Un rapport du 3 mai 1918 écrit par un haut fonctionnaire (en pleine occupation allemande), insistait sur le fait que la Wallonie industrielle avait été totalement écartée de la direction des affaires du pays avant la guerre de 1914-1918 et ce depuis des décennies. Ce rapport fut envoyé au Roi et son gouvernement derrière le front de l’Yser. Il estimait le mouvement wallon plus dangereux que le mouvement flamand pour l’unité du pays du fait de cette exclusion de la Wallonie en sa part ouvrière largement majoritaire. L’exclusion se poursuivit après la guerre. Le politologue Pascal Delwit estime à 333 jours (!) la durée des gouvernements où les socialistes (qui représentent cette Wallonie ouvrière), ont été présents entre 1919 et 1940, les gouvernements d’union nationale mis à part. Après 1944 et la libération du pays, les socialistes furent un peu plus présents, mais à nouveau écartés en 1949. En 1950, les catholiques (je parle ici du parti, non de la communauté des croyants), parvinrent à former un gouvernement homogène. Ils contribuèrent au retour du roi. S’appuyant sur le vote majoritaire en faveur de son retour, fondé sur la majorité en sa faveur exprimée dans la seule Flandre. C’est là que le rapport de mai 1918, parlant de la dangerosité de l’exclusion de la Wallonie, se révèle visionnaire. Car il y eut le soulèvement wallon de 1950 dont la logique menait à l’indépendance wallonne. Mais dont plus personne ne parla ensuite. Ou peu. C’est la télévision flamande (alors appelée BRT), qui le fit, enfin, en 1981, trente ans après les événements les plus graves de l'histoire politique belge. Je fus invité à m'expliquer sur un aspect peu connu de cette révolte, lors d’une des grandes émissions de la télé flamande. Je décrivis les étapes de ce soulèvement et les réunions qui se tinrent entre responsables syndicaux et politiques en vue de former un gouvernement wallon provisoire, qui se serait chargé de proclamer l'indépendance de la Wallonie. (1) A mon grand étonnement, quand cette interview fut diffusée, je remarquai que la BRT avait placé en sourdine (mais allant crescendo), tandis que je parlais, la Marseillaise ! Mettant ainsi en évidence une grande page de notre histoire. Lorsque le même document passa côté francophone, la Marseillaise fut supprimée. Nous avons d’étranges rapports avec les Flamands comme cet incident le démontre. Et la Wallonie a d’étranges rapports avec ses propres médias puisque plus timides que les médias flamands pour parler de la Wallonie.
Je n’oublie pas cette Marseillaise, « flamande » si je puis dire, amicale à notre égard, chaleureuse, admirative. Mais la vérité, la simple honnêteté m’amènent à devoir dire aussi que les Flamands poursuivent une politique très dure à notre égard. Jeudi passé à la télé, l’important ministre fédéral socialiste, Paul Magnette, qui siégea aussi au gouvernement wallon, était invité à comparer l’atmosphère dans les deux gouvernements (le fédéral et le wallon). Il répondit que l’atmosphère au gouvernement wallon était constructive, les deux partis coalisés étant rivaux, mais unis dans l’équipe gouvernementale wallonne. En revanche, tint-il à souligner (et je reprends texto son image), l’opinion publique n’a pas idée de la fracture communautaire en Belgique (mais, souvent, les gens qui savent se dérobent à toute interview sur le sujet). Ce qu'elle voit, disait P.Magnette, n’est que la partie émergée de l’iceberg. Le désaccord est profond avec les Flamands en toutes matières. Au gouvernement (fédéral), ce conflit est extrêmement pénible et lourd à porter : chaque dossier est envisagé sous l’angle de la querelle Wallons/Flamands. Au Parlement fédéral, poursuivait le ministre, c’est pire encore, c'est « la fosse aux lions » : dans les diverses commissions, les partis nationalistes flamands criblent les ministres wallons de questions harcelantes, toujours selon une logique Wallons/Flamands. La semaine passée, le journaliste français Quatremer (Libération), estimait dans Paris-Match (26 novembre) que l’opinion publique wallonne n’a pas vraiment conscience que les problèmes communautaires qui divisent la Belgique depuis un siècle, ne sont pas de la responsabilité des seuls politiciens. Ils sont plus profonds que cela.
Soit. Mais les dirigeants wallons sont vraiment inaptes alors à faire comprendre la réalité de la situation à leur propre opinion publique (sauf, ici, Paul Magnette). Ainsi, les désignations récentes de Flamands à des postes importants de la politique internationale sont rapportés avec enthousiasme par la classe politique et les médias wallons et francophones comme si c'était une victoire "belge" de foot. Le membre belge de la Commission européenne est un Flamand. Il en est de même, comme on le sait, du nouveau Président du Conseil européen, lui aussi un Flamand. Dans le gouvernement fédéral belge, le Premier ministre est un Flamand, le ministre des affaires étrangères est un Flamand, le ministre de la défense nationale est un Flamand, bref tous les postes d’où la Belgique projette son profil international. Je le dis, je le constate. Je ne suis pas antiflamand. Je ne l’ai jamais été. Mais je ne comprends pas que les responsables wallons manifestent encore si étrangement leur attachement à une Belgique où ils comptent pour du beurre. Et soutiennent cette colonisation de l’Etat belge par la Flandre. Comme les médias francophones. « Les Flamands rient d’eux. » ajoutait le Français Jean Quatremer dans Paris-Match du jeudi 26 novembre.
Je ris aussi avec mes amis flamands, car j’en compte beaucoup. Je ne suis pas antiflamand, mais antibelge. La servitude volontaire est la plus abominable des attitudes humaines. Chaque fois que le mot « belge » est prononcé avec enthousiasme par l’un de ses dirigeants, écrit comme si la Belgique devait durer toujours, présenté comme si l’énorme transfert des compétences de l’Etat belge à la Wallonie ne devait rien changer à rien dans la vision des citoyens, la Wallonie s’enfonce encore un peu plus. Et en méprisant leur propre peuple, ces dirigeants ne le préparent pas à une entente par ailleurs nécessaire avec la Flandre quand la Belgique se sera évaporée et qu'il faudra reconstruire sur d'autres bases.
Par conséquent, merci à Paul Magnette!
(1) Le retrait du roi puis son abdication fit tomber l'agitation et, aussi, la grande capacité des hommes politiques à surmonter les conflits les plus durs.
Une inoubliable Marseillaise
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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