Une guerre déjà perdue

Les opérations militaires ont miné la confiance de la population, selon un rapport d'experts

Le Canada en Afghanistan


Les États-Unis, le Canada et leurs alliés sont en train de perdre la guerre en Afghanistan, selon le Senlis Council, un groupe d'experts en politique internationale. Dans un rapport accablant rendu public à Londres, hier, l'organisation se demande même s'il n'est pas déjà trop tard pour renverser la situation.
Les analystes du Senlis Council évaluent que depuis 2001, les États-Unis et leurs alliés ont dépensé 82,5 milliards $ pour mener leurs opérations militaires en Afghanistan. En contrepartie, ils auraient consacré seulement 7 milliards $ à la reconstruction du pays ! Faut-il s'étonner que chez beaucoup d'Afghans, l'enthousiasme ait fait place à la désillusion ? Selon un sondage effectué par le groupe d'experts, les deux tiers perçoivent désormais les Occidentaux comme des gens malhonnêtes et intolérants. Cinq ans après le 11 septembre 2001, 49 % expriment même ouvertement leur confiance envers Oussama ben Laden !
"(...) Au cours des cinq dernières années, en Afghanistan, la communauté internationale s'est concentrée sur des objectifs militaires ou liés à la sécurité. Tout cela au détriment des secours humanitaires et de la stabilité économique", peut-on lire dans le rapport, rédigé à partir des témoignages d'une cinquantaine d'observateurs du groupe, basés sur le terrain. Le document conclut brutalement "qu'après cinq années de présence internationale, la vie quotidienne de la plupart des Afghans ne s'est guère améliorée".
Insécurité et pauvreté
Pour le Senlis Council, ce sont d'abord l'insécurité et la pauvreté qui poussent bon nombre d'Afghans dans les bras des talibans. Certaines opérations militaires, notamment la destruction des champs de pavot, contribueraient aussi à envenimer les choses, en privant de nombreux fermiers de leur unique gagne-pain. "Dans les villages, ils ont détruit les récoltes, explique un fermier de Kandahar. Il n'y a pas d'eau, pas d'emploi, rien à faire. N'est-il pas normal de rejoindre les rangs des talibans ? Ne feriez-vous pas la même chose ?"
"La coalition dirigée par les États-Unis a promis de fournir l'assistance et les ressources pour reconstruire le pays, expliquent les obsertateurs du Senlis Council. Mais les Afghans continuent à crever de faim. (...) Soixante-dix pour cent de la population souffre de malnutrition. Moins du quart dispose d'un accès à l'eau potable. (...) Un enfant sur cinq ne dépasse pas l'âge de cinq ans."
Le Senlis Council estime que la moitié sud du pays échappe désormais largement au contrôle du gouvernement afghan et à ses alliés occidentaux. Un constat plutôt inquiétant, dans la mesure où l'organisation n'a pas la réputation d'être particulièrement alarmiste. Ses travaux sont supervisés par un comité de sages dans lequel on remarque l'ancien président du Portugal, Mario Soares, de même que le secrétaire général honoraire d'Interpol et une ancienne présidente du Bundestag allemand.
Pour les observateurs du Senlis Council, les Occidentaux n'ont plus beaucoup de temps pour renverser la vapeur. Un changement radical de stratégie s'impose. D'abord, ils suggèrent de réduire au minimum les accrochages violents, qui finissent toujours par entraîner la mort de civils.
Ensuite, ils conseillent de cesser la destruction des plantations de pavot, du moins temporairement. Selon eux, une partie de la récolte pourrait peut-être trouver une utilité sur le marché légal, en servant à la production d'analgésiques. Enfin, ils soutiennent que les militaires occidentaux pourraient améliorer leur image en participant plus souvent à la distribution d'aide humanitaire.
Est-ce que cela suffira ? Difficile à dire. Dans plusieurs villages du sud du pays, les Afghans n'ont jamais vu un seul fonctionnaire de Kaboul ou du gouvernement local. Ils n'ont même jamais croisé un travailleur humanitaire...
jsgagne@lesoleil.com


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