Comparaissant devant le Comité parlementaire chargé des affaires étrangères, Norine MacDonald, du Senlis Council, déclarait lundi dernier que le rapport entre les dépenses militaires du Canada et celles vouées à l'aide au développement était de dix pour un.
Cet argument d'une disproportion entre l'effort militaire et l'effort humanitaire a ponctuellement refait surface dans les débats entourant la présence canadienne en Afghanistan. Le Canada serait-il donc devenu un sbire agressif des Américains?
Quelques nuances s'imposent d'emblée. D'abord, mettre en parallèle les dépenses en matière de défense et de développement frise la démagogie. L'effort logistique pour soutenir les Forces canadiennes en Afghanistan requiert à lui seul l'équivalent de 400 avions et de trois bateaux. Il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'un des pays les moins accessibles au monde; ce sont plutôt les coûts de soutien qui sont disproportionnés par rapport à d'autres déploiements récents tels ceux dans les Balkans. Un programme de l'Agence canadienne de développement international (ACDI) comme celui du microcrédit, qui permet aux Afghans d'emprunter de très petites sommes d'argent à des taux d'intérêt raisonnables, ne monopolise pas les mêmes moyens. En somme, nous comparons des pommes avec des oranges.
Aussi, les interventions militaires visant à faciliter une sortie de crise s'inscrivent en général dans un cycle. Au point de départ, les énergies se concentrent sur la sécurité. À moyen terme, une fois la situation stabilisée, l'attention se porte sur la restauration (plus souvent l'instauration) d'un certain état de droit. Finalement, l'aide au développement prend le relais à plus long terme. Il est clair qu'en Afghanistan, surtout dans les régions du sud où opèrent l'essentiel des soldats canadiens, nous n'en sommes qu'à la première étape.
La véritable déception n'est pas tant dans les proportions entre les diverses composantes de l'intervention internationale que dans l'effort total consenti. Les contributions de troupes ont été tardives, extrêmement difficiles à obtenir et demeurent incertaines à long terme. On s'explique difficilement que le processus d'extension de la FIAS à l'ensemble de l'Afghanistan ait pris près de cinq ans à être complété. Les régions Sud et Est, les plus problématiques, n'ont été prises en charge qu'à l'été 2006 et à l'automne 2006 respectivement. Et encore, dans la région Sud seules quatre provinces sur six sont directement couvertes.
Relations difficiles entre le militaire et l'humanitaire
Cette situation a un impact direct sur l'aide au développement. Une poignée d'organisations non-gouvernementales internationales acceptent d'opérer à Kandahar. Le principal écueil demeure l'absence de sécurité. Les ONG se retrouvent prises dans un étau. En dépit des images d'Épinal véhiculées, les forces militaires internationales actives en Afghanistan inscrivent leur action dans une stratégie à plus long terme où le développement tient une place privilégiée. Les dirigeants de l'OTAN et de la FIAS répètent à qui veut bien l'entendre que la solution ne saurait être uniquement de nature militaire.
L'intention est louable, mais en pratique, il revient à associer les efforts de développement à la présence militaire étrangère. Les civils chargés d'aider à la reconstruction deviennent de ce fait des cibles légitimes pour les insurgés. La couverture offerte par un déploiement minimal de troupes n'offre aucun réconfort. Il faut aussi ajouter à cela que les Talibans ont une longue histoire conflictuelle avec les organisations à vocation humanitaire; celles-ci devenaient des cibles à chaque montée des tensions avec la communauté internationale à la fin des années 90.
En parallèle avec la FIAS, l'ONU dispose d'une Mission d'assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA). La MANUA est chargée de soutenir le gouvernement afghan et de coordonner les multiples programmes d'aide à court et à long terme. On s'attend à ce que les ONG suivent dans le sillage de l'ONU, traditionnellement le porte-étendard dans un tel contexte. Or la MANUA commence tout juste à étendre sa présence à l'extérieur de Kaboul et maintient le plus de distance possible avec la mission de l'OTAN. À titre d'exemple, dans la région sud, la MANUA n'a ouvert des bureaux que dans les deux régions où l'OTAN n'a pas encore déployé de forces. Le 24 mai dernier, Des Browne, Secrétaire à la défense du Royaume-Uni, appelait les Nations unies à assumer pleinement leur leadership pour mener à bien la consolidation de la paix en Afghanistan. Trop souvent jusqu'à présent les militaires ont dû remplir des fonctions humanitaires, pas tant par volonté d'empiètement que pour combler un vide.
Norine MacDonald a raison de protester contre l'insuffisance des fonds alloués à l'aide au développement. James Dobbins, premier ambassadeur américain en Afghanistan après la chute du régime Taliban, disait en 2003 "le Kosovar moyen a reçu 25 fois plus d'aide après 11 semaines de bombardements aériens que l'Afghan moyen en 20 ans". Malgré les annonces substantielles faites entre autres par le Canada et les États-Unis ces derniers mois, le sous-investissement demeure bien réel et les défis redoutables pour aider les Afghans à reprendre en main leur pays. Tout le monde s'entend pour dire qu'il s'agit de la seule "exit strategy" concevable.
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Marc André Boivin
Invité par l'OTAN, l'auteur s'est rendu en Afghanistan et au Pakistan à la fin mai. Son séjour l'a mené à Islamabad, à Kaboul, à Herat, à Kandahar et à Mazar-i-Sharif à la rencontre des principaux acteurs liés à la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS) sur le terrain. Marc André Boivin est le directeur-adjoint du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix de l'Université de Montréal. Nous publions aujourd'hui et demain les deux textes qu'il nous a fait parvenir.
DEMAIN: L'OTAN en Afghanistan ou le spectacle des divisions
Développement et défense, des pommes et des oranges
Proche-Orient : mensonges, désastre et cynisme
Marc André Boivin6 articles
Directeur adjoint du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix affilié au CERIUM, membre de l'International Institute for Strategic Studies de Londres et chercheur associé au Groupe d'étude et de recherche sur la sécurité internationale
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