commence en fanfare «Costume cintré, chemise blanche, Blackberry dans une poche, IPhone dans l'autre (...) L'oeil pétillant, la voix assurée, la poignée de main qui lui permet de se remémorer la dernière rencontre. C'était il y a quelques années (...) Pas vraiment une consécration pour ce brillant universitaire alors directeur de l'Instititut d'études européennes de l'ULB...» et patati et patata Le Monde du 25 mars 2013 (fête de l'Annonciation), 2e cahier, p.8.]].
La presse elle-même ne peut pas trop parler de Wallonie
Je le redis, la presse a beau être indépendante, que pourrait-elle faire d'autre que l'éloge de dirigeants qui sont là pour une ou deux décennies (avec qui il faut tout de même rester en relation)? Et pourrait-elle parler de la Wallonie puisque ses dirigeants, pour garder le système qui les fait vivre, sont obligés de rester dans un système particratique lié à la Belgique et à ses tensions Wallons/Flamands? Le jour où la Wallonie se trouvera complètement autonome, ils devront changer de positionnement. Et au lieu de jouer les matamores contre des Flamands au fond pas si dangereux que cela, ils auront à répondre de leur politique devant un peuple, ce qui est moins aisé, évidemment.
A moins que d'ici là, l'Europe n'ait complètement annihilé ces notions de «peuple» et de «politique», surtout cette dernière notion dont un visionnaire comme de Gaulle annonçait la disparition le 15 mai 1962 dans une conférence de presse restée célèbre. De fait dans l'Europe supranationale au service du néolibéralisme, il ne reste plus aux hommes politiques qu'à devenir des fonctionnaires élus obéissant à une Commission européenne qui, en enlevant leurs prérogatives aux Parlements belge, français, wallon (etc.), n'a plus en vue que la destruction des Etats et des nations.

Le mercredi 27 mars suivant les lignes du journal Le Monde pleines de flatteries, la RTBF programmait, dans une de ses émissions les plus populaires (Questions à la Une), un parallèle entre Bart De Wever (indépendantiste et nationaliste flamand) et Paul Magnette dans cette posture antiflamande et antinationaliste de défenseur de la Belgique (en réalité de la particratie). On peut le dire, puisque cela suivait de peu la fête de l'Annonciation (25 mars) : s'il n'est pas encore arrivé il frémit dans le sein maternel et, dans quelques mois le sauveur de la particratie nous sera né. Son nom : Paul Magnette. Qui est, comme je tente de le montrer dans ces chroniques - mais je ne suis pas le seul voir les choses ainsi : de nombreux sages et observateurs perspicaces ne me démentiront pas - à la fois wallonne, mais aussi - et surtout -, antiwallonne.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    31 mars 2013

    Ah! Si Dumouriez et Jourdan pouvaient revenir balayer tout çà d'un coup de sabre! Rêvons un peu.