Le Canada dans la galère afghane (2)

Le Canada en Afghanistan


[Dernier de deux textes->1852]

En un mois, 13 soldats canadiens sont décédés dans le sud de l'Afghanistan. Au total, ils sont maintenant 32 à avoir laissé leur vie depuis le début des opérations dans ce pays, il y a presque cinq ans. Et il faut ajouter à cela le nombre bien plus élevé de blessés.

Le Canada déploie actuellement près de 2900 soldats à l'étranger, dont plus de 2000 en Afghanistan. Par ailleurs, ce pays est le plus important bénéficiaire de l'aide bilatérale canadienne alors que ce sujet occupe une place centrale dans notre politique étrangère. Un tel tribut suscite des questions. Pourquoi sommes-nous en Afghanistan ? L'enjeu en vaut-il la chandelle ?
Un appui aux Américains
Pour y répondre, il faut revenir aux motifs derrière notre engagement. Le premier, sans aucun doute le plus déterminant, a trait à notre relation avec les Américains.
Au lendemain du 11 septembre 2001, les États-Unis ont entamé un virage en matière de politique étrangère : les questions d'ordre sécuritaire sont revenues au centre de l'échiquier. Les Américains se sont découvert une «nouvelle» menace omniprésente : le terrorisme, et plus particulièrement sa variante djihadiste. Compte tenu de ses liens étroits avec les États-Unis, le Canada a dû s'ajuster.
Ainsi, il était tout naturel d'appuyer les Américains dans leur volonté de pourchasser les auteurs présumés des attentats terroristes ainsi que ceux qui leurs apportaient ouvertement leur appui. Cette première impulsion explique notre arrivée en Afghanistan. Près de 750 soldats ainsi que des unités de marine et aériennes ont été mobilisées fin 2001 dans le cadre de l'opération multinationale «Liberté immuable» sous commandement américain. Encore active aujourd'hui, cette opération vise à porter le combat chez les terroristes et à détruire les infrastructures qui les soutiennent.
À partir d'octobre 2003, le centre de gravité de notre présence en Afghanistan se déplace. L'essentiel de nos troupes opère dorénavant dans le cadre de la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS), une opération de l'OTAN. Le général canadien Rick Hillier, depuis lors promu à la tête de nos forces armées, assume de février à août 2004 le commandement de la FIAS, un privilège réservé aux pays qui fournissent le plus de troupes.

Ce deuxième élan, lui, s'explique difficilement sans prendre en compte l'épisode douloureux des débats quant à la participation canadienne à l'invasion de l'Irak. Le calcul est simple : l'importance de notre engagement en Afghanistan libère des troupes sur le front irakien alors que les pressions sur les effectifs de l'armée américaine sont fortes.
Le récent transfert de nos troupes depuis Kaboul vers la région bien plus dangereuse de Kandahar s'inscrit dans une même continuité, soit un nouveau gage de notre bonne foi à l'égard de la «guerre au terrorisme» lancée par les États-Unis. Pourtant, les Américains ne sont pas dupes. Notre effort substantiel en Afghanistan ne compense pas le précieux capital politique perdu, notamment en matière de légitimité, à la suite du refus du gouvernement canadien d'appuyer l'invasion de l'Irak.
Notre place dans le monde
Une telle concentration des moyens de notre politique étrangère sur la seule crise en Afghanistan répond par ailleurs au nouvel Énoncé de politique internationale publié par le gouvernement Martin en avril 2005. Passé inaperçu en pleine tourmente du scandale des commandites, ce document revêt tout de même une certaine importance puisqu'il met à jour les orientations fondamentales du Canada sur la scène internationale.
Cet énoncé fait entre autres état de l'intention du gouvernement de désigner quelques pays prioritaires plutôt que de tenter d'intervenir dans toutes les crises qui surviennent. Ainsi, au lieu d'être partout mais de n'avoir d'influence nulle part, il s'agit de jouer un rôle significatif là où nous décidons d'intervenir et d'assurer aux modestes capacités canadiennes un impact maximal.
Il ne fait aucun doute que le Canada jouit d'une influence significative en Afghanistan. Dans la région de Kandahar, le contingent canadien représente la force militaire dominante. À Kaboul, le Canada est un interlocuteur incontournable dans les négociations quotidiennes au plus haut niveau entre les différents acteurs internationaux et le gouvernement afghan.
Les États défaillants
L'Énoncé de politique internationale propose par ailleurs un nouveau paradigme pour justifier nos interventions extérieures : appelons-le «la logique des États défaillants».
Ainsi, selon cette logique, les États aux prises avec de graves dysfonctionnements internes tendent à exporter leurs problèmes. Plutôt que de subir ces contrecoups, les autres États doivent prendre les devants et endiguer les problèmes à leur source. Cette approche concilie le discours humaniste traditionnel du Canada en matière de relations internationales avec les impératifs de la realpolitik, qui, dans ce cas-ci, exigent un ajustement aux orientations américaines.
Le problème avec la logique des États défaillants est la manière dont elle a été interprétée. La réaction du monde occidental, à commencer par les États-Unis, à la résurgence des mouvements djihadistes a été essentiellement militaire. Or la logique des États défaillants présuppose de s'attaquer aux causes fondamentales de l'extrémisme. Celles-ci sont d'abord de nature politique, sociale et économique.
Dans le sud de l'Afghanistan, plus de quatre ans d'une campagne militaire antiterroriste ont produit les résultats exactement inverses à ceux escomptés, et la FIAS se déploie aujourd'hui en pleine situation de crise. Le général britannique David Richards, commandant de la FIAS, a sévèrement critiqué l'approche américaine et s'inquiète publiquement de la faisabilité de sa mission dans les circonstances actuelles. Le Canada paie très cher pour ces leçons apprises.
Les divers motifs exposés ici s'inscrivent dans une logique propre aux relations extérieures du Canada. Il en va ainsi traditionnellement chez nous, où l'actualité internationale détermine rarement le sort d'un scrutin.
Pourtant, la situation de gouvernement minoritaire à Ottawa et la pression provoquée par les pertes militaires portent le débat de la présence canadienne en Afghanistan sur le front intérieur. Le sujet occupe déjà une place appréciable dans la campagne à la chefferie libérale.
Une chose est claire : se retirer maintenant porterait un dur coup à la crédibilité internationale du Canada. Il n'en demeure pas moins que le Canada doit utiliser sa position d'influence pour exiger des ajustements à la stratégie internationale. L'extension de la FIAS au sud a le potentiel d'être un tournant positif en ce sens. Les résultats devront pourtant se concrétiser rapidement car la patience du public canadien est mise à rude épreuve.
Marc André Boivin
_ Coordonnateur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix et chercheur au Groupe d'étude et de recherche sur la sécurité internationale (GERSI), tous deux affiliés au Centre d'études et de recherches internationales de l'Université de Montréal. L'auteur revient d'un séjour en Afghanistan.

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Directeur adjoint du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix affilié au CERIUM, membre de l'International Institute for Strategic Studies de Londres et chercheur associé au Groupe d'étude et de recherche sur la sécurité internationale





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